Détour dans une société sans pauvre ni riche : le désir de communisme de Bernard Friot

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Rencontre avec un saint économiste laïque.

Je lis avec concentration le petit livre d’entretien de Bernard Friot avec Judith Bernard paru chez Textuel, Un désir de communisme. Que Bernard Friot exprime un tel « désir », rien de plus naturel pour ce militant du PCF, sociologue et économiste, professeur émérite à l’université Paris-Nanterre. Qu’il dérange la classe politique au pouvoir, les grands patrons et ses pairs « orthodoxes », comme il les nomme, est une évidence qu’il doit savourer. Pourtant, le grand désir de nouvelle société qu’il décrit pratiquement depuis qu’il est devenu l’un des plus éclairés spécialistes de la genèse de la Sécurité sociale, institution anticapitaliste par excellence, soutient-il, se partage aisément : le monde de Bernard Friot n’est pas celui de « partageux » rouges, mais une société sans pauvres absolus ni riches au-delà de tout besoin.

Il prône depuis longtemps, bien avant Rocard ou Hamon, à ses yeux suppôts du capitalisme, non pas un revenu universel ou de base, mais bel et bien un « salaire à la qualification personnelle », versé dès la majorité à 18 ans jusqu’à la disparition du.de la citoyen.ne, parce qu’étudiant.e, apprenti.e, salarié.e, patron.ne ou retraité.e, nous produisons de la valeur. Le salaire socialisé s’établirait de 1 700 à 5 000 euros. Soit un rapport de 1 à 3, base arbitraire mais raisonnable et ouverte au débat. Dans cette vision de la décorrélation du salaire avec l’emploi, mais attaché à la personne, les employé.es, les fonctionnaires, les patron.nes mêmes ne sont plus payé.es par l’entreprise qui produit la richesse, mais par une « caisse des salaires » approvisionnée par l’ensemble des cotisations de tout le monde. Imaginons-la comme une superSécurité sociale (SSS !). Dans cette société pas si utopiste, car l’économiste sait calculer, notre rémunération progresserait à l’ancienneté, même si, deux fois par an, un jury impartial venait lui donner un coup de pouce par reconnaissance du travail accompli.

Je rencontre Bernard Friot avec cette question obsédante : quelle révolution inattendue pourrait ainsi bouleverser l’ordre capitaliste des choses ? Au-dessus de son masque de rigueur, le vieux professeur a les yeux qui sourient. « Qui parle de révolution ? Je suis optimiste, je crois au dépérissement de l’État et je constate l’adhésion montante des générations nouvelles à un tel système de répartition, pas seulement elles, également des cadres bien payé.es qui rejettent de plus en plus leur travail inutile et qui veulent désormais maîtriser ce qu’ils.elles font. Il.elles n’adhèrent plus à ce système. Les soignant.es sont en train de retrouver la maîtrise de leur travail. Au sein des grandes boîtes elles-mêmes, des phénomènes de cette nature, totalement nouveaux, se manifestent. »

Avant qu’à l’aide de la carte Vitale abondée nous n’achetions des denrées auprès de petits distributeurs conventionnés pour faire échec à la grande distribution (qui est une « monstruosité », dit-il), il faudra tout simplement, selon Bernard Friot, que nous tous.tes sortions de l’irresponsabilité. C’est la première fois que je rencontre un « révolutionnaire » irénique : cet homme, qui a rencontré Jésus, croit à un « monde autre ». Comme né de l’intelligence collective. Ou de l’« entreprise altruiste » qui se dessine, l’entreprise de mission qui n’est plus mue par le seul profit, briseuse de modèle capitaliste ? Rêve ou pas, le désir de communisme n’est pas un gros mot. Au moins un exercice de pensée. Mais pourquoi pensé-je soudain qu’il faudrait bien que la planète entière, des Américains aux Chinois, des Européens aux Russes, adopte ce modèle de société pour qu’il soit simplement pensable ? Le patron de Renault gagnerait 5 000 euros par mois quand celui de Ford encaisse 1,40 million de dollars ? Bing, le rêve retombe.

Olivier Magnan

1 COMMENTAIRE

  1. Merci cher Olivier Magnan, de m’avoir fait connaître une autre facette de Bernard Friot.
    Cet homme n’est pas un utopiste; il écrit même des choses très sérieuses comme L’enjeu des retraites paru chez La Dispute (si,si…) ainsi que ses célèbres Histoires pressées dont je vous conseille la lecture si vous ne voulez pas être transformé en fer à repasser pour avoir rendu service à une fée.
    Et mon livre de chevet (qui est vraiment sur ma table de nuit en ce moment), Peut-être oui, un recueil de poésies illustré par Elisabeth Ferté. Une pépite…

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