84 % de 4,6 millions d’Européens ne veulent plus du double changement horaire du printemps et de l’automne. Les Françaises/es sont 83,71 % sur 2,1 millions de votants à souhaiter en finir avec l’avance ou le retard de l’heure officielle (et une majorité voudrait garder l’heure d’été). Certitude : le jonglage horaire été/hiver en Europe sera « aboli » (dixit le président de la Commission européenne). Mais quand et dans quel sens ?
Pour une Europe en pleine crise existentielle, écartelée entre 28 États, confrontée à la sécession britannique, remise en cause dans son essence – Europe des nations ou fédérale ? – et même soupçonnée de n’être que le fruit avarié d’un complot américain – Philippe de Villiers, J’ai tiré sur le fil du mensonge et tout est venu, Fayard –, pour cette Union étendue sur trois fuseaux horaires, l’heure a sonné de l’épreuve de l’heure : refigera-t-on les aiguilles et dans quel sens, été ou hiver ? Les décisions à venir sont tout sauf simples.
Débat au clair de lune
Depuis 1975 en France, on « fait avec ». Le jour où, sous la présidence Chirac, fut décrété le double changement d’heure – on avance d’une heure dans la nuit du 30 au 31 mars, on recule d’une heure dans la nuit du dernier dimanche d’octobre –, le pays tout entier s’est prêté à la nouvelle gymnastique horaire sans regimber. Ce fut presque un jeu. À la clé, une économie énergétique à coût nul en plein choc pétrolier, jusqu’à récemment estimée par l’Agence de l’environnement de la maîtrise de l’énergie (Ademe) à 440 GWh d’électricité par an – Marseille et Lyon additionnées, 44 000 tonnes de gaz à effet de serre non rejetés. Ledit bilan, pourtant, s’effrite. En 2016, la même agence a limité à 351 GWh son estimation d’épargne d’électricité, sur fond de gains énergétiques et isolation, soit 0,07 % de la consommation totale. Sans parler du 1,5 milliard de kWh englouti dans le chauffage et l’éclairage suscités par les matinées sombres hivernales. À quoi bon, plaident les réticents à la valse horaire qui ne manquent pas de souligner le sursaut de crises cardiaques dans la semaine qui suit le changement ou l’accroissement des accidents de la route dus à l’obscurité avancée entre 17 et 19 heures l’hiver. Le sénat français, en pointe sur la question, s’inquiète de ces matinées nocturnes quand le soleil ne se lève qu’entre 9 et 10 heures alors que l’activité a repris et que la première récréation des jeunes scolaires a lieu de nuit…
L’été, le bilan avantages/inconvénients n’en finit pas entre les tenants des journées plus longuement éclairées – synthèse de la vitamine D vitale pour l’organisme et la protection des os, tourisme favorisé et sports de plein air avantagés – et les ennemis de ces journées artificiellement décalées par rapport au cycle solaire (GMT + 2).
Recalages délicats
Cette heure en plus ou en moins charrie des enjeux immenses.
À imaginer que les États de l’Union ne se mettent pas d’accord pour se caler sur un écart raisonnable entre eux, les travailleurs frontaliers en font des cauchemars. Le Premier ministre luxembourgeois tremble à l’idée que les 200 000 mouvements transfrontières journaliers ne soient plus synchronisés. L’Espagne songe à se caler sur le méridien de Greenwich pour se coordonner avec le Portugal et non la France. Les Finlandais aspirent à vivre à l’heure de leurs voisins suédois. Quant aux Britanniques, Brexit ou pas, ils ne toucheront pas à Big Ben, quitte à ce que, si le changement horaire est abandonné, l’Irlande du Nord ne soit pas à la même heure que l’Irlande ! Aujourd’hui, l’écart maximal entre deux pays européens se limite à deux heures (entre Lisbonne, Portugal et Sofia, Bulgarie). Un peu de dissensions aidant, il pourrait, après l’abandon du système actuel, se porter à trois heures. Ou pas. Les instances européennes ont mis en garde : pas plus d’une heure de différence entre deux pays de l’Union !
En revanche, disent les éleveurs, vive une heure régulée tout au long de l’année : nos animaux ne seront plus perturbés, production laitière préservée à la clé. C’est aussi le souhait des établissements de soin, des crèches, des écoles et l’ensemble des personnes âgées bousculées parfois gravement dans leur cycle de vie fragilisé.
Mais un acteur économique majeur va sans doute repousser toute velléité de changement d’horaire au moins à 2021…
Vols à l’heure
Le transport aérien. Cette fois, pas question de jouer avec le Soleil. Ces mouvements combinatoires ne s’improvisent pas en fonction des choix GMT + 1 et GMT + 2 des États. Des conférences bisannuelles occupent chaque année les autorités internationales pour fixer les horaires des couloirs de vol que les compagnies vont adapter aux fuseaux des États et au double changement horaire. L’ IATA (International Air Transport Association) a déjà prévenu : impossible de revoir nos schedules avant 18 mois.
Donc l’abandon du changement horaire – inéluctable – commencera au mieux en 2021. On verra alors si les 28 ou 27 États de l’Union parviennent à régler leurs montres.
Jouer avec l’heure, un vieux réflexe
Cette affaire horaire n’a rien d’un phénomène apparu en 1975 en France, pionnière de la réapparition du double changement (la plupart des États européens l’appliquent à leur tour en 1980, mais l’Union n’harmonisera le principe par directive qu’en 1998). Benjamin Franklin l’avait préconisé dès 1784 aux États-Unis « pour économiser la chandelle ». La mesure sera décidée en 1916, en pleine Guerre mondiale, pour épargner le charbon. La paix en suspend l’effet. Mais on la réapplique pour les mêmes raisons lors du second conflit mondial.
Par Olivier Magnan