La ville intelligente, en bon français smart city, n’est plus un concept futuriste. En France et ailleurs, elle s’étale sous nos yeux, forte de nouvelles technologies de l’information et boulimique de données. Officiellement, elle vise à faciliter la vie de ses habitants au nom deux objectifs : créer de nouveaux services et améliorer la qualité des services publics. Mais il sera impératif de renforcer la sécurité informatique de tous les réseaux et capteurs…
L’urbanisation croissante force villes et territoires à optimiser leur fonctionnement tout en réduisant leurs coûts. Des transports à l’approvisionnement en énergie, de la gestion des déchets aux services urbains innovants, tous les secteurs sont concernés. Les cités sont-elles « intelligentes » pour autant ? Elles sont surtout, aujourd’hui, en chantiers permanents.
Projets et mises en œuvre dont témoigne la 6e édition du salon Smart City + Smart Grid qui s’est tenu les 2 et 3 octobre à Paris. Il a démontré la nécessité d’intégrer tous les acteurs. Les thèmes des conférences furent, c’est le moins que l’on puisse dire, « variés » : l’intégration de la « mobilité douce », la coordination du déploiement des capteurs pour mesurer la qualité de l’air, le bruit, l’identification des nouvelles technologies et des solutions « smart cities » ou comment protéger les capteurs et les réseaux de la ville des cyberattaques ? Car plus elle gagne en « intelligences », plus la cité devient vulnérable. De vraies Gotham Cities !
Marchés urbains explosés
Une ville « intelligente » génère d’abord un formidable marché évalué à 3 651,49 milliards de dollars en 2025, une telle précision fait sourire ! C’est pourtant ce qu’établit le fort sérieux Observatoire de la vie connectée. En 2016, les estimations de l’Observatoire tablaient sur 773 milliards de dollars. Depuis, on a revu la croissance annuelle : elle devrait tourner autour de 20 % sur la période 2017-2025. En cette même année 2025, le cabinet Frost & Sullivan établit que « 70 % de la population vivront en ville, contre 50 % aujourd’hui à l’échelle mondiale ». Et que « poussé par la croissance de la population urbaine, le marché des villes intelligentes devrait passer de 900 milliards de dollars en 2016 à 1 500 milliards de dollars dans le monde en 2020 ».
En 2018, les dépenses les plus importantes concernaient les secteurs de la vidéosurveillance fixe, les transports publics avancés et l’éclairage extérieur intelligent. D’ici à 2022, la gestion intelligente de la circulation, si chère au candidat à la mairie de Paris, Cédric Villani, et l’analyse prédictive des infrastructures représenteront les investissements majeurs.
L’info en temps réel grâce à la 5G
En partie absorbés par l’intégration de l’Internet des objets (Internet of Things ou IoT). Enfouis ou suspendus à des endroits stratégiques, des milliers de capteurs échangeront et transmettront des données en temps réel ou pas loin grâce aux performances de la 5G : un débit de 1 Gbit/s pour le téléchargement et de 500 Mbit/s pour envoyer des fichiers. Mais le critère le plus important pour les projets de villes intelligentes sera la faible latence de cette 5e génération de communication. Inférieure à une milliseconde, elle sera le vecteur instantané d’appel aux secours pour tout accident ou incendie. Autre usage : la sécurité des quartiers. Près de 90 villes américaines ont déployé des « capteurs de coups de feu ». Il s’agit de la solution ShotSpotter de la société SST. Elle avertit immédiatement la police lorsqu’un coup de feu est détecté, sans qu’il soit nécessaire de l’appeler.
En France, cinq villes font figure d’exemples dans le développement des smart cities : Lyon, Nantes, Dijon, Bordeaux et Montpellier. En Europe, se distinguent Pontevedra en Espagne et Copenhague au Danemark parmi les plus avancées.
Peur sur la ville
L’IoT va favoriser le développement des projets de Smart Grid. Définition de Wikipedia : « Réseau électrique intelligent – dont smart grid est l’une des dénominations anglophones – de distribution d’électricité qui favorise la circulation d’information entre les fournisseurs et les consommateurs afin d’ajuster le flux d’électricité en temps réel et assurer une gestion plus efficace du réseau électrique. »
Dans le cadre de son programme Smart Electric Lyon, le Grand Lyon a équipé plus de 20 000 usagers testeurs dans le but de réduire les consommations d’énergie et les émissions de gaz à effet de serre (GES). Lille optimise les dépenses du quartier universitaire en développant des technologies de smart grid sur les réseaux d’eau, d’électricité, de gaz, de chaleur et d’éclairage public.
Et l’eau dans tout ça ?
Des projets de smart water existent à leur tour. Baltimore, aux États-Unis, a installé et automatisé plus de 408 000 compteurs d’eau « intelligents » afin de repérer les consommations élevées, les fuites et les détournements. Les Pays-Bas ont équipé leurs digues de capteurs et installé des stations de pompage. Ce réseau combine les données ainsi obtenues avec des modèles météorologiques histoire de prédire et limiter les effets des inondations et des sécheresses dans la région…
Mais la multiplication des capteurs et des échanges des données représentera aussi une « surface d’attaque » de plus en plus élevée comme le craignent les experts en cybersécurité. Les réseaux informatiques des smart cities ne sont pas assez protégés. En 2017, un piratage avait déclenché les sirènes des tornades de Dallas. Un vent… de panique avait envahi la ville. De la paralysie de la circulation à celle des services d’urgences jusqu’au blocage du réseau en eau, les scénarios catastrophes ne manquent pas. De quoi se poser la question : faut-il rendre nos villes « intelligentes » et vulnérables ? Et la réponse ne fait pas débat : oui, quitte à récréer, à coups de défenses cybers, l’équivalent de nos enceintes moyenâgeuses…
Philippe Richard