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Le gouvernement s’attend à des niveaux record de la dette publique française.
Si une entreprise s’appelait « France », voilà belle lurette qu’elle aurait mis la clé sous la porte. Un État, lui, ne fait jamais faillite. Il plie mais ne rompt pas. Jamais notre niveau d’endettement n’a été aussi élevé hormis la crise des années 1930 et les deux guerres mondiales. Ça tombe bien, « nous sommes en guerre », scandait il y a quelques mois le président de la République. D’après les prévisions du gouvernement, l’an prochain, notre dette publique représentera l’équivalent de 116,2 % du PIB. Combien ? 116,2 %.
Les gilets jaunes doivent s’en mordre les doigts. D’avoir raté de peu le bon wagon, l’itinéraire vers le « quoi qu’il en coûte » a démarré en 2020. Mauvais timing. Depuis, une saleté de virus a débouché les vannes : le robinet public coule, coule, coule… à n’en plus finir ! Et laisse s’échapper toute la morphine injectée à coups de PGE et de chômage partiel, un plan de relance à 100 milliards d’euros, un « trou de la Sécu » dont l’annulation a été repoussée à 2033…
Faut-il s’en féliciter ? Sur la capacité de réaction de notre pays à faire face à une crise économique, sans doute. Et l’après ? Une dette – en soi – n’a rien de glorifiant, ce ne sont pas nos voisin·es allemand·es qui diront le contraire, société dans laquelle « Schulde » se perd entre dette et faute. De là à en conclure que la meilleure maîtrise de l’endettement en Allemagne se réduit à une prédisposition culturelle, le raccourci serait trop aisé.
Gare à ne pas faire de l’exceptionnel le début d’un nouveau chemin de fer. L’ampleur de la dette revêt un degré de gravité moindre que les interprétations qui en découlent. Aujourd’hui, le gouvernement démontre que dépenser massivement en un temps record n’a rien d’utopique… comment pourra-t-il alors esquiver tous les dossiers brûlants qui referont surface dès lors que le pays s’extirpera de son obsession pour la covid ?
Quand vous placez la barre très haut, vous vous condamnez à reproduire vos actes passés, sinon mieux. Difficile alors de faire avaler aux Français·es qu’ils·elles doivent se serrer la ceinture, des smicards aux retraité·es… Accepter un tel niveau d’endettement laisse libre cours à l’éruption d’une crise sociale. Dès lors que le gouvernement se sera autorisé à rétropédaler. Post-crise économique.
De quoi faire tomber Keynes, grand défenseur de la relance par la dépense publique, de sa chaise. Non Monsieur Keynes, je n’oublie pas toutes les contreparties de la dette : meilleures infrastructures, écoles flambant neuves, hôpitaux équipés… mais vous avouerez que la réalité laisse perplexe. Ne sont-ce pas ces mêmes hôpitaux qui ont été à l’agonie ces derniers mois ? Ne sont-ce pas ces mêmes universités qui voient s’entasser des milliers d’étudiant·es lors d’une rentrée où l’on impose le respect des « gestes barrières » ? Raison de plus pour investir encore et encore me direz-vous ?
Problème, depuis des années, la France décroche la palme d’or de la plus lourde fiscalité parmi les pays de l’OCDE. Comme une inconnue dans l’équation. Difficile alors de regarder droit dans les yeux un·e passager·ère du RER-B, un·e travailleur·euse des zones rurales étranger·ère aux « transports en commun » ou même un parent d’élève, que leurs impôts servent à faire fonctionner le pays.
On dit souvent que les solutions apportées à une crise alimentent la prochaine. Par définition, une dette se rembourse. À moins que nous décidions de l’annuler ?
Geoffrey Wetzel