Les centres commerciaux français alignent 50 ans d’âge. Depuis l’hypermarché à Landerneau de M. Leclerc père, Édouard, le modèle a connu son apogée. Il tend à s’essouffler quelque peu. Pour perdurer cinquante années de plus, ces « malls » à l’américaine devront devenir des lieux de vie à part entière. Visite guidée.
Et si les centres commerciaux, qui signent leur demi-siècle de présence en France, avaient besoin de se renouveler ? C’est en tout cas, d’après Jérôme Le Grelle, Executive Director Retail chez CBRE (anciennement directeur Immobilier du groupe LVMH et directeur de la Gestion locative et immobilière de la Foncière européenne de Carrefour), un impératif s’ils veulent perdurer. Le modèle d’il y a cinquante ans a assez peu évolué au final, dit-il, et c’est une des raisons pour lesquelles les performances de certains centres commerciaux sont menacées. « Regrouper plusieurs offres sous un même ensemble était innovant à une époque où l’on consommait pour vivre, dans une démarche utilitaire. La structure familiale a évolué, les besoins aussi. Ils sont moins uniformes, plus ponctuels, comme le prouve le succès de l’e-commerce. »
Un point. On dénombre un peu plus de 800 centres commerciaux dans l’hexagone. En 2018, ils ont terminé l’année sur une baisse de fréquentation cumulée de 1,7 %, selon l’indice du Conseil national des centres commerciaux (CNCC). Les gilets jaunes ont clairement impacté négativement le rituel des courses du samedi. Mais carrefours bloqués ou pas, les Carrefour et autres Auchan, modèle traditionnel de l’hypermarché et galeries marchandes de chaque côté de l’allée centrale, se retrouvent en difficulté. « Dès lors que votre locomotive d’autrefois, l’hyper, est menacé par une baisse de flux, c’est tout l’édifice qui est en sursis, appuie Jérôme Le Grelle. Le salut passe par la mise en place de nouveaux concepts. » Selon lui, la clé se cache dans la capacité des retail parks à « venir au-devant des consommateurs, après des décennies de schéma inverse. Les acheteurs recherchent de la proximité, à la fois géographique et temporelle ». Exemple, l’enseigne Monoprix. Elle a su décliner son offre et réinventer ses formats de magasins, en s’implantant par exemple dans les gares. « Les hypermarchés s’étendaient naguère sur 15 000 km2, ils plafonnent à 5 000 aujourd’hui. Ce sont désormais les restaurants qui jouent le rôle de locomotives, notamment car ils ne sont pas dématérialisables », dixit Mickaël Coutin, cofondateur d’AK Consulting, cabinet de conseil en immobilier commercial.
S’ouvrir vers l’extérieur
En France, les centres commerciaux restent encore essentiellement des lieux d’achat. L’idée directrice : en faire à terme des lieux ouverts vers l’extérieur, par l’offre et l’animation et l’esthétique, « notamment via une architecture qui s’imbrique davantage dans la ville, au lieu de la dénaturer », préconise Olivier Fouqueré, directeur-fondateur d’Emprixia, société d’études marketing spécialisée dans l’analyse des territoires commerciaux. La loi Élan, votée fin 2018 et censée réformer l’immobilier, tombe à pic : elle pourrait générer un impact sur l’avenir des sites commerciaux. Un volet de la loi prévoit la (re)vitalisation les centres-villes. Elle passe nécessairement par l’apparition de nouveaux commerces. Nos voisins européens ont déjà entrepris d’en finir avec la fermeture des centres commerciaux sur eux-mêmes. Au Portugal, l’un abrite par exemple un hôpital. Au Danemark, une école philarmonique a élu pavillon dans un de ces temples de la consommation. D’une façon générale, les galeries doivent idéalement développer leur offre en s’orientant vers le service. De la restauration aux loisirs, mais sans se cantonner aux seuls commerces. « Certains centres proposent par exemple des murs d’escalade ou des escape games. D’autres ont implanté des services médicaux ou de gardiennage des enfants, illustre Olivier Fouqueré. Il faut refaire des retail parks un lieu de destination où vivre une expérience particulière. L’idée première, c’est de garder le client le plus longtemps possible sur le site, qu’il dîne ou déjeune sur place. » Le centre commercial traditionnel fut calqué sur le modèle américain. Aujourd’hui, en France, un repas sur trois est consommé à la maison. Aux États-Unis, le ratio n’est que d’un sur cinq. La marge existe.
Marc Hervez