À l’heure des legaltechs, ces technologies d’automatisation d’un service juridique, la valeur ajoutée d’un avocat ne saute plus aux yeux a priori, tellement le/la pro s’assimile à des affaires, des contentieux. Mais si l’entreprise est une entité économique, elle est également une entité juridique. Au moment de la création, les choix juridiques opérés, les engagements contractés vont déterminer en partie le chemin que vont prendre le projet et le parcours que l’entreprise va suivre. L’appui technique d’un avocat assure le meilleur départ possible.
Rédaction des statuts, fiscalité, règlement des contentieux : les avocats en droit des sociétés connaissent un spectre large d’intervention. « Leur point commun est d’intervenir en faveur des intérêts de l’entrepreneur ou de l’entreprise », rappelle Delphine Gallin, avocate associée d’un cabinet à Marseille et présidente de l’association ACE (Avocats conseil d’entreprises), 1 800 membres. Dans une société fortement normée et réglementée, dit-elle, il est nécessaire de savoir se faire accompagner pour les étapes qui impactent le devenir de la société. « Dès que l’idée d’entreprise émerge, des besoins de droit apparaissent. Bien avant le dépôt des statuts, l’entrepreneur aura besoin de déposer une marque. Ce choix est stratégique et porteur de conséquences importantes : il est de nature à mener à un contentieux dès le départ. »
Les avocats interviennent donc dès le stade précoce du projet de création d’entreprise. « Quand il en est encore au stade de l’idée, en parler avec un avocat va affiner et ajuster l’objectif et les étapes de la création de l’entreprise et de son développement, notamment pour les aspects légaux et réglementaires », explique Thomas Charat, avocat à Paris, associé et fondateur du cabinet RCCL et président de la commission Droit et Entreprises du Conseil national des barreaux. « L’avocat/e est aussi un chef d’entreprise. Il/elle a en général une bonne compréhension des enjeux auxquels sont confrontés les entrepreneurs/euses ».
La forme sociale impacte l’organisation même
Cette expérience et cette connaissance du droit font des avocats les alliés d’un entrepreneur. Dès les prémices du projet, ils sont en mesure de mener un véritable travail d’ingénierie juridique au service de leurs clients. Ils éclairent le choix du type de sociétés au regard des contraintes fiscales, sociales ou réglementaires : rédaction des statuts, définition du pacte d’actionnaires, assistance à la négociation dans les levées de fonds, prise en compte des enjeux de marque et brevet, orientation vers les compétences complémentaires si nécessaire, etc. « L’accompagnement et les conseils portent sur tous les aspects, du plus simple au plus sophistiqué. Et tous les métiers sont concernés : même un artisan devrait avoir le réflexe de recourir à un avocat, ne serait-ce que pour les questions de baux commerciaux », plaide Thomas Charat.
Tout commence par le choix de la forme sociale que va adopter la société. Entrent en jeu le capital minimal exigé, le nombre d’associés nécessaire, la finalité civile ou commerciale, la responsabilité des associés, la possibilité d’émettre des actions, etc. Toutes les formes de sociétés ne se prêtent pas à la même activité ou n’ont simplement pas le même régime fiscal. Choisir une forme plutôt qu’une autre, c’est fixer une organisation et engager le devenir de l’entreprise. L’assistance d’un avocat lors de cette étape favorise une prise de décision éclairée, en conscience des conséquences de chacune des formes existantes.
Dans quel NAF nagé-je ?
À l’avocat/e de se charger de certaines démarches auprès des institutions. Sa maîtrise des nomenclatures d’activités et de produits ainsi que les codes NAF (Nomenclature d’activité française) ou APE (Activité principale de l’entreprise) associés devient un gain de temps et évite l’erreur pour un non-initié. Ces codes qui caractérisent l’activité principale exercée par une entreprise sont obligatoires et attribuées par l’Insee. Ils déterminent par exemple la convention collective que l’entreprise devra appliquer aux travailleurs salariés qu’elle emploie.
Le recours à un/e avocat/e se révèle également fondamental lors de la rédaction des statuts de l’entreprise. Parce que la société est créée par la vertu d’un contrat, la rédaction d’icelui se doit d’être soignée. Les statuts constituent bel et bien un texte de référence qui organise la vie de la société : relations entre associés, droits et obligations des parties ou le vade-mecum des processus en cas de différends dans la société. Leurs rédactions exigent une connaissance effective de la matière contractuelle. Un contrat mal rédigé est source de nombreux risques : le prononcé de la nullité du contrat par un juge, la poursuite en justice de la société par un associé mécontent, l’existence d’une clause abusive ou plus simplement la création d’un dysfonctionnement structurel. Prendre l’assistance d’un/e avocat/e offre la possibilité de personnaliser les statuts, d’insérer des clauses conformes à la volonté du créateur et à ses intérêts.
En cas d’erreur de son conseil, le client sera indemnisé
Alors que des statuts types sont accessibles en quelques clics, le recours au professionnel prévient les contentieux et litiges potentiels, comme les risques liés à des clauses mal ficelées au regard d’une situation particulière. La rédaction des statuts en des termes clairs et précis réduit les interprétations possibles, donc les risques de différends avec un fournisseur, un client, un prestataire ou encore un concurrent. « De par sa fonction et sa pratique, l’avocat/e est en capacité d’anticiper les risques. Parce qu’il/elle a une connaissance et une expérience de la défense du risque, il/elle est en mesure de le maîtriser et, au final, de l’éviter », observe Delphine Gallin.
Ce rôle auprès de l’entrepreneur/euse est encadré par des principes déontologiques stricts, dont le respect du secret professionnel et le devoir de confidentialité. « Lors d’une négociation entre associés par exemple, les échanges restent confidentiels : c’est un véritable atout », souligne Thomas Charat. L’avocat/e observe également un devoir d’information et de diligence. Il rend compte d’une obligation de conseil auprès de ses clients. « Ce devoir connaît une portée très large : l’avocat/e doit donner à ses clients toutes les informations pertinentes pour leur permettre un choix éclairé », commente Delphine Gallin. En cas de manquement, il/elle engage sa responsabilité civile professionnelle (RCP). Le client bénéficie d’une protection : si l’avocat commet une faute qui entraîne un dommage pour son client, ledit client n’a pas à prouver qu’il n’a pas reçu les conseils adéquats. Il sera indemnisé pour le préjudice subi.
Parmi les critères du choix, la spécialisation compte beaucoup
Une telle protection n’existe pas à travers les modèles de contrats pré-fabriqués et les formules standardisées proposées par les legaltechs. « Les services en ligne sont plutôt un piège, prévient Thomas Charat : leurs prix d’entrée très attractifs ne prennent pas en compte les conséquences des clauses sur la situation spécifique de l’entrepreneur et, en cas de contentieux, les coûts ont tendance à exploser. » Des services en ligne auxquelles Delphine Gallin reconnaît une utilité : « Pour identifier un besoin de droit, même s’ils ne remplacent pas la relation de confiance entre un/e avocat/e et son client. »
Reste que l’arrivée des plates-formes juridiques en ligne a impacté le modèle économique des cabinets d’avocats spécialisés en droit des sociétés. Gallin : « Le numérique a fait baisser les coûts : de plus en plus de missions sont forfaitisées et décorrélées du volume horaires. » Charat : « Le marché tient compte des besoins des TPE. Pour les créations de société les plus simples, des forfaits sont proposés à partir de 1 500 ou 2 000 euros. Les avocat/es travaillent leurs offres : ils sont transparents et prévisibles en termes de tarifs. »
S’informer des offres et des tarifs proposés sera la première étape dans le choix du professionnel qui accompagnera juridiquement la création de la société. « Il ne faut pas hésiter à solliciter plusieurs professionnels, à demander des devis », conseille Delphine Gallin. Puis choisir en fonction de plusieurs critères, les spécialisations affichées en sont un. « Ça n’a rien d’officiel, mais on le constate dans la pratique : un avocat qui compte plusieurs clients dans l’agroalimentaire, par exemple, finira par devenir un expert dans ce domaine. Par sa connaissance du secteur, il devient un conseiller sur les questions réglementaires », fait valoir Thomas Charat. Autre critère de sélection, quoique relatif, la proximité géographique. « Pouvoir se rencontrer, c’est un plus dans la relation de confiance, c’est avant tout de cela qu’il s’agit. »
Elsa Bellanger