Temps de lecture constaté 3’30
« On a cassé le thermomètre pour ne pas avoir à résoudre le problème », estime Norman Gourrier-Warnberg, président du Syndicat national des collèges et des lycées (SNCL).
La rentrée scolaire s’est déroulée dans un contexte inédit de pandémie et de protocole sanitaire national à suivre pour les établissements et les élèves. Souci, le corps enseignant, sur lequel pèse beaucoup de pressions, et les syndicats dénoncent des incohérences et des décisions incomprises. Après un mois de cours, Norman Gourrier-Warnberg, président du SNCL, dresse un bilan peu flatteur pour Jean-Michel Blanquer et son ministère.
Sur la base des retours dont vous disposez depuis la rentrée, comment évaluez-vous le protocole sanitaire ?
On voit bien que le protocole n’a de national et de protocolaire que le nom. Il a été vidé de sa substance par rapport aux documents qu’on nous avait transmis en mai et qui après corrections et ajustements avaient abouti à des règles communes cohérentes. En septembre, nous avons eu un nouveau protocole qui fait trois fois moins de pages, ne comporte que peu de contraintes et laisse une grande liberté aux établissements pour gérer les situations au cas par cas. Nous nous sommes très vite rendu compte qu’on nous donnait un cadre qui engageait le moins possible la responsabilité ministérielle.
Le protocole n’est pas assez contraignant, il manque une impulsion nationale claire qui permettrait aux établissements de savoir exactement quoi faire sur la base d’éléments objectifs. Étant donné qu’il n’y a pas ça, c’est la roulette russe. Selon le type d’établissement, sa taille, son positionnement ou les capacités d’adaptation du·de la chef·ffe d’établissement, les protocoles sont applicables et appliqués différemment.
Quels sont les impacts au quotidien pour les enseignant·tes ?
Tout cela pèse sur les enseignants·tes, mais aussi sur les parents. Le protocole met d’emblée beaucoup de responsabilités sur le dos des parents, qui doivent prendre la température de leurs enfants, les faire tester, les isoler s’il y a un risque… de quoi créer beaucoup d’anxiété. Les enseignant·tes sont des fonctionnaires donc ils·elles appliquent ce qu’on leur dit mais ils·elles sont fragilisé·ées face à des consignes parfois contre-productives. D’où des frustrations et certains conflits entre le corps enseignant et la hiérarchie.
Il existe notamment beaucoup de frustrations autour du masque, comme pour le reste de la société. Certains professeurs·es voudraient pouvoir le retirer parce que ça fait partie de leur travail d’exposer leur diction et leur articulation. Certains·aines se sentent bâillonnés·ées et limités·ées dans leur travail. Il faut aussi dire que le ministère fournit un approvisionnement en masques très aléatoire. Dans certains cas, les enseignant·tes prennent à leur charge leur approvisionnement en masque.
Quid de la reconnaissance de la covid comme maladie professionnelle ?
La reconnaissance de la covid comme maladie professionnelle avance. Même si, il faut le dire, il y a sans doute plus de risques et d’urgence dans le secteur hospitalier. Mais néanmoins, les professionnels·elles de l’Éducation nationale sont tout de même exposés·ées à des risques de contaminations, dans un degré moindre qu’à l’hôpital mais tout de même. Il faut rappeler que le premier mort en France était un professeur et que le premier gros cluster était un collège.
Pour l’heure, pour un fonctionnaire hors services hospitaliers, il faudra fournir la preuve que la contamination a bien eu lieu sur le site scolaire, ce qui sera un parcours du combattant. Donc nous n’y sommes pas encore.
Quel jugement portez-vous sur les récentes modifications du protocole ?
Nous avons été choqués par l’annonce de Jean-Michel Blanquer sur la modification du mode de calcul pour les fermetures de classe. Une semaine après la rentrée, plus de 290 classes étaient fermées et 3 000 classes deux semaines plus tard. La réponse a été de dire qu’on ne fermera les classes que lorsqu’il y aura trois cas et que l’enseignant·e et les camarades ne seront plus cas contacts. On a cassé le thermomètre pour ne pas avoir à résoudre le problème. Et ensuite le ministre dit qu’ils maîtrisent la situation et que moins de classes ferment. C’est irresponsable. Quand dans plusieurs semaines la moyenne de cas par classe sera de deux ou trois, que ferons nous ? Nous augmenterons le seuil à cinq ? Puis à dix ? C’est une fuite en avant. Le gouvernement a fait son choix et l’Éducation nationale suit la feuille de route : l’école doit accueillir au maximum les enfants pour que les parents puissent aller au travail et ne pas impacter l’économie. On fait dans l’hypocrisie.
Que proposez-vous ?
Nos demandes principales sont simples : publier quotidiennement les chiffres de cas et de contaminations par établissement et par académie, regarder objectivement le nombre de cas en distinguant les élèves et le personnel et avoir un protocole national fixe qui dit précisément quoi faire et qui soit applicable partout. L’adaptation peut se faire lorsqu’elle se fait sur des données chiffrées et indiscutables.
L’Éducation nationale connaît un frein, c’est que ses syndicats ne sont pas interprofessionnels. En l’occurrence, la gestion de la crise sanitaire est voulue par le gouvernement comme très interprofessionnelle : le Premier ministre donne une ligne, le ministère du Travail traduit pour le secteur privé et puis les ministères du secteur public déclinent les décisions. Finalement, nous sommes en bout de chaîne et notre impact sur la rédaction des textes et des protocoles est très faible.
Propos recueillis par Adam Belghiti Alaoui