En France, mais aussi partout dans le monde, l’heure est aux recommencements.
« Ne pas recommencer comme avant, certes, mais alors ne commençons pas par recommencer », observe le journaliste éditorialiste historien Jean-François Kahn dans Marianne. Tout est dit. À force de parler du « monde d’après », du « rien ne sera comme avant », du « repensons le travail », voit-on bien que sous le déconfinement, la plage (c’est une image) réapparaît comme avant, bientôt tout aussi polluée, tout aussi envahie, tout aussi bruyante. Le.la Français.e tombe le masque… par terre, les gants dans le caniveau, les gravats dans la forêt. Ce peuple assez mal élevé ne change pas d’un iota, ses politiques non plus qui renouent déjà avec les bastions et les divisions. Nous renouons avec les soupçons, aussi. Parce qu’il est enfin arrivé un peu partout, le masque distingue les bon.nes citoyen.nes des malappris qui, quand ils.elles le peuvent, n’en portent pas. Mieux vaut courir en rase campagne masqué.e (!) que se tenir à 5 mètres d’autrui visage découvert. On repère le menton nu dans un océan de visages bigarrés de blanc, de noir (le dernier chic), de coloriés et d’imprimés, et l’on s’en écarte. On se la joue richard à FFP2 contre masque plat à jeter. Les commerçants rouverts imposent leur loi : ici, on rentre masqué.e… ou pas, et peu importe le chiffre d’affaires. Quant aux entreprises, elles ont toutes traduit dans le gel, les masques et le sens de circulation dans les couloirs la marque du virus, pour recommencer.
Ne commençons pas par recommencer. L’économiste Julie de Funès qui a profité du confinement pour revoir les films de son grand-père ose croire dans Elle que l’« on peut choisir de prendre position autrement, de transformer une épreuve en défi et de voir dans cette pandémie, si tragique soit-elle, une occasion de réfléchir à ce que l’on veut ». Elle note que le télétravail, si compliqué à mettre en place, s’est révélé tout simple à s’imposer. Pas sûr qu’il perdure. Car il est important de recommencer comme avant.
Non, vraiment, rien ne montre que l’on profitera du temps d’arrêt pour ne pas retomber dans nos défauts et nos faiblesses – pays irréformable, industrie délocalisée, État cette fois plus qu’endetté, déficit commercial, grands groupes fuyards. Pour autant, la nouvelle physionomie du monde économique et le spectre d’un retour d’une mise en quarantaine similaire induiront peut-être un cycle de changements encore peu perceptibles. Il nous reste, pour nous « refaire », le tourisme, une démographie jeune, de vrai.es entrepreneur.es et des salarié.es très productif.ives. Même masqué.es.
Olivier Magnan, rédacteur en chef