Nous ne devons jamais oublier qu’avant d’être des entrepreneurs, nous sommes des citoyens.
Depuis quelques jours, la rumeur persiste et enfle : de nombreuses entreprises mettraient en place de faux dispositifs de chômage partiel, c’est-à-dire qu’elles déclareraient leur salarié au chômage tout en demandant audit salarié de continuer à travailler normalement.
Le même bruit, peu glorieux, circule quant à une utilisation abusive des « PGE », prêts à 0 % garantis par l’État, qui ne serviraient pas tous à renflouer des caisses se vidant dangereusement et dont certains serviraient soit à rembourser des prêts contractés plus tôt à des taux évidemment supérieurs, soit carrément à être placés sur des comptes afin de percevoir quelques intérêts.
Avant toute chose, je voudrais que l’on évite, sans y croire vraiment, que l’on fasse de ces cas une généralité. La situation économique est catastrophique, de très nombreux secteurs sont complètement à l’arrêt ou en tout cas très largement impactés, et sans ces aides de l’État des milliers d’entreprises déposeraient le bilan dans les jours que nous vivons. Certains ne s’en relèveront d’ailleurs pas, quoi qu’en dise le chef de l’État.
Je rêverais aussi, là encore c’est un vœu pieux, que l’on ne fasse pas d’amalgames : même si je ne me retrouve pas dans ces comportements, il ne s’agit pas pour les dirigeants qui en sont coupables de s’enrichir personnellement, mais de protéger leur entreprise et les emplois qui vont avec. Nous avons trop souvent tendance à confondre le portefeuille des patrons avec celui de leur boîte lorsque l’on traite ce genre de sujets, évitons de le faire cette fois.
Une fois ces précautions prises, je ne peux qu’exprimer mon désarroi ou mon incompréhension. Nous, entrepreneurs, devons absolument lancer et soutenir un appel à la responsabilité. Je ne juge pas, je souligne en revanche l’importance de nos décisions et de nos actes en ces temps agités.
Nous devons évidemment tout faire pour protéger nos activités, nos organisations humaines, nos emplois. Mais nous devons le faire avec discernement, avec un sens exemplaire de la responsabilité et le respect des valeurs que sont les nôtres, et qu’il serait trop facile d’afficher quand tout va bien et d’oublier en « temps de guerre ».
Oui, diriger une entreprise implique une responsabilité sociale et sociétale très forte. Et, oui, celle-ci est parfois trop lourde pour les simples humains que nous hommes, souvent trop peu formés à cela. Mais c’est ainsi. Et les enjeux sociétaux qui se profilent, dont j’ai l’intime conviction, très ancrée en moi, que l’entreprise sera l’acteur clé, ne viendront pas apaiser nos tourments. Nous devrons être de plus en plus responsables.
Prenons l’argent dont nous avons besoin pour sauver nos entreprises et leur garantir la possibilité d’un avenir. Mais ne trichons pas. Tricher serait mettre plus à mal encore un système au bord du gouffre. Tricher serait menacer un peu plus des pans entiers de l’économie qui sont en très grande souffrance. Solliciter des aides si l’on n’en a pas besoin alors que tant d’autres ne survivront pas sans elles, c’est encore plus invraisemblable que d’acheter dix paquets de douze rouleaux de papier toilette au supermarché. Faisons du chômage partiel, si nos salariés sont vraiment au chômage partiel, c’est-à-dire si nous avons perdu du chiffre d’affaires et eux du travail. Profitons des prêts garantis par l’État pour maintenir des niveaux de trésorerie qui ne provoqueront pas un infarctus à notre banquier. Ne bloquons aucun paiement fournisseur, à moins d’en être absolument obligés, auquel cas nous devons les prévenir le plus tôt possible… Mettons en place toutes les mesures auxquelles nous avons droit, si elles sont justifiées et nécessaires. C’est ce que font 95 % des entreprises, j’en ai la certitude. Ces 95 % là doivent s’adresser aux autres, leur lancer cet appel.
Nous avons peur. Peur de ne pas savoir quand ni comment « ça » repartira, ni même si ça repartira. Nous avons moins de visibilité que jamais et savons en revanche d’ores et déjà que nous devrons nous battre pour sauver ce qui peut être sauvé. Les peurs sont logiques, les appréhensions évidentes. J’ai peur, moi aussi. Les notions de discernement, de bien commun, d’engagement, de responsabilité, n’ont pour ces raisons jamais été aussi importantes que maintenant.
Encore une fois, je ne juge pas, je rappelle l’importance de chacune de nos décisions. C’est dans ces temps tumultueux que nous devons afficher nos valeurs. Le pays en a besoin, le monde en a besoin. Parce que nous ne devons jamais oublier qu’avant d’être des entrepreneurs, nous sommes des citoyens.
Julien Leclercq, chef d’entreprise et essayiste
Blogueur : www.salauddepatron.fr