Terminé, les hôtels standardisés. Les voyageurs d’affaires, sous l’impulsion des millenials et du numérique, sont aujourd’hui à la recherche d’expériences uniques. Oui, « l’hôtellerie est en train de se transformer profondément. Les 20-40 ans travaillent aujourd’hui de manière très différente de leurs aînés. Les nouvelles générations souhaitent se sentir à l’hôtel comme à la maison. Ils apprécient les halls soignés dotés d’espaces collaboratifs où ils s’installent pour travailler. Et puis la frontière entre vie professionnelle et vie personnelle est en train de disparaître. Si l’expérience des pros en mission est agréable, ils n’hésitent pas à prolonger leur séjour et à demander à leurs compagnes et compagnons de les rejoindre pour une pause dans une capitale, le temps de quelques jours », analyse Aziz Termini, propriétaire d’hôtels à Paris. Pour répondre à cette cible aux attentes en rupture totale avec celles de leurs aînés, tous les hôtels sont en train de repenser leur modèle. Des groupes hôteliers tels que CitizenM, 25 Hours, Okko Hôtel ou encore The Hoxton ont très tôt pris la mesure des attentes de cette nouvelle génération de voyageurs d’affaires. Ils offrent désormais des espaces communs majestueux et n’hésitent plus à faire appel à des artistes très en vue, chargés d’ornementer des espaces communs uniques (lire encadré). Termini : « Dans les halls de ces hôtels nouvelle génération, il n’est pas rare de voir des start-uppers en chaussettes, confortablement installés dans des canapés en train de travailler sur leur tablette ! Ils sont à l’hôtel comme à la maison ! L’hôtellerie a aujourd’hui pris conscience que les millenials étaient à la recherche de séjours pas comme les autres. Ils veulent avoir quelque chose d’exceptionnel à prendre en photo et pouvoir rentrer chez eux en disant “Regarde l’hôtel où j’ai dormi !” » Cette génération qui va progressivement chambouler les offres de l’hôtellerie traditionnelle, constate Jean-Virgile Crance, président de Louvre Hotels : « En 2015, les millenials représentaient 33 % des voyageurs d’affaires. Ils compteront pour la moitié des voyageurs en 2020. Cette génération manifeste une approche beaucoup moins statutaire et cherche avant tout une expérience unique, loin des hôtels standardisés. » On l’a bien compris.
Nouveaux lieux de vie
L’hôtel devient dès lors un lieu de vie, ouvert sur le quartier et sur la ville. Il n’est plus réservé à une clientèle de résidents mais s’ouvre aux locaux qui, le temps d’un déjeuner ou d’un dîner, viennent profiter d’une ambiance unique. Le CitizenM, dans le quartier de La Défense, est parvenu à devenir en quelques mois un incontournable du quartier d’affaires. Les cadres s’y pressent en sortie du bureau pour partager un verre ou un dîner, et il n’est pas rare de se voir refuser l’accès par manque de place. Idem pour The Hoxton, localisé dans le quartier du Sentier à Paris. Voilà un hôtel qui accueille tout au long de la journée une clientèle de cadres pour des déjeuners et des dîners personnels et professionnels. Pour séduire ces jeunes citadins en recherche d’atypique, les groupes hôteliers ont réalisé des aménagements haut de gamme, investissements financiers coquets à la clé. « Les hôtels qui ne se renouvellent pas affichent des résultats de profitabilité en baisse. Auparavant, on avait coutume de dire qu’un actif devait être renouvelé tous les 10 à 15 ans. Aujourd’hui, il est préférable de se renouveler tous les cinq ans, sous peine d’obsolescence », constate Dominique Ozanne, CEO Covivio, groupe coté en Bourse qui détient aujourd’hui plus de 400 hôtels en Europe.
Minimiser les coûts pour maximiser l’effet whaou
Dans un secteur ultra-concurrentiel, les groupes hôteliers doivent proposer des expériences personnalisées et uniques, sans pour autant tirer le prix des nuitées à la hausse. Pour y parvenir, les grands groupes hôteliers inventent de savantes recettes : revoir la superficie des chambres à la baisse – l’offre d’hébergement s’accroît d’autant. Là où un hôtelier propose encore couramment cent chambres, le même espace aujourd’hui divisé va en créer 150, voire 200. Entrons : plus de « bureau » ou table de travail. Les résidents s’installent désormais dans de vastes espaces communs, très décorés, voire carrément dans des espaces de coworking, à l’intérieur même de l’hôtel. Si la literie reste haut de gamme et soignée, l’hôte, souvent, n’accède au lit que par un seul côté ! Quant à la salle de bains, elle est fonctionnelle, mais petite et souvent… en préfabriqué. Autre économie de coût importante : celle réalisée sur le management et la gestion du personnel, des postes de dépenses parmi les plus importants pour les hôteliers en activité. Sur ce point, la palme revient au groupe CitizenM, précurseur, qui s’est largement appuyé sur les nouveaux outils numériques.
Digital et postes flottants
Les collaborateurs du groupe n’ont plus de poste dédié comme dans l’hôtellerie traditionnelle, riche de ses réceptionnistes, responsables room service, concierges, majordomes et chefs d’équipes. Désormais, tous les postes sont flottants et les collaborateurs deviennent des « ambassadeurs » de la marque. La réception n’est pas assurée par une personne en particulier mais par l’ensemble des collaborateurs qui alternent, selon leurs disponibilités. C’est désormais à l’aide d’une tablette que les visiteurs réalisent check-in et check-out, ils gagnent et quittent leur chambre de façon totalement autonome. Les collaborateurs, pour leur part, sont débarrassés des tâches administratives pour se concentrer sur la relation client. « Avec cette organisation, nos tâches ne sont pas répétitives. Il est aussi possible de s’organiser entre nous : par exemple s’il y a des journées durant lesquelles je n’ai pas envie d’être en contact avec les guests, je peux me charger du bar ! Et l’on s’adapte aux flux. Certains jours où l’occupation de l’hôtel est faible, pas besoin de prévoir quelqu’un à l’accueil en permanence », explique la collaboratrice d’un hôtel parisien nouveau format.
Recruter des talents, au-delà de l’hôtellerie traditionnelle
La profonde mutation que connaît le secteur de l’hôtellerie s’étend au recrutement des collaborateurs. Naguère, les établissements les plus prestigieux accueillaient en leur sein uniquement des cadres au solide bagage académique. Les groupes hôteliers n’hésitent plus à présent à aller chercher des talents dans d’autres secteurs, pourvu qu’ils/elles se révèlent motivé/es et multilingues. « Je crois que personne n’a prêté attention à mon CV ! La sélection des candidats s’est faite au travers de workshops durant lesquels les recruteurs prêtent davantage d’attention à notre personnalité qu’à notre expérience. Finalement, dans les personnes retenues, il y a peu de profils issus de l’hôtellerie. Je travaille par exemple avec un ancien ingénieur agronome qui a souhaité changer de vie professionnelle », raconte notre témoin.
Chloé Pagès