France : passer la vague avant de se projeter dans « le monde d’après »

À l’orée de la crise, la serial entrepreneuse Isabelle Saladin, présidente d’I&S Adviser, conseil d’entreprise, et présidente des Rebondisseurs français, association d’échange et de stimulation, avait pour nous évoqué le nerf de la guerre des entrepreneurs confinés, la trésorerie. À préserver coûte que coûte pour rebondir. Le déconfinement venu, nous avions envie qu’elle dessine la priorité des entrepreneurs, non pas de l’« après », mais du « maintenant », le franchissement de la « vague », tsunami dévastateur ou longue vague houleuse à dépasser pour (re)gagner le large.

« Mai et juin correspondent à la phase de la réalité, le « dur », dans l’apparente accalmie de la crise sanitaire. Nous entrons dans la crise économique, celle d’une France à 8 % de déficit où commencent à poindre des plans de licenciements monstrueux tels qu’Uber ou Airbnb en annoncent. Si l’on additionne le chômage partiel dont on a atteint le summum, auquel les entrepreneurs qui n’ont pu rouvrir et qui, indépendants, ne peuvent prétendre, les chômeurs d’avant crise, les retraités, les étudiants, 70 % de la population sur 66 millions sont sans activité. Or l’économie est un rythme : si personne ne dépense d’argent, personne ne peut en gagner. Comme nous vivons dans une économie mondialisée, si les pays européens ne se soutiennent pas, nous courons à la catastrophe. Les entrepreneur/es doivent désormais imaginer la situation en octobre, novembre, décembre, selon qu’ils/elles ont pu compter ou pas sur le Prêt d’État garanti, malgré la mauvaise volonté de certaines banques. Nos entreprises doivent absolument s’inscrire dans le processus d’obtention de toutes les aides possibles et imaginables, celles des régions comme de tous les organismes professionnels, encore disponibles jusqu’au 30 mai, voire 15 juin. Entendons-nous : un nombre non négligeable de nos entreprises sont condamnées. Mais c’est la vie de tout entrepreneur. Un dépôt de bilan n’est en soi qu’une formalité à laquelle il/elle est préparé/é. Il/elle a déjà réfléchi à un nouveau projet. Ce qui serait grave, ce serait de n’avoir pas anticipé le plan B. De ne pas avoir parlé de ce dépôt de bilan avec ses salarié/es pour échafauder le coup d’après. Oserais-je dire que ce redémarrage est une chance ? Les autres entreprises, celles qui vont renflouer leur trésorerie et repartir, vont aussi reprendre à leur compte les salaires et les charges au nom d’un timing paradoxal qui va impliquer de nouveaux circuits, une chaîne logistique repensée.

Ne pas penser « monde d’après »

L’important seront les équipes, au cœur de tout. Elles doivent émerger du chômage partiel avec une volonté de warriors. Le rebond sera humain. Il existe un pivot, c’est-à-dire un changement de modèle d’affaires, du projet initial qui exige un investissement pour les 3 ou 4 mois à venir. Les entrepreneurs réalignés doivent être prêts en septembre.
Le mot d’ordre est « anticiper » en embarquant tout le monde, pour « passer la vague ». On parle du « monde d’après ». Mais il arrive… après. Dans l’immédiat, il faut passer cette vague économique pour ne pas s’y engloutir. Même si des inconnues majeures s’élèvent, comme la solidarité ou non des États, on est libres, on n’a pas besoin d’attendre. Il faut travailler à un projet d’entreprise nouveau pour franchir la crête de la vague. En élaborer deux au moins sur douze mois.

Décharger le bateau

Bien sûr, quand a la tête dans le guidon, il est difficile de regarder loin. Mais le pivot du modèle exige que l’on « décharge le bateau » pour qu’il franchisse la vague, si je file la métaphore. Attention, je ne dis pas « licencier », je dis se décharger des offres peu rentables, se centrer sur l’essentiel.
Quand un Nicolas Hulot déploie ses 100 propositions pour le monde d’après, c’est mignon. Je dis plutôt qu’il faut tout faire pour ne pas finir chinois puisque la Chine a de quoi racheter une planète en piteux état. Ne l’oublions pas, Venise est une ville de boutiques chinoises…”

Isabelle Saladin, propos
recueillis par Olivier Magnan.

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