Depuis plusieurs décennies, l’Afrique navigue entre un optimisme effréné et une réalité bien moins rose. Et si l’heure de son réveil sonnait enfin ?
Depuis la chute des matières premières de 2015, l’économie du continent africain décroche une nouvelle fois. À tel point que sa croissance s’est figée, en 2016, à son étiage le plus bas depuis 25 ans ! Depuis, léger sursaut mis de côté, le continent tangue, profite et chavire au gré de ses 54 pays. « Malgré des taux de 4 %, la reprise dans les pays exportateurs de minerais, comme la République démocratique du Congo, demeure insuffisante par rapport à la progression de leur population, explique Ruben Nizard, économiste Afrique chez Coface. Mais ailleurs, en Côte d’Ivoire, au Sénégal ou dans les pays de l’Est, comme l’Éthiopie, le Rwanda ou le Kenya, la croissance s’affiche parmi les plus fortes au monde, grâce à de vastes programmes d’investissements et d’infrastructures. »
Risques politiques et politiques publiques à risques
Pourtant, même dans ces économies plus dynamiques, des voix s’élèvent toujours contre l’absence de progrès. « Les taux de pauvreté et de chômage des jeunes restent très élevés, observe l’économiste. Les risques politiques ralentissent le développement de nombreux pays : lutte contre Boko Haram dans le Sahel, violences entre agriculteurs peuls et chrétiens au Nigéria, tensions ethniques et sociales en Éthiopie, etc. »
Guerres civiles et tensions ethniques n’expliquent pas à elles seules le sur-place africain. En cause, tout simplement et dramatiquement, les politiques publiques de bon nombre d’États, responsables du marasme. Alors que près de 50 % de la population vivent sous le seuil de pauvreté, les investissements plafonnent à moins de 20 % du PIB de leurs pays. « L’aide au développement recule elle aussi. Mais pas la corruption qu’elle entraîne souvent, comme au Sierra Leone ou en Angola, où la famille Dos Santos au pouvoir est en train de détourner des dizaines de milliards de dollars », s’inquiète le consultant Jean-Luc Buchalet (son livre, Le futur de l’Europe se joue en Afrique, co-écrit avec Christophe Prat, vient de paraître chez Eyrolles).
La sino-dépendance
Un panorama explosif dont certains « raiders » ont su s’arranger pour profiter des richesses du continent. En premier lieu, la Chine – suivie de près par l’Inde. Les nouveaux businessmen d’Asie ont depuis le début des années 2000 largement distancé les partenaires historiques de l’Afrique, comme la France ou les États-Unis. Mais ces nouvelles relations économiques paraissent très déséquilibrées. « Il existe une dépendance nette à la demande chinoise, détaille l’économiste de Coface*. Alors que les exportations africaines vers la Chine consistent à 90 % en matières premières brutes qu’ingurgitent goulument les usines, les importations vers l’Afrique se composent exclusivement de biens manufacturés ou d’équipement. » Une emprise qui pose également la question de l’accaparement de certaines terres africaines par Pékin ou du risque d’endettement imposé à certains pays pauvres (Djibouti, Éthiopie) par le mastodonte chinois, dans le cadre de son pharaonique projet de nouvelles routes de la soie, One Belt, One Road…
Économie informelle
Malgré ces déséquilibres, c’est cette relation faussée même qui pourrait bien sonner le réveil africain. « L’Afrique entre enfin dans une phase de développement organique, assure l’économiste spécialiste des marchés émergents et chercheur associé à l’Iris*, Jean-Joseph Boillot. Les biens chinois de consommation de masse bon marché engendrent un appétit de travail et de nouveaux services, à l’image des smartphones, des motos et des minibus asiatiques qui connectent entre eux les villages et les marchés. » Il existe bien une autre Afrique, en pleine transformation. « Le premier signal du réveil africain provient des vieilles lignées ethniques commerçantes transfrontalières comme les Peuls, les Dioulas ou les Haoussas en Afrique de l’Ouest. Mais ces entrepreneurs conservateurs – alimentation, industrie ou BTP – restent dans l’économie informelle », constate Boillot.
Afrique 3.0
Restent… les nouvelles technologies et le numérique. Avenir du continent ? Possible. Des secteurs innovants investis par une nouvelle génération d’Africains installés un temps à l’étranger ou qui ont étudié loin du continent avant de revenir créer leur entreprise sur leurs terres. « Ils se structurent avec des réseaux de pépinières comme Afrobytes, pour développer des innovations, aussi bien dans l’énergie solaire ou éolienne que dans la surveillance par drone des cultures de fraise au Mali, la réservation en ligne de places d’autobus ou encore l’utilisation des biomasses, comme en Côte d’Ivoire », s’enthousiasme le spécialiste des économies émergentes, de retour d’un voyage en Côte d’Ivoire et Mauritanie. En découle déjà l’éclosion des premières sucess stories entrepreneuriales à l’image de Jumia – l’Amazon africain – ou de M-Pesa – l’application kényane de mobile banking aux 17 millions d’utilisateurs.
L’Afrique pourrait dominer enfin ses handicaps pour rentrer de pied ferme dans l’économie 3.0. », Jean-Joseph Boillot : « Les innovateurs se caractérisent par leur imagination à trouver des solutions aux contraintes de leur environnement. Là-bas, ils ont une idée à la minute, car tout est encore à faire !
Pierre Havez
Coface : c’est une société d’assurance-crédit. Mission : aider les entreprises à se développer en assurant le risque d’insolvabilité de leurs clients, leur donner les moyens de décider des crédit nécessaires pour vendre sur les marchés intérieurs et à l’export.
Iris : Institut de relations internationales et stratégiques. Association créée en 1991 sous la forme d’un think tank français dédié aux recherches géopolitiques et stratégiques. Le seul organisme de dimension internationale totalement privée et indépendant.
Mais si, la révolution numérique s’accélère !
Décidément, l’Afrique rattrape son retard à vitesse grand V dans le domaine numérique. Le continent espère même faire des nouvelles technologie le fer de lance de sa croissance. Spécialiste de la création de sites Web et de l’externalisation de services, le Français Nicolas Goldstein est l’un des premiers à y avoir cru. Dès 2015, il s’installe à l’Île Maurice pour y fonder un incubateur particulier. « Pour me dissocier des quelques pépinières de start-up existantes, j’ai préféré me concentrer avec mon équipe sur la recherche de talents, la formation et le placement de ces compétences en Europe, en télétravail, explique le jeune quadra. Ces nouveaux talents visent à combler le recul de qualifications en vente, en informatique ou dans les télécoms dans les pays occidentaux dans les prochaines années. » Trois ans plus tard, la structure a déjà placé plus d’une centaine de ces personnes qualifiées et songe désormais à essaimer ce concept à Madagascar, en Côte d’Ivoire ou en Tunisie !