Des soignants méfiants

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Le grand public réticent s’est converti à l’efficacité du vaccin. Pas les personnels soignant non médecins. C’est l’épine dans la doctrine.

Olivier Magnan, rédacteur en chef

« En tout cas, ne vous faites pas vacciner. Moi, pas question. » Cette jeune apprentie infirmière, pompière volontaire, ne me l’envoie pas dire. Dans son service, la grande majorité de ses collègues observent la même attitude : le vaccin ne passera pas par nous. Nous sommes là à Beauvais, dans l’Oise, mais c’est toute la France des soignant·es, infirmier·ères qui campe sur le refus : sur les 600 000 doses d’AstraZeneca réservées au personnel soignant, seules 25 % ont été utilisées dans les établissements de l’APHP. Soit 34 % du personnel médical en première injection. Parmi les paramédicaux, agent·es techniques, administratifs, c’est pire : 16 ou 17 % seulement. La grande réticence…

Pourquoi ? Hormis la réalité que les soignants n’ont pas d’emblée été désignés prioritaires – ce qui, en soi, n’était pas logique –, on n’en sait trop rien. Interrogée, ma jeune interlocutrice reste floue, c’est presque en termes de « poison » et d’effets secondaires qu’elle parle des vaccins en général. Sur un réseau social, ce cri du cœur : « N’allez surtout pas croire que les infirmiers vont servir de cobayes. » Or si cobayes il y a, ce sont les malades eux-mêmes, et les premiers. La « marque » ne joue pratiquement pas : vaccins à ARN messager ou vaccins classiques comme l’AstraZeneca sont rangés par les blouses blanches réfractaires dans le même chaudron des produits risqués, avec la hantise des effets secondaires.

Du coup, les contaminations nosocomiales, c’est-à-dire contractées à l’hôpital par des patient·es venu·es se faire soigner pour tout autre chose que la covid, grimpent en flèche. Ce qui vaut un grand coup de gueule, parmi les premiers, à François Chast, chef du service de pharmacie clinique de Necker à Paris : « Il faut rendre cette vaccination obligatoire ! » Il a un argument qui ne convaincra pas : « On ne refuse pas le port de la charlotte, du masque ou de la blouse lorsqu’on pratique des soins […] Ce devrait être la même chose pour les vaccins contre la covid. » La différence, c’est tout le fantasme du produit inconnu que l’on vous injecte. Mais autant les Français·es, réticent·es en majorité avant que les vaccins n’arrivent ont « viré leur cuti » sous l’effet psychologique du manque de doses, autant les soignant·es, eux, elles, des gens instruits, au contact de la maladie, auraient dû les premier·ères se vacciner et exhorter leur entourage à le faire. Thierry Amouroux, du Syndicat national des professionnels de santé, l’exprime autrement : « On n’hésite pas à dire ce qu’on pense, on est peut-être plus en phase avec nos propos qu’un médecin qui aura davantage de retenue […] l’infirmière, elle est sincère, il n’y a pas de filtre, pas de conflits d’intérêts liés à une évolution de carrière ou un labo. » Que veut-il dire ? Que les vaccins ont encore quelque chose à nous cacher ?

Plus épidermique, l’essayiste et ancien chroniqueur de télévision François de Closets, n’en revient pas : « Si on a un personnel soignant qui n’a pas confiance dans la médecine, c’est tout de même grave. Je veux bien qu’il y ait des prêtres qui célèbrent la messe en étant athées, mais qu’il y ait des soignants qui fassent de la médecine sans y croire, je trouve ça abominable. »

Il résume l’ambiguïté de la médecine, science humaine : y croire, avoir confiance. Non, les soignant·es n’ont pas forcément confiance, à tort ou à raison. Au lieu de riposter par l’obligation et le passeport vaccinal, il faudrait sans doute se demander pourquoi des gens formés, rationnels, tournés vers le soin, redoutent à ce point le vaccin. Hier, au cours de la conférence de presse du Premier ministre, Olivier Véran, ministre de la Santé, a indiqué qu’il allait écrire à ces personnels dubitatifs qu’il estime à 70 % dans les établissements et 60 % dans les Ehpad pour « les inciter très fortement » à se faire vacciner, notamment par l’« efficace » AstraZeneca. Il ajoute : « Le temps de la réticence est dépassé. » La docteure généraliste qui lui succède entonne la même exhortation. Ce sera le prochain grand épisode de la saga vaccinale : savoir pourquoi nos piqueurs ne veulent pas la piqûre.

Olivier Magnan

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