Les copies des étudiant/es en majeure de spécialisation Consulting

Dans le secret des copies d’étudiant/es Audencia Business School (ex-ESC Nantes), grande école de commerce française.

Nous commençons en ligne la publication des travaux écrits des élèves de Lucie Noury, enseignante chercheuse, tous et toutes engagé/es dans un cursus de majeure de spécialisation Consulting – leurs exposés se consacrent à l’organisation des cabinets de conseil. À l’issue des publications – une vingtaine d’exposés – un jury distinguera les deux meilleures copies.

Audencia : la grande école fondée en 1900 conserve son campus principal à Nantes. Elle possède des implantations à Paris, La Roche-sur-Yon, Pékin et Shenzhen. Elle propose des formations de bac +3 à bac +8 dans le domaine du management et de la communication. Et dispense notamment un « Programme Grande École » qui confère le grade de master, classé 6e en France (Sigem).

Lucie Noury : après quelques années d’expérience dans le secteur du conseil et un doctorat en sciences de gestion obtenu à Mines ParisTech, l’enseignante a passé plusieurs années en tant que professeure à la Vrije Universiteit d’Amsterdam avant de rejoindre Audencia Business School en septembre 2019. « Mes travaux de recherche portent sur l’organisation des cabinets de conseil. »

Son enseignement : « J’enseigne des cours en lien avec la gestion des ressources humaines, la conduite du changement, la théorie des organisations et la pratique du conseil. Je suis notamment responsable d’une majeure de spécialisation en management et conseil en ressources humaines. »

Les articles publiés : ils sont rédigés dans le cadre d’un cours de la majeure de spécialisation Consulting portant sur l’organisation des cabinets de conseil.

« J’invite les étudiant/es à réfléchir sur des thèmes d’actualité du secteur du conseil, explique Lucie Noury, en lien avec le contenu du cours. Pour ce faire, ils/elles doivent interviewer un/e professionnel/le du conseil sur ce thème, puis rédiger un article avec un angle de leur choix. L’objectif est double : aider les étudiant/es à développer un point de vue réflexif sur des tendances du secteur et les inviter à utiliser cet exercice pour mûrir leur projet professionnel.

La première cohorte de 41 étudiants s’est penchée sur la question de la “digitalisation/numérisation du conseil”. La deuxième cohorte de 88 étudiants s’est intéressée, en binôme cette fois, aux enjeux liés aux “carrières dans le conseil”. Sur chacun de ces thèmes, j’ai sélectionné les huit articles qui me semblaient à la fois les plus originaux, les plus analytiques et les plus plaisants à lire. »

Voici les deux premières « copies » candidates. À l’issue de toutes les publications, un jury désignera les lauréat/es. Rendez-vous dans ÉcoRéseau Business pour la publication finale.

1 L’impact de la numérisation
sur le secteur du conseil

Élise Trégou, 22 ans

De nombreuses vagues de changement ont déferlé sur le secteur du conseil au fil des ans. Les exemples sont légion, de la gestion scientifique de la deuxième révolution industrielle au développement de nouveaux outils informatiques. Une chose n’est plus à démontrer : le conseil est un secteur enclin au changement. Ces informations poussent à poser la question suivante : à quoi pourrait ressembler la prochaine vague de changement qui frappera le secteur ?

Et si la solution se trouvait dans la « numérisation » ?
La numérisation est globalement considérée comme la route à suivre pour l’entreprise et la transformation dite digitale. Autant de mots savants au milieu desquels, toutefois, il est facile de se perdre… Dans une telle cacophonie, une entreprise peut légitimement se demander si elle doit opter pour la numérisation ou la transformation digitale – sachant par ailleurs que les termes anglais digitalization et digitization font également l’objet d’un débat…

Dans la France des années 2000, même si le terme « numérisation » n’avait pas encore le sens que nous connaissons aujourd’hui, de nombreuses transformations avaient déjà commencé. Le domaine public ne fait pas exception : ainsi, la relation entre autorités publiques et données (celles destinées au grand public, notamment) a toujours évolué. Cela impose une réflexion sur l’open source et le déploiement de plates-formes pour le grand public. Exemple concret : la numérisation des déclarations fiscales (uniquement au format papier il y a seulement quelques années). Dans les deux cas, le consultant devra accompagner l’entreprise dans les changements liés à la numérisation.

Une chose est sûre : la numérisation révolutionne actuellement de nombreux secteurs et continuera de le faire à l’avenir – dans les secteurs privé et public, des plus petites entreprises aux plus grandes structures. Ces technologies ont la capacité d’exercer un impact concret dans nos sociétés au sens large. Les enjeux sont donc tant professionnels que sociétaux. Pour approfondir le sujet, je suis allée à la rencontre de Christian Moinard, ancien consultant et aujourd’hui professeur à Audencia. Fort de huit années d’expérience chez Ernst & Young, il m’aide ici à identifier les défis majeurs de cette transformation.

La numérisation, nouvel eldorado des consultants
Selon Christian Moinard, la numérisation est vue par le secteur du conseil comme une opportunité de marché. Il est hautement improbable, cependant, que l’outil « digital » transforme radicalement la profession de consultant qui est – et restera – avant tout un métier de contact. Pour les consultants, la numérisation est d’abord une aide qui facilitera la vente et qui les accompagnera dans leur travail. Certaines professions sont néanmoins réellement transformées par la numérisation, comme l’audit – dont les pratiques sont bouleversées par des outils toujours plus performants.

Un regard sur ces nouvelles vagues technologiques suffit pour y discerner une certaine « dilution » de la technicité grâce à laquelle ces technologies gagnent en accessibilité. L’informatique est un exemple frappant : au départ, seule une poignée de chercheurs – comme Alan Turing – pouvaient en décoder les subtilités. Au fil de la démocratisation des connaissances, il a été de moins en moins nécessaire pour l’utilisateur de connaître sa machine de A à Z pour pouvoir la faire fonctionner. Idem pour le big data et l’intelligence artificielle.

Pour se préparer au mieux à cette vague, il sera crucial de conseiller à celles et ceux qui souhaitent utiliser de tels outils de rafraîchir leurs notions de mathématiques. Les flux de données deviendront en effet très élevés.

L’impact de la numérisation sur le secteur du conseil
Il sera nécessaire de pouvoir déterminer si tel ou tel échantillon est représentatif ou non d’une réalité plus globale. Compte tenu de l’énorme quantité de données collectée, une simple moyenne n’aura plus la moindre signification ! Sans pour autant devenir mathématiciens ou informaticiens, nous devrons acquérir des connaissances fondamentales. Faute de maîtriser ces concepts clés, il existe un risque de manipulation par la machine – en d’autres termes, de manipulation par ceux-là mêmes qui la fabriquent. Ne nous y trompons pas : derrière un tel phénomène, se cache un objectif humain.

Le consultant, garant de la transition
Selon Christian Moinard, chaque génération technologique s’accompagne d’une certaine forme de « techno-crédulité » qui consiste à affirmer ou à croire en la neutralité de la technologie. Rien n’est moins vrai. Un chatbot, par exemple, est alimenté par les informations que nous voulons bien lui fournir. L’exemple de Tay (chatbot Microsoft lancé sur Twitter) prouve que nous devons être prudents au sujet de l’intelligence artificielle afin d’éviter autant que possible les « dérapages ».

Les entreprises auront certainement besoin d’un garant pour assurer leur cohérence vis-à-vis du système informatique mis en place. Telle sera l’une des missions du consultant, dédiée spécifiquement aux processus et aux workflows. Son rôle : vérifier que l’organisation est constamment conforme aux systèmes informatiques, mais aussi empêcher les disparités potentielles. Ce sera particulièrement utile dans un contexte de mobilité croissante des organisations et de réinvention constante des systèmes informatiques. Un objectif également partagé par le machine learning et l’IA, deux technologies qui permettent une refonte permanente de l’information générée et de l’analyse qui en découle. Cela nécessite une vérification croissante de cette même information

Comment faire face aux changements ?
La meilleure anticipation de ces changements passe par la formation et la consolidation des compétences mathématiques. Il est également – et surtout – nécessaire de réfléchir à des moyens de se réinventer, mais aussi de repenser la structure organisationnelle, et ce, à la lumière de la technologie que l’on souhaite mettre en place. N’oublions pas que c’est l’utilisation de la technologie qui possède un pouvoir de transformation. Autrement dit, ce sont les relations entre l’organisation et la technologie qui autorisent le changement. La technologie seule n’est rien. Elle n’existe que parce qu’elle est activée par l’organisation ou l’individu. Le rôle du consultant sera donc d’accompagner l’entreprise durant cette transition.

Loin d’être définitives, les seules réalités observables actuellement sont en cours de déploiement. Ce qui est sûr, c’est que ces technologies ont la capacité d’exercer un impact concret dans nos sociétés au sens large. Il existe donc un risque réel si ces technologies ne sont pas utilisées consciemment. La délégation des responsabilités de prise de décision à la machine, mais aussi l’abandon de l’aspect humain des organisations nous exposeront à des dangers bien réels.

2 Les nouveaux défis des cabinets de conseil
à l’ère du numérique

Lucille Ladurelle, 23 ans.

 

Selon le dictionnaire Oxford, on peut définir la numérisation ou digitalisation comme « la conversion de textes, d’images ou de sons sous forme numérique pouvant être traitée par ordinateur ». Cette révolution a impacté le monde de l’entreprise de bien des façons : les opérations quotidiennes et les business models sont en train de changer. Les entreprises qui veulent rester en lice ne peuvent pas éviter ces changements. Les outils technologiques sont semblables à des vagues sur lesquelles les entreprises traditionnelles devraient surfer pour éviter de couler. Quant aux GAFA (Google, Amazon, Facebook, Apple), ils ont tiré parti de la numérisation pour créer un véritable empire numérique reposant sur les données. Mais quel est le sort des cabinets de conseil à l’ère du numérique ? Tim Morris, consultant senior chez Capgemini Invent, clarifie cette question.

Les cabinets de conseil se « numérisent »
Selon lui, tous les cabinets de conseil doivent aujourd’hui proposer des solutions numériques. « Le marché du digital n’est plus une niche. Toutes les entreprises doivent intégrer des solutions numériques si elles veulent éviter l’écroulement de leur business model. » Voilà qui illustre une déclaration pertinente faite par Gartner : dans la tête des PDG, la croissance du chiffre d’affaires de leurs entreprises ne dépend plus des investissements mais des informations numériques et de la technologie. Autrement dit, la transformation numérique est devenue l’épine dorsale des affaires. « Même BCG et McKinsey, qui se spécialisent dans le conseil stratégique depuis des années, s’adaptent maintenant à la digitalisation. » Rachat d’entreprises spécialisées en technologies numériques, recrutement en masse de profils numériques : tous les moyens sont bons pour amener la compétence numérique au sein des cabinets de conseil.

Quel type d’organisation ?
Ainsi, leur stratégie évolue. Logiquement, cela les pousse à adapter leur structure organisationnelle. Tout d’abord, « l’organisation pyramidale que l’on rencontre dans les cabinets de conseil peut faire obstacle au changement parce qu’elle manque de flexibilité », explique Tim. En outre, les jeunes natifs du numérique, souvent en bas de l’échelle dans le secteur du conseil, sont probablement plus à même de véritablement comprendre les défis liés à la numérisation. Tim attire donc notre attention sur un problème en particulier : « Il faudra que les natifs du numérique participent aux prises de décision, mais le modèle pyramidal des cabinets de conseil ne le prévoit pas et ne le permet pas. »

En ce sens, une organisation horizontale pourrait être plus à même de satisfaire aux exigences de la numérisation. Néanmoins, dans une organisation horizontale, les processus décisionnels ont tendance à perdre en clarté, ce qui nuit à la vitesse d’exécution. De quoi rallonger le temps passé sur un projet : les cabinets de conseil perdraient donc en efficacité. Dans ce cas, quelle organisation pourrait être davantage adaptée à l’ère du numérique ? Cela fait encore débat…

Le contrôle de la réputation des cabinets de conseil, un facteur essentiel
De plus, les cabinets de conseil ont généralement une organisation matricielle (secteur/fonction). Le numérique représente alors une seule fonction indépendante. Pour Tim, le numérique prend tellement d’importance que, de nos jours, il est nécessaire de créer une organisation transversale qui l’incorpore à tous les niveaux. « Nous devons nous séparer du modèle traditionnel et faire du digital un élément transversal dans toutes les entités commerciales. » De cette façon, les cabinets de conseil pourront être plus agiles dans le développement de solutions numériques indépendamment du secteur du client ou des compétences techniques requises pour la mission.

Tous ces changements ne peuvent avoir lieu sans impacter la culture, les valeurs et les méthodes de travail au sein des cabinets de conseil. « L’innovation et la collaboration sont les principales valeurs que les cabinets de conseil doivent encourager afin d’exister dans le contexte complexe de la digitalisation. » Cependant, cela ne semble pas leur poser de problème puisque la plupart des cabinets de conseil ont intégré une véritable culture du changement : ils s’adaptent rapidement. En outre, on peut constater l’essor des plates-formes de collaboration comme Trello ou Sharepoint. Cela montre clairement que les consultants encouragent déjà la collaboration au quotidien. Néanmoins, Tim a mis le doigt sur une contradiction inhérente à cette augmentation de la collaboration que nous apporte la numérisation : « Le fait que l’on échange plus d’informations en moins de temps met en péril la confidentialité des données clients, ce qui est préoccupant vis-à-vis de la sécurité. Par exemple, de nombreux clients ne souhaitent pas travailler avec Google parce qu’ils redoutent que les informations échangées soient utilisées à des fins contraires à leurs intérêts. » Pour répondre aux besoins des clients tout en assurant la sécurité des données, les cabinets de conseil doivent trouver un équilibre entre l’augmentation de la collaboration et la protection des données. En raison de la collaboration et de l’augmentation des flux de données sur Internet, les cabinets de conseil ont plus de difficultés à contrôler leur réputation. Comme elle est un atout majeur pour l’activité des cabinets de conseil, ils doivent la surveiller de près en ligne. Pour y parvenir, Tim leur conseille « d’adopter une stratégie marketing numérique, de mettre en place une formation sur l’utilisation des réseaux sociaux et de faire de la sensibilisation autour de la cybersécurité et du RGPD. »

Des consultants aux profils différenciés
Selon lui, la numérisation présente un autre défi pour les cabinets de conseil : celui « d’améliorer la collaboration entre les consultants avec un profil technique numérique et les consultants avec un bagage plus classique, école d’ingénieurs ou école de commerce. » De cette façon, les cabinets pourraient proposer à leurs clients des solutions de bout en bout pour assurer le développement de la stratégie, de la gestion et de l’application opérationnelle. Dans ce domaine, tous les cabinets de conseil ne sont pas égaux : « Par exemple, Capgemini et Soprasteria ont l’habitude de faire tout cela, mais c’est plus compliqué pour des entreprises stratégiques comme BCG et McKinsey, qui ont toujours abandonné les profils techniques pour éviter les mélanges. »

En conclusion : d’un côté, la numérisation présente de nombreux défis pour les cabinets de conseil et les pousse à faire d’importants changements, et d’un autre côté, les clients ont besoin de plus en plus d’aide pour leurs projets de digitalisation, ce qui représente un service complexe à forte valeur ajoutée. Ceci explique pourquoi la numérisation peut être perçue soit comme une opportunité, soit comme une menace. Néanmoins, Tim nous rassure à propos d’un autre problème dont on parle souvent lorsqu’il est question de numérisation : « L’intelligence artificielle ne remplacera pas les consultants parce que leur travail consiste à prendre du recul afin de fournir un service à valeur ajoutée dans la création et le développement de stratégies, ce dont l’intelligence artificielle n’est pas capable. Elle peut remplacer certaines tâches redondantes comme l’analyse de données pour valider des hypothèses, mais pas le cœur du métier de consultant. »

Ainsi, le conseil ne fait pas partie des activités qui disparaîtront à cause de l’intelligence artificielle, c’est-à-dire avec la numérisation, si les cabinets de conseil font les efforts nécessaires pour s’adapter aux nouveaux défis de cette véritable vague.

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