L’effectuation ou pourquoi une entreprise se monte sans rien connaître à l’entrepreneuriat.
Il est des livres dits de « management » ou de « comment créer sa boîte » qui vous tombent des mains, tellement ce genre d’apprentissage de l’art d’entreprendre répond à des schémas théoriques que la réalité du terrain ne rencontre pratiquement jamais. D’autres, comme Effectuation, 2e édition du petit livre de Philippe Silberzahn, vous saisissent dès les premières lignes.
Vous souriez, vous sentez le vécu, le vrai, et vous vous dites, mince, alors j’avais raison, j’ai lancé ma boîte en me disant que j’étais à côté de la plaque, mais ce type est en train de me démontrer que j’ai fait de l’effectuation sans le savoir. Un fois qu’on le sait, on ne va peut-être pas s’en vanter, mais peu importe : mon affaire se développe, et la théorie du modèle, on s’en moque !
Une théorie puisée aux sources des réponses effectives
En réalité, l’effectuation relève bien d’un modèle étudié. Silberzahn le rappelle, « il y a vingt ans, Saras Sarasvathy, une chercheuse indienne émigrée aux États-Unis, elle-même ancienne entrepreneuse, décide de tout reprendre à zéro pour comprendre comment les entrepreneurs raisonnent et agissent vraiment. Élève d’Herbert Simon, prix Nobel d’économie, Sarasvathy met au point un protocole. Après avoir choisi quarante-cinq entrepreneurs relativement anonymes […], elle leur soumet des problèmes ou situations typiques que rencontrent les entrepreneurs et leur demande de réfléchir à haute voix lorsqu’ils les résolvent. En les écoutant, elle met en lumière cinq principes [qui] forment la base de ce qu’elle va appeler “effectuation”, la logique des entrepreneurs experts. »
Silberzahn avait, avant de connaître ces cinq principes, créé une start-up. Ce qu’il en dit est tordant : « [Les ouvrages] nous recommandaient d’être visionnaires – nous ne l’étions pas. Ils nous enjoignaient d’avoir un plan précis – nous avancions en tâtonnant. Ils nous conseillaient de lever de l’argent, mais personne ne voulait nous en donner et d’ailleurs nous n’étions pas sûrs qu’il nous en fallait vraiment. […] Nous étions les Monsieur Jourdain de l’effectuation. »
Les 5 principes (se dépêcher de lire ce qu’ils suggèrent)
Coucher sur le papier l’improvisation du pragmatisme, du « tâtonnement », comme l’exprime Philippe Silberzahn, relève de la démarche à rebours. Mais cette « libération » des entrepreneur.ses de l’instinct ou de ceux et celles qui vont se lancer vaut son pesant de lecture. Celui qui, désormais, enseigne l’entrepreneuriat au sein d’emlyon business school, à HEC Paris et au Cedep et agit comme consultant, formateur et conférencier en innovation, aligne les cinq principes sans formulation savante : Principe n° 1 : Démarrer avec ce qu’on a. Principe n° 2 : Agir en perte acceptable. Principe n° 3 : Obtenir des engagements. Principe n° 4 : Tirer parti des surprises. Principe n° 5 : Créer le contexte. Au simple intitulé de l’effectuation, l’on sent à quel point ces réalités basiques sentent bon le réel.
Les autres chapitres sont à l’avenant : du pratique, de l’effectuation en action.
On y apprend que l’on peut même se passer du business plan et de la recherche de capitaux. Philippe Silberzahn cite sur la chaîne XerfiCanal l’exemple de Mme Tao, Chinoise pauvre, analphabète, mais qui sait cuire le riz et l’accompagner d’une sauce à sa façon. Elle cuit pour les autres, puis ouvre un petit restaurant avant de finir par monter une… usine. Elle avait simplement appliqué les cinq principes sans savoir qu’elle « effectuait ».
À mes yeux, l’un des ouvrages essentiels (au sens vrai) pour les entrepreneur.euses, startupers d’aujourd’hui. OM
Effectuation, 2e édition, Philippe Silberzahn, Pearson