Importé des États-Unis dans les années 1950, le master of business administration (MBA) jouit toujours d’une excellente notoriété, mais le discours évolue. Vers peut-être plus d’honnêteté ?
MBA, un booster de carrière. Combien de fois a-t-on pu lire ce titre ? En près de soixante-dix ans d’existence sur le marché hexagonal, le master of business administration a réussi à se façonner une solide notoriété. C’est à la business school qui affichera le meilleur gain salarial, la meilleure promotion professionnelle pour attirer les candidats aux pédigrées les plus élevés… Chaque année, le quotidien britannique The Financial Times vient faire ou défaire des réputations d’établissements prestigieux, avec son classement annuel, progressions salariales à la clé. On y apprend ainsi que le bellifontain Insead a reculé de deux places en deux ans, devancé dorénavant sur le podium par Stanford et Harvard. Toutefois, les bonds de salaire répertoriés par ce quotidien atteignent 104 % pour l’Insead, 131 % pour Singapour, 183 % pour Ceibs en Chine ou bien encore 128 % pour Iese Business School en Espagne. À force de se montrer époustouflants, ces taux sont devenus suspects aux yeux de certains ! « À part chez les acteurs majeurs du marché, le retour sur investissement en espèces sonnantes et trébuchantes n’est pas immédiat, commente sans détour Alain Kruger, directeur des MBA ESG. Les évolutions que l’on va rencontrer sont de l’ordre de 10 à 30 % dans les trois à six ans post-MBA, mais assurément pas de l’ordre de 50 % à 100 % comme on peut le lire parfois. En outre, 60 % des participants restent dans leur entreprise d’origine, ce qui signifie une relative stagnation que vous ne connaîtriez pas en changeant d’entreprise. Les storytellings du passé ne sont plus possibles. » Débit important, voix posée, Thibault de La Rivière, directeur de Sup de luxe, dit « vouloir lutter contre ces discours qui mentent clairement. Avec un MBA, et précisément dans le luxe, on ne devient pas forcément le roi du monde, mais on apporte une aide au développement d’un produit ou d’une marque. Et pas pour des salaires très élevés. C’est tout. » D’ailleurs, apprend-on, The Financial Times envisage de revoir sa copie, de reprendre les critères d’évaluation.
Cursus de chef de gare américain
Puis de telles données ne reflètent qu’une partie de l’offre. « Les MBA, c’est du commerce bien fait, analyse Thierry Grange, fin connaisseur du système pour avoir été à la tête de Grenoble École de management (GEM) pendant dix ans et membre actif des organismes internationaux d’accréditation. Il y en a pléthore. Il en existe pour tous les profils, toutes les entreprises, à tous les prix. Calculer la rentabilité d’un programme demande de déterminer d’où l’on vient et ce à quoi l’on veut accéder. Plus cette distance est grande, plus le retour sur investissement sera élevé », balance Thierry Grange, toujours enjoué et vibrant pour parler de ce cursus créé en 1903 pour former les salariés qui travaillaient sur les lignes de chemin de fer américaines et les faire accéder au poste de chef de gare ! Un cursus pour chef de gare, ça n’est pas vendeur !
La planète compte aujourd’hui 266 programmes (33 % de plus en cinq ans) accrédités par la britannique AMBA (pour Association of MBA), dont 23 en France. Chief executive, Andrew Main Wilson annonce la future reconnaissance d’un, voire deux programmes tricolores supplémentaires dans les mois à venir – dont celui de l’Essec. Pour reprendre l’expression de Charles Berger, directeur des programmes MBA et MSc au sein de lISC Paris, « une telle accréditation, c’est comme décrocher une étoile au guide Michelin ». De quoi faire aussi le tri parmi les établissements. En 2016, 43 000 participants ont été recensés dans le monde, pour ces programmes – en global ou en format executive, autrement dit sur deux ou trois jours. Et le tout souvent à des prix très élevés. Pour beaucoup, MBA rime avec « vache-à-lait ». Mais la clientèle du MBA évolue, et ses attentes en matière de Return on investment (ROI) aussi.
“Money is no more enough”
Prénom : Stéphanie. Nom : Scouppe. Sa fonction avant son MBA ? Directrice générale Développement responsable et Déontologie du groupe La Poste. Quel ROI pour son MBA préparé il y a six ans ? « Améliorer la coopération avec des fonctions supports, détaille-t-elle, asseoir des compétences, élargir le champ de compréhension de l’entreprise et pouvoir développer une argumentation plus précise, plus technique pour préciser comment mes matières peuvent interférer avec les leurs… Un sas d’ouverture. » Et Stéphanie Scouppe de dérouler pendant plusieurs minutes sa perception. Pas un mot sur le volet financier. « L’argent n’est pas un moteur, ajoute-t-elle. Je préfère être moins payée, mais travailler avec un chef qui me fasse grandir. Le ROI doit se situer sur le plan humain. »
Stéphanie Scouppe n’est pas « un cas » isolé. Samir Es Sabahi s’inscrit dans la même démarche. Ce pur produit industriel, directeur d’une cimenterie pour le compte de Lafarge Holcim en Algérie, insiste sur « la transformation personnelle.»
Et sur son envie d’« explorer de nouveaux horizons, comme l’entrepreneuriat humanitaire, la crypto-monnaie – pourquoi pas pour les migrants ? L’objectif est de mieux comprendre notre environnement, de pouvoir me positionner plus efficacement. » L’un et l’autre ont choisi l’executive MBA d’HEC. À travers ces deux parcours, on s’éloigne grandement du modèle du cadre aux dents longues. Face aux parcours empruntés par les anciens du MBA, Hervé Remaud, professeur à Kedge Business school, aime à parler de « ROI immatériel, parce que le MBA coïncide souvent avec un retour sur soi, à un ressourcement. Avec une dimension entrepreneuriale de plus en plus marquée qui donne un aspect proactif de la conduite des affaires qui séduit. »
Effet de la crise économique ou traditionnelle crise psychologique de la quarantaine – âge classique pour se lancer à l’assaut d’un MBA –, les mentalités évoluent. « Le gap salarial n’est pas la motivation première, ajoute Alain Kruger, dont l’établissement a fait du marché des MBA sa spécialité. Et puis, il y a aussi des retours de flamme. » Stéphanie Scouppe abonde dans ce sens. « Les désillusions sont parfois au rendez-vous. La recherche à tout prix du ROI est à double-tranchant. L’emballement risque de se conclure par un licenciement. »
Les PME sont dans le jeu
« Nos étudiants ne sont pas déconnectés des réalités, commente Phil Eyre, directeur des programmes MBA au sein de Grenoble École de management (GEM). Il est question des gilets jaunes, de l’inégalité dans la distribution des richesses. La sustainability est très plébiscitée. Les centres d’intérêt ont évolué avec les années, depuis la crise de 2008 surtout.» Développement durable, humanitaire… autant de secteurs autrefois délaissés par les détenteurs d’un MBA, cette Roll’s Royce du management. Intégrer un grand groupe n’est pas le seul schéma en tête. « Depuis deux ans, une tendance nouvelle se dessine, souligne Charles Berger, qui est de voir l’intérêt suscité par les start-up. » Les dernières statistiques de cette école parisienne sont très nettes : 50 % dans une grosse boîte, 20 % dans une start-up, 30 % dans une entreprise de taille intermédiaire (ETI). TPE-PME ? Ce taux grimpe à 47 % pour les anciens de la promo 2018 du MBA d’Audencia, « à corréler avec le tissu économique du grand ouest », précise Anne Villate, responsable du recrutement pour l’executive MBA.
De tels chiffres ne sont pas sans conséquence sur les rétributions des nouveaux emplois décrochés. De deux ou trois ans à l’origine, le temps nécessaire pour amortir les frais engagés s’étale plus facilement sur quatre ou cinq ans désormais. D’autant que les entreprises mettent moins la main au porte-monnaie pour les formations des hauts dirigeants. « Avec la réforme en cours de la formation professionnelle, les financements sont à l’arrêt, commente aussi Anne Villate. Entre novembre et février, par exemple, aucun dossier n’a pu profiter d’une prise en charge au titre du compte personnel de formation, CPF. Nous avons vécu une année d’attentisme. » À en croire quelques acteurs du marché, au-delà de 18 000 euros – prix modeste pour un MBA –, tout serait à la charge des candidats.
Les MBA traverseraient donc une crise. Une baisse d’attractivité. Ceux qui en subissent le plus les conséquences sont situés en Île-de-France. Les directions financières des sièges sociaux implantés dans le quartier de La Défense ou dans le nouvel eldorado des affaires qu’est la Seine-Saint-Denis ont resserré les cordons de la bourse. Les budgets ont triste mine. Et c’est sans compter le manque d’attractivité des tarifs au plan international. Pas assez chers, ils manquent de crédibilité. Tout est relatif, finalement.
Murielle Wolski