Avec 8 milliards sur la table, le président concessionnaire tente de concilier l’ancien monde et le nouveau, le thermique et l’électrique.
Impulser, voire forcer la demande devrait faire chuter l’offre, dit la théorie. Or Emmanuel Macron, acculé par une crise majeure qui laisse 500 000 voitures neuves invendues et 400 000 salariés dans l’incertitude (900 000 avec les services qui en dépendent, 5 millions si l’on compte tous les métiers liés de près ou de loin à l’automobile), veut forcer la demande et forcer l’offre. Vive le libéralisme, l’offre et la demande qui sont censés s’équilibrer et déterminer un prix sont priées de s’aligner sur une volonté nationale sur fond d’exigence écologique.
Une crise aussi vaste et profonde donne tous les droits à un président qui sait parfaitement que son avenir et son image dépendent des audaces qu’il sera capable d’afficher. L’urgence automobile lui offre l’occasion de donner toute la mesure de son « pouvoir », jusqu’à celui de forcer la main aux constructeurs Renault et PSA (en les obligeant à relocaliser certaines productions promises à l’étranger) et d’obliger ces monstres d’indépendance à déterminer des alliances entre eux. En jetant sur la table du jeu économique 8 milliards d’euros de bonus incitatifs et de promesse de prêt (donnant-donnant), le « pouvoir » du président s’achète avec la dette colossale qu’il est en train, certes contraint et forcé, de creuser.
Mais quand bien même cette autoritaire attitude ne lui déplairait-elle pas, force est d’admettre qu’il n’a, à son tour, guère le choix d’agir autrement : si ses décisions n’étaient pas à la hauteur de la catastrophe, il serait rapidement disqualifié, emporté par la « débâcle », comme l’écrirait Émile Zola.
Il sera critiqué, en premier par les écologistes. Les bonus généreux qu’il offre aux acheteurs vont bénéficier au « thermique » (essence et diesel) et moins à l’électrique et à l’hybride. C’est oublier qu’il faudra bien, d’une manière ou d’une autre, résorber ces parcs d’invendus qui, à vol d’oiseau, ressemblent à une armée vaincue. C’est oublier qu’à 5 000 euros de bonus par véhicule, les flottes d’entreprise vont accélérer leur électrification. À moins de décréter illégale la production de moteurs à carburants fossiles, la transition vers l’électrique et l’hybride (désormais éligibles à la prime) exigera de toute façon des dizaines d’années.
Le « plan auto français » accélère des tendances à l’œuvre. En conciliant urgence et long terme, en forçant Renault à rejoindre l’alliance de la batterie conclue avec l’Allemagne où s’inscrit déjà PSA, ce plan en trois axes (soutien immédiat à la demande, prime coup de fouet pour écouler 200 000 véhicules sous condition de ressources, pacte État-entreprises-salarié.es) constituera un modèle longtemps analysé dans les cours d’économie.
Pour qu’il fonctionne, reste une petite chose : que les Français.es achètent des voitures neuves. Pour ça, il faut « le moral ». Précisément ce dont on manque dans ce pays de pessimistes.
Olivier Magnan, rédacteur en chef