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Face aux menaces de recrudescence de l’épidémie, le gouvernement en appelle à la responsabilité individuelle plus qu’aux mesures contraires à l’économie. L’économique avant le sanitaire ?
Dix minutes. C’est le temps qu’il a fallu au Premier ministre Jean Castex pour donner la quintessence des « décisions » arrêtées par le conseil de défense et de sécurité nationale pour faire face à l’apparente flambée de covid-19. On s’attendait à des mesures contraignantes. On a eu droit à un vague encouragement à faire preuve de responsabilité. S’agit-il du difficile aveu que l’épidémie doit passer désormais après la relance économique ?
Le 11 septembre, juste avant le passage éclair du Premier ministre sur le perron de Matignon, le Dr Bruno Megarbane, chef du service de réanimation médicale à l’hôpital Lariboisière, dresse sur une chaîne d’information continue un bilan mitigé de ce qui ressemble, à en croire les alarmistes, à une deuxième vague de l’épidémie en devenir. Il nous indique que les 18 lits de son service sont occupés – pas seulement par des malades atteints de covid –, qu’une marge de manœuvre existe car les patients covid ne relèvent pas d’une réanimation, qu’au final on a affaire à des patients admis en stade précoce, traités au besoin par une ventilation désormais mieux dosée, au prix d’interventions moins intrusives. On meurt encore sous l’effet du virus quand on est une personne âgée vulnérable mais à raison d’un taux de 15 %, moitié moindre qu’au pic de la crise.
Ne pas mettre entre parenthèses la vie économique
Quand le Premier ministre prend la parole, il évoque une situation épidémiologique en dégradation manifeste. Il cite un taux d’incidence de contamination de 72 pour 100 000 contre 57 la semaine précédente. Il s’inquiète de la montée des hospitalisations. Dit qu’en réanimation, on dénombre le même nombre de malades qu’au mois de mars. S’inquiète d’une absence de baisse de l’intensité. « Il n’existe pas de ligne Maginot, contre le virus », conclut-il sa péroraison, en soulignant que si la maladie frappe davantage les jeunes sans les tuer, ils transmettent inévitablement la maladie aux personnes vulnérables.
On pouvait donc s’attendre à tout de la délibération d’une instance de « guerre » comme le conseil de défense et de sécurité nationale en termes de reconfinements partiels, voire de recours au phénomène de la « bulle familiale », l’interdiction pour une famille de recevoir plus que quelques visiteurs à son domicile, idée caressée par le tout-puissant Conseil scientifique (lire infra). Rien de tout cela, ce que l’on pourra considérer comme un soulagement. Les cinq dernières minutes de l’allocution de Jean Castex se solderont par la poursuite de la stratégie du moment : « Lutter contre l’épidémie sans mettre entre parenthèses la vie sociale, économique, l’éducation, la vie normale. Réussir à vivre avec le virus sans confinement généralisé… »
« Demain dépend de vous, de nous »
La solution prônée par le gouvernement sous l’autorité du président Macron consiste donc à « appliquer scrupuleusement les gestes barrières » après le « relâchement estival ». Soit, rappelle Jean Castex, respecter la distanciation, se laver les mains, porter un masque. Et poursuivre le dépistage massif pour casser les chaînes. À partir de là, le Premier ministre n’aura de cesse de vanter l’effort français, « 3e pays à tester le plus en Europe » et de la nécessité de prioriser les tests auprès des personnes atteintes de symptômes, celles qui ont connu un contact rapproché et le personnel soignant. Pour y parvenir, la réponse du chef du gouvernement se veut quantitative : 2 000 recrutements au sein de l’Assurance maladie et des agences régionales de santé pour assurer le traçage des cas contacts.
Au final, c’est la proposition la moins contraignante du Conseil scientifique que retiennent les autorités : la réduction à sept jours de l’isolement complet d’une personne contaminée, jusqu’alors de quatorze jours. Assorti d’un « contrôle » dont les commentateurs se demandent bien quelle forme il pourrait prendre. Puis le Premier ministre remit son masque et quitta le parvis, après avoir invité les préfets à prendre les mesures complémentaires qui leur sembleront nécessaires tout en nous recommandant, « pour quelques mois encore, une responsabilité de tous les instants. Demain dépend de vous, de nous ».
L’exemple belge
C’est un peu court, jeune homme, aurait dit Cyrano. Force est de constater que face à une apparence ou à une certitude de reprise de l’épidémie, la stratégie du gouvernement Castex consiste en une multiplication explosive des tests, en concédant de façon floue une priorisation des contaminé.es et de leurs soignant.es. On lira plus bas que tous les médecins ne valident pas une telle approche. Reste à mesurer l’influence du Conseil scientifique dont les recommandations éveillent une critique montante de la part de plusieurs des pairs de ses membres.
Parmi les « tentations » dudit Conseil scientifique français, figure la « bulle sociale », autrement dit la limitation de façon drastique (4, 5, 6 personnes ?) des contacts de chaque foyer. Comme en Belgique où la mesure est contestée. Comme au Royaume-Uni où l’interdiction des rassemblements de plus de six personnes est envisagée.
Qu’est-ce qu’une « bulle sociale » ? La désignation par chaque famille des personnes avec lesquelles le noyau familial aura des contacts rapprochés. Et personne d’autre. Plus de réunions d’ami.es, de parents de dizaines d’invité.es. Plus d’apéros en terrasse à dix et plus. Une règle qui ne s’appliquerait pas en entreprise, dès lors que les gestes barrières, etc.
Tout part d’une étude belge non validée par la communauté scientifique : les bulles domestiques, affirme cette étude, « ont le potentiel de réduire le nombre d’admissions à l’hôpital pour des cas de covid-19 de près de 90 % ». Il n’en avait pas fallu plus pour que les autorités bruxelloises expérimentent la bulle dès le mois de mai : au cours du confinement, l’on ne pouvait inviter chez soi que quatre personnes à la fois. Puis, peu à peu, la « bulle » a gonflé à 15 personnes avant de revenir presque à la jauge initiale, 5 invité.es. Avec prolongation au 30 septembre au moins. La Première ministre, Sophie Wilmès, a jugé « les mesures mises en place en août efficaces. La transmission a désormais commencé à diminuer, mais le virus circule toujours. Aucune mesure ne pourra totalement le supprimer ». Hors le foyer, les rassemblements se limitent à moins de dix personnes, distanciation à la clé. Curieusement, la bulle belge n’impose pas cette distanciation dans les intérieurs…
Le cercle familial circonscrit
Alors, efficace la restriction ? Fin août, en Belgique, les infections semblaient avoir diminué de 14 %, les hospitalisations de 39 %. Mais le 10 septembre, le rapport épidémiologique fait état de 15 % de contaminations en plus en une semaine et de 23 % d’augmentation des admissions en hôpital. Les Belges ont-ils fait la fête ? « J’en souffre, mais nous devons nous adapter », conclut Sophie Wilmès qui maintient la mesure, au risque de susciter des contestations, telle celle de l’épidémiologiste Yves Coppieters, interrogé par la RTBF. Pour lui, le virus circule peu (comme le constate le ministre français Olivier Véran qui ajoute dans la même phrase sous la forme d’une bourde qui tourne en boucle, « mais de plus en plus vite… » !), il faut supprimer la bulle, inutile.
Mais comme si le Conseil scientifique français cherchait à tout prix à justifier son existence, voilà nos médecins qu’écoutent les décideurs politiques reprendre l’idée belge. « Le gouvernement va devoir prendre des décisions difficiles », a dramatisé la semaine passée le professeur Jean-François Delfraissy, tête de file des aviseurs scientifiques. On n’en a pas vu trace dans l’allocution du Premier ministre. Ledit Conseil scientifique a « jugé intéressant » le projet britannique (et donc la bulle belge). Pour Bruno Lina, professeur de virologie à l’université Lyon 1 et membre du Conseil, « il est clair que quand on a un groupe de 70 personnes, on a dix fois plus de chances de rencontrer quelqu’un qui est malade que si on a un groupe de sept ». Bien sûr ? Après tout, il suffit d’un contaminé dans la « bulle » pour déclencher l’effet cluster. D’ici à « interdire » à tout un chacun de fréquenter son prochain…
Remettre en cause le Conseil scientifique français ?
Au nom des quelque 50 000 détectés en une semaine – quoi d’étonnant au vu de la multiplication des tests ? –, Comité scientifique et autorités sanitaires cherchent des parades acceptables. L’idée de la curieuse bulle sociale en fait partie. Mais qu’il s’agisse de l’épidémiologiste Martin Blachier, tenant du port du masque qui procure selon lui « une vie quasi normale » et peu convaincu par l’isolement social, ou de l’urgentiste Patrick Pelloux qui voudrait carrément que l’on supprime le Conseil scientifique qui « ne sert pas à grand-chose » (son interview sur RMC), on voit à quel point aucun des pays dans le monde ne sait véritablement juguler une « deuxième vague », certaine pour les uns, illusoire pour les autres. La bulle à la belge en projet n’est que l’un des tâtonnements des « non-sachants ».
Les certitudes de l’épidémiologiste Catherine Hill à l’institut Gustave Roussy de Villejuif
D’autres scientifiques semblent connaître la bonne voie à suivre. La scientifique a le verbe haut et l’opinion tranchée : « L’épidémie continue et on continue à ne pas la contrôler parce qu’on ne cherche pas à trouver rapidement les porteurs du virus en testant d’une façon rationnelle. » L’accusation porte, sans langue de bois. « Il suffit de faire 50 000 tests par jour et c’est tout à fait faisable, dit-elle sur les ondes, de France Info à Europe 1. On peut faire des tests groupés. Ça se fait dans plein de pays. On met les prélèvements de 20 ou 30 personnes dans le même tube et s’il n’y a pas de virus, les 20 ou 30 personnes sont négatives, ça accélère l’affaire. Là où ça coince, ce sont les prélèvements. Il faut former les gens rapidement pour qu’ils apprennent à mettre un écouvillon dans le nez sans faire mal aux gens. […] Ça ne sert à rien d’attendre que quelqu’un ait un symptôme, d’attendre qu’il ou elle vienne voir le médecin, d’attendre que le médecin lui prescrive un test et ensuite que les résultats du test soient connus au bout de 3-4 jours, parce qu’à ce moment-là, on a raté toute la période où le patient était contagieux pour l’isoler. C’est complètement nul. » Mais Catherine Hill ne fait pas partie du Comité scientifique et, apparemment, pour des raisons peut-être politiques, peut-être techniques, le trio Conseil-gouvernement-présidence ne l’entend pas.
Olivier Magnan