Il semblerait que tout le monde considère les technologies numériques comme un actif d’avenir pour chaque entreprise au monde ou, plutôt, comme un élément inévitable dont chacun doit se doter afin de rester compétitif et survivre sur le marché. Dans ce contexte, nombreuses sont les entreprises qui font appel à des consultants pour les accompagner dans le déploiement d’outils numériques.
Mais face à cet engouement pour la digitalisation, quelques réserves peuvent être émises. La digitalisation est-elle capable de répondre à tous les problèmes rencontrés par une entreprise ? Et qu’entend-on exactement par digitalisation ? S’agit-il simplement de déployer de nouvelles technologies ? Comment les consultants parviennent-ils à adapter leurs méthodes de travail à cet univers digitalisé ?
Une ex-consultante au sein d’un cabinet de conseil leader en matière de transformation digitale, spécialisée en marketing et expérience client, a accepté de nous éclairer sur l’impact de cette transition numérique dans le secteur du conseil. Elle nous a fourni plusieurs exemples parlants. Aussi surprenant que cela puisse paraître, elle a principalement rencontré des échecs en la matière lorsqu’elle travaillait au sein de son ancienne société. Les entreprises, indique-t-elle, sont trop souvent désireuses d’intégrer un nouvel outil pour améliorer leurs performances, changer leurs processus et gagner en efficacité, sans prendre en compte toutes les répercussions possibles d’un tel changement. Lorsqu’elles font appel à des consultants digitaux, les entreprises tendent à se focaliser sur les aspects technologiques et oublient de prendre du recul pour obtenir une vue d’ensemble du projet. Chaque fois qu’un changement est prévu, il faut se demander : qu’est-ce que ce nouvel outil changera dans l’entreprise, en termes de culture interne, de méthodes de travail ? Quels en seront les conséquences ? Quelles seront les personnes majoritairement impactées par cette transformation ?
À l’heure actuelle, la dimension humaine des projets de digitalisation est donc trop souvent négligée. D’où le regard critique que la personne interrogée porte sur le travail d’un consultant en digitalisation. Le rôle de ce dernier consiste à déployer le nouvel outil ou la nouvelle technologie. Le périmètre de ses responsabilités est difficile à définir puisqu’il/elle ne peut diriger l’ensemble de la transformation de l’entreprise, ce qui serait pourtant indispensable à la réussite du projet. En témoigne cet exemple d’un projet sur lequel elle a travaillé : l’objectif était de déployer un nouvel outil pour transformer les canaux de vente de l’entreprise. La solution a été mise en place, mais sans prendre le temps de transformer les processus commerciaux, de former les salariés ou de repenser les méthodes employées pour attirer les clients. Le projet se limitait à se doter d’un nouvel outil de travail, sans aucune autre transformation. Un tel type de gestion de projet est dramatique et conduit inévitablement à l’échec. En d’autres termes, dans l’univers du conseil, la digitalisation ne peut avoir de résultats positifs sans une étape de conduite du changement. Les limites du travail du consultant en digitalisation sont difficiles à définir. En effet, ils sont payés pour le seul aspect numérique du projet. Or, ils savent pertinemment qu’un service complémentaire est nécessaire pour atteindre une réelle efficacité.
Il en résulte une nouvelle difficulté : de quelle légitimité peut se prévaloir un jeune consultant pour conseiller au client d’accepter un service complémentaire, alors qu’il vient d’engager des milliers d’euros dans une première phase dont les résultats ne se font pas encore sentir ? La consultante interrogée a signalé à quel point il était difficile pour elle de faire de telles propositions lorsqu’elle n’était âgée que d’une vingtaine d’années, sans expérience professionnelle sur le terrain, face à des collaborateurs chevronnés de 50 ans présents dans l’entreprise depuis de longues années. Cela va à l’encontre de la proposition selon laquelle l’expérience crée de la légitimité. Dans le monde du conseil, cette vision des choses ne facilite pas l’innovation ou la confiance en soi. Il est vrai qu’avec le temps, on acquiert une certaine expertise et des compétences non techniques. Mais faut-il pour autant qu’un jeune consultant ne soit pas autorisé à sortir des sentiers battus, à proposer des idées innovantes ou disruptives ? Les juniors peuvent avoir des idées brillantes ou la distance nécessaire pour identifier des contraintes que personne n’avait repérées auparavant. Le problème est qu’ils n’osent pas exprimer leurs idées ou leur point de vue, car ils ne sont pas jugés assez compétents. Et c’est d’autant plus vrai en consulting digital, car les experts sont pour la plupart de jeunes hommes, tandis que les clients sont plus âgés et peuvent se montrer peu enclins au changement. La proposition selon laquelle l’expérience serait synonyme de légitimité encourage l’autocensure, empêchant de tirer parti de la spécificité, du talent et des idées de chaque consultant. Tous les jeunes consultants trouveront cette situation frustrante.
Les cabinets de conseil sont ainsi confrontés à de réelles problématiques à l’ère de la digitalisation. Celle-ci impacte considérablement le travail et la façon dont les cabinets de conseil peuvent vendre leurs services. Il semble inévitable que les consultants en digitalisation soient forcés de repenser leurs méthodes de travail. D’une part, leur expertise et leurs services ne peuvent se limiter au seul déploiement de l’outil. Il leur faut piloter également la transformation sur le plan humain. D’autre part, cette compartimentation du travail est elle-même en cause, car chaque consultant est amené à travailler sur des projets numériques : aussi bien dans le marketing que dans la finance ou dans le secteur public. Les consultants qui s’occupent directement de projets technologiques et numériques deviennent une source d’informations parmi d’autres. La question est donc la suivante : a-t-on spécifiquement besoin de consultants en digitalisation pour conduire les projets numériques ? Notre témoin s’est montrée très honnête en déclarant qu’à ses yeux, ce n’était pas nécessaire. Pourquoi ? Selon elle, un nombre important de professionnels se disent des « experts » alors qu’ils n’ont suivi qu’une formation d’une ou deux semaine(s). Elle considère donc qu’ils ne sont pas vraiment plus experts que d’autres…
Enfin, nous pouvons nous accorder à dire que la transformation numérique fait partie de l’avenir, que chaque entreprise sera tenue d’adapter son offre en prenant en compte cette tendance. Ce phénomène transforme et impacte le travail des consultants, et encore plus, aussi paradoxal que cela puisse sembler, celui des consultants en digitalisation, qui doivent sortir du lot en montrant ce qu’ils ont de plus à offrir qu’un consultant lambda.
Clara ARNAUD
Étudiante Audencia Business School