Un pays sans foot ?

Comment le sport national va retrouver son public et ses repères financiers

On le pensait totalement hermétique, mais lui aussi a vacillé. Fin avril, le Premier ministre Édouard Philippe a mis fin à tout suspense. Le championnat de France de football ne reprendra pas en raison de la crise sanitaire Sars-Cov-2 qui a frappé le pays. Voilà le monde du football en carton rouge, jeté dans ses cages d’incertitudes économiques, sanitaires et sportives. Affronter la crise et rebondir. Le sport national n’a plus le choix, il doit se relever et retrouver son public au plus vite. Aussi rapidement qu’il fut sifflé.

Mardi 16 juin, grâce à sa victoire sur la pelouse du Werder Brême, le Bayern Munich devient champion d’Allemagne et décroche son huitième sacre consécutif, le 30e au total. Depuis plus de deux mois, les joueurs du championnat de France ne foulent plus les pelouses. Deux pays, deux visions diamétralement opposées. La France, seule nation à suspendre son championnat parmi le « big five » européen. D’après Pierre Rondeau, économiste du sport, « il est trop facile de juger a posteriori. Le 28 avril, on était encore à des centaines de morts par jour ». La reprise ne faisait pas non plus l’unanimité au sein même des sportif.ves, « l’Union nationale des footballeurs professionnels a alerté de la peur des joueurs à vouloir reprendre, c’était une période de psychose », a-t-il rappelé.

Saison arrêtée, droits TV chamboulés

Au premier chef des répercussions économiques, le bourbier des droits télévisuels. Deux diffuseurs, Canal+ et beIN Sports, ont rapidement adressé à la Ligue de football professionnel leur décision de ne pas honorer le paiement des droits TV. Environ 110 millions d’euros pour Canal, 42 pour la chaîne qatarie, qui ont convoqué l’argument du manque de visibilité pour la reprise du championnat. Les deux diffuseurs ont finalement accepté de régler une partie seulement du montant dû qui correspondait aux matchs déjà disputés. Un coup dur pour les clubs français puisque « les droits TV représentent l’essentiel des revenus des équipes de Ligue 1, soit environ la moitié des revenus totaux », a précisé Luc Arrondel, chercheur au CNRS. En réalité, si nombre de petits clubs ont souffert de cette suspension des droits TV, dans l’absolu, les cadors français ont été les grands perdants de cette situation car les droits TV sont « pour 50 % partagés de façon égalitaire entre les clubs, puis 30 % en fonction des performances sportives et enfin 20 % selon la notoriété », a rappelé Pierre Rondeau, professeur à la Sports Management School.

Le modèle économique du football pointé du doigt ?

Quid du mercato estival ? Épineuse question puisque, alors que les autres championnats ont repris, ils doivent attendre la fin de la saison pour se lancer sur le marché des transferts, donc pas avant août. Pour patienter, un mercato franco-français a débuté avant le traditionnel trading européen. Bien trop peu lorsque l’on sait que le mercato français « représente à peine 25 % du montant total en Ligue 1 », a révélé Luc Arrondel, professeur associé à l’École d’économie de Paris. Cette année, même durant le mercato international, les clubs ne procéderont pas « à des dépenses faramineuses », a estimé Pierre Rondeau.

Malgré le fléau covid-19, le modèle économique du football reste viable. Luc Arrondel : « Dire que l’économie du football ne marche pas est une erreur, c’est une économie en forte croissance. Ce n’est pas une crise interne, c’est une crise exogène, tous les secteurs de l’économie sont touchés, c’est un choc d’offre, pas de demande. » En réalité, les clubs de football n’ont jamais été excédentaires, la crise sanitaire a sans doute intensifié l’ampleur du déficit, mais le système n’a pas soudainement montré de nouvelles failles. Toutefois, le modèle apparaît perfectible. Luc Arrondel a d’ailleurs avancé l’intérêt que la ligue aurait à « se constituer un fonds de réserve avec une logique assurantielle pour anticiper les crises ».

Le football a-t-il besoin de son public ?

Économiquement, le foot n’a guère besoin de spectateur.trices. La billetterie, c’est environ 10 % seulement des revenus totaux des clubs. Pierre Rondeau : « On peut tout à fait imaginer des stades vides ad vitam aeternam », conscient évidemment du « problème d’ambiance [qu’un tel vide] susciterait dans les stades ». Gare tout de même aux recettes indirectes engendrées par les supporters présents dans les tribunes. Luc Arrondel rappelle « toute cette économie annexe qu’il y a avant le match », l’activité économique générée avant, pendant et après la rencontre sportive.

Le peuple, lui, a-t-il réellement besoin du football ? Selon Pierre Rondeau, « la France n’est pas un pays de foot », seulement présent en nombre lors des grands rendez-vous comme « les finales de Coupe du monde ». Dire que le peuple a besoin du football serait, d’après lui, « populiste ». Luc Arrondel, lui, insiste sur les bienfaits d’une victoire de son équipe, « à l’échelle de la nation, le bonheur national brut augmente, même si ça reste temporaire ».

Geoffrey Wetzel

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