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Entre la Banque de France et le Cercle des économistes, les prévisions économiques divergent.
Deux salles, deux ambiances. Tous.toutes les expert.es, politiques ou économistes, épluchent chaque jour, page par page, les modalités du plan de relance annoncé par le Premier ministre Jean Castex. Mais pour rebondir, il faut déjà trouver un point d’accord sur le diagnostic. Faut-il s’inquiéter de la situation économique du pays ? Quoi penser face à des expert.es qui disent noir, d’autres blanc ? Une Banque de France qui paraît optimiste, la reprise serait plus rapide que prévu. À Aix-en-Provence, le Cercle des économistes semblait quelque peu plus pessimiste. Analyse.
La récession serait « moins mauvaise que prévu ». C’est en tout cas ce qu’a estimé la Banque de France, dernier protagoniste en date de la valse des prévisions. L’institut monétaire table désormais sur une chute du PIB en 2020 de 8,7 %. De quoi relativiser les prévisions du mois de juin : – 10,3 %. Réel optimisme ou optimisme de volonté ? De son côté, Bruno Le Maire, se veut lui aussi rassurant, « l’économie française se redresse progressivement. Alors, elle vient de loin, parce que le choc économique a été d’une brutalité qui n’a pas d’équivalent dans l’histoire contemporaine, mais je pense que nous sommes dans la bonne direction, et nous pourrons dans les prochains jours, réviser le chiffre de récession que j’avais annoncé à – 11 % », se réjouissait-il. À vrai dire, le ministre de l’Économie et des Finances n’a aucun intérêt à dramatiser la situation, moins de deux ans avant les prochaines élections.
Un plan de relance insuffisant pour le Cercle des économistes
Un plan à 100 milliards d’euros sur deux ans, c’est bien plus que le plan qui avait été annoncé en 2017 sur cinq ans. Certes. Mais encore faut-il que cette enveloppe promise du gouvernement aille au bon endroit. Selon le Cercle des économistes, orchestré par Jean-Hervé Lorenzi à Aix-en-Provence, les 100 milliards d’euros mis sur la table ne serviront qu’à stimuler l’offre… et non la demande ! Problème, « une relance de l’offre serait vaine si elle ne s’articule pas dans un dialogue avec la demande, créant alors un cercle vertueux de la relance », explique l’organisation.
La relance doit donc aussi venir des ménages, les seuls cadeaux faits aux entreprises ne pourront – s’ils s’y réduisent – préparer une relance optimale pour la France. Près de 75 milliards d’euros ont été épargnés par les ménages depuis le début de la crise, sans doute 100 milliards en fin d’année, le gouvernement doit œuvrer pour réinjecter cette épargne dans les rouages du circuit économique. Pour ce faire, le Cercle des économistes évoque plusieurs pistes : regrouper les prestations sociales sous une même allocation unique universelle, augmenter le minimum vieillesse ou encore élargir les titres-restaurant à d’autres secteurs, notamment les plus en crise (tourisme, culture et loisirs). Sans oublier la prise en compte des jeunes de moins de 25 ans, leur attribuer une allocation spécifique serait bienvenu.
Un désaccord aussi sur le chômage
Sur l’emploi, le dispositif d’activité partielle a permis jusqu’ici de sauver les meubles. Jusqu’à quand ? La Banque de France prédit que « les pertes nettes d’emplois dans l’ensemble de l’économie s’élèveraient au total à un peu plus de 800 000 fin 2020 par rapport à fin 2019 ». Soit l’équivalent du nombre d’emplois nets créés les trois dernières années. Non négligeable certes, mais, de nouveau, la Banque de France estime que ces prévisions s’avèrent plus favorables qu’elles ne l’étaient trois mois auparavant. La raison ? une chute d’activité qui aurait été moins marquée dans le secteur marchand.
A contrario, Raymond Soubie, ancien conseiller social de Sarkozy et présent au Cercle des économistes, dresse un futur alarmiste, lié notamment à un chômage de masse : « Je suis très, très inquiet car nous allons vers un taux de chômage jamais connu en France. Nous avons perdu au premier semestre 700 000 emplois, alors que la France avait pris l’habitude d’en créer entre 100 et 200 000 chaque année. Cet écart est colossal, alors que par ailleurs nous devons accueillir plus de 500 000 jeunes sur le marché de l’emploi. L’addition de ces phénomènes est unique dans l’histoire, et nous ne sommes pas à l’abri de troubles : cela peut très mal tourner », prévient le président d’Alixio. Constat glaçant, diamétralement opposé au relativisme de la Banque de France. La faute à une crise inédite qui entraîne la perte des raisonnements traditionnels, la mort du « prêt à penser », caractérise le journaliste Dominique Seux dans un éditorial pour Les Échos. Ou la fin des schémas logiques de pensée. Pourquoi ne pas s’en réjouir ? GW.