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L’association des INTERpreneurs fait parler ses membres. Aujourd’hui, Patrice Schmitt, l’un des spécialistes français du retournement d’entreprise.
Nos PME sont fragiles. Pourquoi ? Patrice Schmitt passe une grande partie de son existence entre la France, l’Allemagne et l’Italie. L’association des INTERpreneurs qui veut mettre en lumière les ressources qui entourent le dirigeant, comment les exploiter, poser et résoudre, collectivement, les questions qui préoccupent l’ensemble des dirigeants, l’a titillé.
Quel est le scénario typique d’une faillite ?
À l’origine, il y a le gros sujet franco-français de la tour d’ivoire. L’ego de grand « seigneur ». Le.la patron.ne est seul.e dans son bureau, il.elle est peu ou mal accompagné.e. En tout cas, dans les petites entreprises, il.elle n’a pas les moyens de payer des collaborateurs qui aient de l’expérience. Il se peut aussi que sa première ligne lui masque la réalité de la situation de l’entreprise.
Quand ça va mal, il.elle ne sait pas à qui s’adresser. En particulier, il.elle ne peut pas attendre d’aide de son syndicat professionnel. Il.elle est démuni.e, parce qu’il.elle n’a pas vécu autre chose.
Et, surtout, il.elle a honte. I.ellel ne veut pas ébruiter ses difficultés. Il.elle essaie de se débrouiller seul.e.
Au lieu de se livrer à un diagnostic large, il.elle cherche une solution dans sa spécialité, qui peut être la technique, la vente, la finance, etc. Ce qui est souvent le cas lorsqu’il.elle est un.e cadre qui a repris une entreprise. Quand il.elle appelle à l’aide, c’est souvent trop tard.
Alors, tout se retourne contre lui.elle. Au lieu de tirer la sonnette d’alarme à temps, l’expert-comptable se préoccupe de faire régler ses factures. Les banques et le factoring font de même. Quant au donneur d’ordres, il ne cherche qu’à payer le plus tard possible, en dépit même des lois. Tous ne font que protéger leurs affaires. Si l’entreprise est au-dessous des 100 à 150 millions d’euros, les choses vont très vite. L’image ne protège pas.
Et en Allemagne ?
Tout est différent. L’entreprise est dirigée par un triumvirat. Elle est financée par une banque maison qui est là quand ça va mal, la « Hausbank ». Et client et fournisseur sont solidaires, de même qu’employés, représentants syndicaux et dirigeants.
Les défauts de l’entreprise françaises sont-ils graves ?
Le problème est le temps de réaction. Pris à temps il ne faut, souvent, pas grand-chose pour éviter des difficultés. Selon le cas, il va suffire de quelques conseils ou d’aller voir des financiers, certains clients ou des fournisseurs, ou encore de remettre les commerciaux au travail…
Que faudrait-il faire pour renforcer la PME ?
Il y a quelques années, j’ai écrit au Premier ministre de l’époque pour lui dire qu’avec les moyens de l’État, il serait facile d’éviter des dépôts de bilan, donc des pertes d’emplois. L’État a les moyens de détecter les catastrophes qui s’annoncent très en amont. Il pourrait constituer une structure d’intervention « light » qui irait toquer à la porte du patron et lui demanderait : « Que pouvons-nous faire pour vous ? ». On m’a répondu poliment.
En attendant que le Premier ministre intervienne, que peut faire le dirigeant ?
Il.elle doit constituer autour de lui.elle un groupe de gens d’expérience, de l’extérieur, qui ont été dirigeant.es en entreprise, des pairs. Ils.elles doivent l’accompagner, le.la conseiller, le.la coacher. Il ne faut pas sous-estimer l’aide psychologique aussi. Un.e patron.ne risque d’être très mal dans sa tête. Voilà très longtemps que les dirigeant.es allemand.es se font accompagner par des psychologues.
À quoi ressemblent vos interventions ?
Il faut commencer par une analyse rapide, globale. Il faut regarder large. Il faut gagner la confiance. Il faut avoir les gens avec soi. Donc beaucoup de dialogue. Il faut se montrer hyperréactif.ve, tenir tout le monde, les clients, les fournisseurs, les employés, les syndicats, les financiers…
Je suis un Alsacien. Je suis direct et exigeant. Il faut changer les habitudes.
Accepter le changement est très difficile en France. J’entends toujours « voilà dix ans qu’on fait ça, on ne peut pas faire autrement ». Ou « on a essayé, ça ne marche pas ». Je leur réponds : « Je ne veux pas la liste des problèmes, je veux des propositions de solutions en face de chaque problème. » En fait, ils ont les solutions, mais ils n’arrivent pas à les visualiser. Vous trouvez toutes les solutions dans l’entreprise. Surtout en écoutant la base et les clients.
Quant aux sujets financiers, particularité française, il faut aller chercher les aides et l’argent avec l’appui de l’environnement politico-économique. Je vais voir les maires, les députés et sénateurs, les présidents de conseils départementaux… Sans eux.elles, on ne peut pas sauver la société car ils.elles sont potentiellement influent.es dans le territoire de l’entreprise.
Il faut aussi, si besoin, savoir gérer une entreprise avec la mise en place des procédures de conciliation, de sauvegarde ou de RJ en partenariat avec les administrateurs. Prévoir une cession in-bonis, sous procédure ou à la barre du tribunal. Car ça peut se terminer comme ça, si l’on a trop attendu. On peut effacer une partie des dettes, protéger les fournisseurs dont on a besoin, et sauver l’essentiel, une partie des postes de travail.
Avez-vous une « philosophie » d’intervention ?
« Ni ne se servir ni s’asservir, mais servir. » Cet adage des Compagnons du Devoir du Tour de France résume parfaitement ma philosophie. Chacun apporte sa pierre à l’édifice pour aider l’autre à s’accomplir dans son métier et dans sa vie. Ce qui revient, en premier, à placer l’humain au cœur de la transmission des savoir-faire et des savoir-être. Il en est de même dans le redressement d’entreprises où l’humain est en capacité de décider vite et bien, l’un des éléments clés de la réussite d’un retournement.
C’est le prolongement d’une méthode d’enseignement technique et philosophique dont le principe remonte aux origines des métiers, mais c’est toujours d’actualité aujourd’hui. Diriger des entreprises en retournement, c’est posséder non seulement des qualités techniques, mais aussi des qualités humaines. Devenir le « porte-drapeau » pour fédérer les équipes vers un objectif commun, la sauvegarde de l’entreprise et la relation avec son environnement, financier, fournisseurs et surtout clients.
Les compagnons ont toujours cultivé certaines valeurs éthiques du travail bien fait, de la richesse de l’expérience pratique. Rendre complémentaires le « manuel » et l’« intellectuel », l’expression matérielle d’un savoir-faire professionnel et d’un savoir être relationnel. Toutes les expériences sont bonnes à vivre. Les Compagnons m’ont appris que tout était possible.
Pourquoi faites-vous ce métier ?
C’est une passion. En particulier, sauvegarder des entreprises et des emplois. Je ne prends pas tous les dossiers. Il faut qu’ils m’intéressent. Ce que j’aime, c’est la relation qui se crée. Quand un employé m’envoie les vœux chaque début d’année ou m’appelle cinq ou dix ans après, c’est ma récompense.
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