Le recruteur, l’IA et le poste

Que sera le recrutement du futur, entre postes nouveaux, marché du travail fluide, robotisation à outrance et omniprésence de l’intelligence artificielle ? Et, question waouh, quelle sera la place de l’humain dans tout ça ?

Lorsque j’arrive au bureau ce matin, je ne sais pas, comme d’habitude, ce qui m’attend. Sera-ce une journée de plus passée à peaufiner notre algorithme de sélection ? Vais-je procéder à un vrai recrutement ? Même si je sais que cette deuxième hypothèse est a priori la bonne – le dernier projet de l’entreprise est l’un des rares qui exige une véritable embauche –, je ne suis jamais sûr. Et puis j’aime bien, d’un autre côté, tester notre algorithme maison. Le processus est assez simple : je lui fournis un descriptif de mission ou de poste, lui donne soit un ordre de recherche général sur les réseaux et plates-formes, soit un nombre limité de candidats (plus ou moins) fictifs, et puis j’analyse ses recommandations pour voir quels ajustements apporter aux diverses variables de notre modèle de recrutement. Compte tenu de l’évolution plus que rapide des métiers, ces ajustements constants sont nécessaires et font partie intégrale de mon travail en tant que recruteur. Je suis assez fier de ce qui est, après tout, mon bébé, compte tenu du nombre de modifications que j’ai moi-même apportées au code source (eh oui, tous les recruteurs sont maintenant, à des degrés divers, des codeurs…).

Votre vidéo ne peut excéder 3 Gbits…

Mon intuition est bonne : c’est, aujourd’hui, un vrai recrutement qui va m’occuper. C’est rare. Et pour cause, aujourd’hui, on ne recrute plus par hasard : challenges, recours accrus aux prestataires, robotisation, entreprise agile… Un poste n’est pourvu que lorsque le besoin – en termes de durée, de capital humain, d’importance pour le projet et l’entreprise – en est impératif. Et le premier choix à opérer est loin d’être simple – et il surprendrait beaucoup mes prédécesseurs, feu les DRH. Humain, intelligence artificielle ou une combinaison des deux ? Compte tenu du travail en question, qui suppose imagination créatrice (encore un des domaines que l’IA n’a pas vraiment conquis de façon satisfaisante) et recherche intensive, il me semble justifié de me placer dans la troisième hypothèse : ça ne me facilite pas le travail, puisqu’il me faudra trouver une IA et un humain capables de travailler en symbiose. Mais le jeu en vaut la chandelle (tiens, il faudra que je cherche d’où vient cette expression, c’est quoi une chandelle ?). Je décide également, à tant faire, de sortir le grand jeu. Je lance Melchior (mon algorithme favori) à la recherche de candidats, pêle-mêle, sur l’ensemble des réseaux et plates-formes disponibles. Je ne me limite pas, c’est à dessein. Tout le monde, aujourd’hui, possède plusieurs « résumés », sorte de croisement entre l’antique CV (c’était du latin, je crois, curriculum vitae, le cours de la vie) et la nécessité de se montrer, aujourd’hui, pour les candidats, protéiformes, multimédias et multicanaux – vidéos, self-interviews… Il est toujours instructif, quand on a repéré un/une candidat/e prometteur/euse, de faire le tour de tout ce qu’il/elle présente, et pas seulement de ce qui est pertinent pour le poste à pourvoir. On ne sait ce qu’on peut apprendre, ça peut faire pencher la balance dans un sens ou l’autre.

Pas de visio…

En parallèle, je me lance moi-même dans une recherche plus limitée, elle va porter sur les profils déjà connus de l’entreprise (et, par extension, de moi-même). La cooptation et les réseaux personnels ont pris une importance croissante dans mon univers professionnel, en partie parce que la garantie apportée par la connaissance personnelle des capacités et surtout de la personnalité de quelqu’un est meilleure que tout ce que peut apporter une IA, aussi performante soit-elle. Et pour l’IA, je me repose là aussi sur les capacités de Melchior, qui est beaucoup plus apte que moi à vérifier si les IA visées ont, d’une part, le potentiel de répondre à notre demande, mais aussi de s’intégrer dans notre structure numérique. En quelques minutes, j’ai sa sélection entre les mains. Définir la shortlist des candidats humains est un peu plus long, mais en fin de matinée je peux envoyer le message de contact – proposition de rendez-vous physique de préférence, je suis un peu vieux jeu de ce point de vue là, mais je considère que la visiophonie ne transmet qu’une information partielle, entre l’absence, par exemple, des phéromones du contact direct, ces subtiles odeurs que je ne perçois pas, et le cadrage réducteur de la caméra. Sans oublier les possibilités de fraude, bien sûr, dans le cas d’échanges purement dématérialisés…

Elle fait passer  les voyants au vert

Dès l’après-midi, j’organise deux rencontres (on ne parle plus depuis longtemps d’entretien d’embauche), entre des candidats (humains et IA) et moi. C’est une étape à laquelle je tiens particulièrement : même s’ils le cachent bien, certain/es ont encore de la rancœur à travailler avec une IA – mais Melchior, et moi par extension, sommes très doués pour repérer les signaux non verbaux. Par chance, la deuxième candidate, recommandée par un collègue, est déjà très familiarisée avec Zédek, l’IA la plus chaudement recommandée par Melchior, et elle met au vert tous les voyants (santé, détermination, passion, envie de se stabiliser pour une période indéterminée…). Avec un soupir, je notifie le soir même ma décision au comité, qui l’approuve quasi instantanément, décision que je transmets illico à la candidate – pardon, collègue maintenant. Et comme ça, d’un clic, je reviens à ma routine de perfectionnement de Melchior. Allez, ce soir, je vais le lancer sur une recherche futile, pour pouvoir analyser mieux son comportement à la marge – et pour rigoler un peu, avouons-le…
Tiens, je suis convoqué par Melchior ! Un bogue ? Ou bien joue-t-il avec l’humain ?

Jean-Marie Benoist

Au Sommaire du dossier 

1. Terrain : trois recruteuses en quête de « talents »

2. Régions : qui recrute le plus ?

3. Comment l’on recrute dans le monde 3.0

4. Le recruteur, l’IA et le poste

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