Être femme et professionnelle
Pourquoi et comment la question du genre peut-elle poser problème dans une carrière de consultant ? Un parcours dans le domaine du conseil soulève en effet plusieurs questions pour les femmes qui souhaiteraient se lancer. Il est indéniable que la vie d’un consultant sort de l’ordinaire, notamment en termes d’équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle. Dans ces conditions, une femme peut-elle prétendre à la même carrière qu’un homme ? Et si c’est le cas, à quel prix ?
Commencer sa carrière en tant que femme dans le conseil
La profession de consultante attire de nombreuses femmes juste après la fin de leurs études en écoles de commerce. En effet, en termes de ressources humaines, la moitié des consultants juniors sont des femmes. Le fait de choisir une société de conseil semble venir tout naturellement aux femmes (1). Violaine, consultante senior chez Nielsen, a choisi ce domaine de façon tout à fait instinctive, car elle était à la recherche d’ « un groupe de renommée mondiale » où elle pourrait tirer profit de ses expériences antérieures sur le plan international. Aussi s’est-elle tournée vers le domaine du conseil, qui ne lui était pas apparu comme spécifiquement masculin au premier abord.
Il serait bon de rappeler que la durée moyenne d’une expérience professionnelle dans l’une des sociétés de conseil les plus importantes sur le marché est de deux ans et demi environ. La plupart des consultants ne restent donc pas très longtemps dans ces sociétés prestigieuses. Si nous nous penchons plus avant sur la question, nous constatons que c’est d’autant plus vrai pour les femmes. En général, cela s’explique souvent par le fait qu’une consultante doit plus ou moins mettre sa vie sociale entre parenthèses durant cette période, mais cela ne semble pas être la seule raison. À partir du moment où une femme ne redoute pas d’occuper un poste très intense et exigeant, elle est tout à fait bienvenue dans le domaine du conseil. Pourtant, les femmes semblent partir plus tôt. Pour quelle raison ? [1]
Les salaires des femmes consultantes : ce qui empêche les femmes de rester ?
Même si être une femme n’est pas un obstacle au recrutement et à l’activité professionnelle au sein d’une société de conseil, il en est tout autrement lorsqu’il est question de salaire. Camilla Quental, professeure à Audencia et intervenante Negotraining, nous explique : « Ces différences se manifestent déjà dans l’éducation des petites filles, qui n’est pas la même que celle des petits garçons. Sur le lieu de travail, ces différences apparaissent et se traduisent par le fait que les femmes ont plus de difficultés à négocier leurs salaires ».
La plupart du temps, les femmes n’osent pas demander plus que ce qui leur est offert lors de l’entretien de recrutement. Violaine l’affirme : « Je n’ai pas osé négocier mon salaire. Pour moi, c’était déjà inespéré d’obtenir si facilement un emploi dans un groupe aussi important. J’ai senti que la relation était vraiment déséquilibrée. » Elle ajoute qu’en revanche, « il y a une bien plus forte proportion d’hommes qui négocient leur premier salaire. Les entreprises n’ont pas de grille salariale préétablie, aussi laissent-elles libre cours au pouvoir de persuasion de chacun, et c’est là que les hommes parviennent à un salaire de départ supérieur à celui des femmes ».
De plus, les femmes consultantes ne sont jamais certaines que leurs rémunérations sont les mêmes que celles de leurs collègues masculins. Violaine souligne : « À expérience égale, je pense gagner autant que mes collègues masculins. Cependant, en tant que senior, je sais que je gagne plus qu’une associée qui est probablement moins payée que les autres associés. » Les femmes ne savent généralement pas comment aborder le sujet avec leur manager, surtout en France, un pays où parler d’argent est assez tabou.
Salaire de base des hommes | Salaire de base des femmes | Ecart de salaire de base | |
Consultant | 40 000 $ | 32 000 $ | 20% |
Cadre supérieur | 100 000 $ | 85 000 $ | 15% |
(2) Source : https://www.consultiful.com/women-in-consulting/
Néanmoins, les chiffres parlent d’eux-mêmes : il existe un écart de 8000 dollars entre les salaires de départ en fonction du genre. L’une des raisons expliquant cet écart si important est qu’il y a plus d’hommes qui travaillent dans des firmes de prestige, où les salaires sont plus élevés dès le départ, et que les femmes ont 18 % moins de chances d’obtenir une promotion que leurs collèges masculins. Les femmes commencent avec des salaires légèrement plus bas, et l’écart ne fait ensuite que se creuser davantage avec le temps. Le travail d’un consultant est chronophage et très exigeant, aussi le salaire représente-t-il une motivation non négligeable. S’il y a de telles différences entre les salaires, cela peut être une première raison expliquant pourquoi les femmes quittent le secteur du conseil avant les hommes. Encore une fois, ce n’est pas la seule : les femmes tendent également à évoluer moins rapidement que les hommes dans leurs parcours professionnels dans le conseil.
Y a-t-il encore un plafond de verre à briser ?
Bien que les sociétés de conseil emploient beaucoup de jeunes diplômées et respectent une parité quasi parfaite en début de carrière, les femmes tendent à se raréfier aux postes les plus élevés. En effet, les chiffres sont frappants : l’industrie du conseil ne compte que 20 % de femmes associées. Certains prétendront que c’est la conséquence d’un équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle difficile à maintenir, mais Violaine nuance cette opinion : « on pose beaucoup plus cette question aux femmes qu’aux hommes, car la gestion des enfants reste mal répartie (…), aussi les femmes tendent-elles à mettre leur carrière de côté une fois qu’elles deviennent mères, parce qu’elles n’ont malheureusement pas le choix ». Le manque de femmes aux fonctions les plus élevées peut en effet varier suivant lesdites fonctions au sein de la société. Violaine remarque à cet égard que même si « plusieurs femmes sont présentes au conseil de direction et que le directeur général est une femme, les postes les plus axés sur les affaires, y compris les partenaires commerciaux clients, sont essentiellement occupés par des hommes ». Poussée à l’extrême, cette réflexion signifierait qu’un genre plutôt qu’un autre soit automatiquement assigné à certains postes. Violaine se souvient : « Lorsque j’étais cheffe de produit, le responsable grands comptes en charge des négociations avec les chaînes, qui ne se passaient jamais bien, avait toujours été un homme jusque là. Ils se disent qu’une femme aura moins de mordant, et il y a ainsi un schéma qui se répète, ce qui est assez toxique. » Vous pouvez appréhender ce phénomène à travers plusieurs prismes, y compris l’impact du manque de représentation sur les candidats et les recruteurs. Les femmes tendent à postuler à des emplois auxquels elles s’identifient tandis que les recruteurs ont plutôt tendance à donner leur chance à des candidats dans lesquels ils se reconnaissent. Cela s’appelle l’homophilie.
Un signal d’alarme pour plus d’égalité entre les sexes ?
D’autre part, pour gravir les échelons dans le monde du conseil, il est nécessaire de se faire un nom en adoptant un comportement assertif, ce sur quoi Violaine rebondit en ajoutant : « Les femmes ont tendance, à tort, à se montrer moins audacieuses que les hommes, tandis que les hommes font valoir leur légitimité à progresser dans la hiérarchie en s’appuyant sur leur expérience et les objectifs qu’ils ont atteints. En tant que femmes, nous nous attendons à être reconnues par la hiérarchie, à nous voir offrir une opportunité ». C’est une chose que les entreprises ont commencé à changer en appliquant des systèmes de promotion plus horizontaux reposant sur l’évaluation des pairs. Les différences de comportements entre les genres peuvent être la cause ou la conséquence de différences de traitement, même si cela est dû à une forme de discrimination (qu’elle soit positive ou non). Beaucoup de sociétés ont mis en place des programmes pour soutenir l’avancement professionnel des femmes, comme PwC, qui a développé un partenariat avec HeForShe et appliqué son programme de tutorat PwCSeed. Mais bien que ces entreprises défendent l’inclusion, les femmes sont encore en proie à de l’hostilité, comme l’explique Violaine. En effet, bien qu’elle évolue dans un environnement chaleureux auprès d’une hiérarchie bienveillante, elle subit encore parfois le sexisme de ses collaborateurs, sous la forme de « plaisanteries récurrentes ». Cette redistribution des cartes ne pourra pas se poursuivre sans prise de conscience de tous les collaborateurs, y compris les hommes. Le plafond de verre ne pourra pas être brisé si certains s’y accrochent.
Faire une brillante carrière de consultante : faut-il monter sa propre affaire ?
Afin d’échapper aux difficultés relatives à l’écart entre les sexes, certaines femmes décident de créer leur propre société de conseil afin de fixer leurs propres règles. La personne que nous avons interrogée a confirmé cette tendance en exprimant son désir de le faire aussi plus tard, pour « vivre l’aventure extraordinaire de lancer son activité ». Mais si le meilleur moyen pour les femmes de gravir les échelons est de le faire seules, cela veut-il dire que le monde du conseil restera un monde d’homme ? Mais à quoi ressemblera ce monde sans femmes et sans filles ?
- Étude : Devenir consultante, ce plan de carrière est-il fait pour les femmes ? http://etude-de-cas.fr/devenir-consultant/devenir-consultante-ce-plan-de-carriere-est-il-fait-pour-les-femmes/
Caroline Oyono et Clémentine Teinturie,
Étudiantes Audencia Business School