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Le télétravail, les jeunes et les managers intermédiaires y seraient réticents.
Plus que jamais encouragé, le télétravail regorge d’adeptes et de détracteur·rices. Mais dans un monde qui tend à lui faire une place de plus en plus grande, certain·es plus que d’autres auront du mal à s’y accoutumer. Comme les managers intermédiaires. Ou paradoxalement les jeunes, qui souhaiteraient davantage travailler au bureau. Analyse de René Bancarel, doctorant en sciences de gestion et du management à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et publiée par The Conversation.
Devant l’accélération de la propagation du virus, l’exécutif est amené à arbitrer parmi les (nombreuses) solutions qui sont proposées pour enrayer sa progression. L’une d’entre elles, s’appuyant sur l’expérience jugée globalement réussie lors du confinement du printemps dernier, consisterait à rendre le télétravail obligatoire, partout où cela est possible. Une piste qui a été écartée par le président de la République, le 14 octobre dernier, parmi les annonces de nouvelles mesures de restriction, dont le couvre-feu dans huit métropoles (étendu à près de 40 départements et la Polynésie à partir du 23 octobre).
En effet, un·e télétravailleur·euse qui exerce son activité à domicile court moins de risques de contamination que sur son lieu de travail et dans les transports qu’il·elle aurait empruntés pour s’y rendre. Il serait, également, plus facile pour les organisations de remplir leurs obligations de protection des employés, vis-à-vis de la covid, tout du moins.
Si l’on rajoute à cela l’opportunité pour les entreprises de réaliser des économies substantielles sur l’immobilier de bureau, abondamment soulignée par la presse ces derniers mois, et le fait que le déploiement du télétravail s’intègre également dans leurs stratégies d’acquisitions et de rétentions des talents destinées à séduire les futurs collaborateur·rices, on est en droit de s’interroger sur les raisons de la frilosité à rendre le télétravail obligatoire.
Il est assez aisé d’établir la liste des raisons qui pourraient pousser le gouvernement à rendre le télétravail obligatoire, à temps plein et dès que les fonctions exercées et le secteur d’activité le permettent. Or, on voit peut-être moins spontanément les réticences à aller jusque-là.
Se pose d’abord une question d’équité, qui avait déjà été soulevée pendant le confinement lorsque l’on évoquait les travailleur·euses de la deuxième ligne (après la première constituée par les soignant·es). Celles et ceux dont les fonctions étaient essentielles à la poursuite de la vie en société, caissier·ères, éboueur·euses, routier·ères, policier·ères, etc. Ces métiers ne peuvent s’envisager en télétravail et les gens qui les exercent ont donc été bien plus exposés que les autres.
Dans l’hypothèse d’une obligation de télétravail, hors confinement, ils seraient rejoints par une cohorte d’autres emplois, tels que ceux du bâtiment, de la restauration des commerces, de l’industrie. Nous aboutirions à une division de la société entre les télétravailleur·euses qui seraient protégé·es chez eux·elles et les autres pour lesquel·les on accepterait que le risque quotidien soit beaucoup plus grand.
Le malaise des managers intermédiaires
La période de confinement a fait découvrir aux employeur·euses assez souvent réfractaires au télétravail que leurs collaborateur·rices étaient efficient·es et parfois davantage qu’en présentiel. Ainsi, ce témoignage d’une directrice d’organisation que nous avons recueilli pendant le déconfinement : « On a plutôt très bien fonctionné pendant le confinent. J’ai été assez agréablement surprise par le fait que tout le monde a joué le jeu ». Et pourtant, elle a maintenu deux journées de télétravail jusqu’aux vacances d’été, pour les supprimer complètement en septembre. Pourquoi ?
« Retour au travail, maintenant ! », s’est encore exclamée une cheffe de service d’une autre organisation, lors d’un entretien que nous avons mené. De nombreux·euses chercheur·euses ont relayé ce type de réactions, relevant du soulagement de certains managers. Le management intermédiaire, tout au moins certains managers, s’est senti remis en question dans leur rôle de contrôle d’activité.
Le télétravail total rend la supervision directe impossible et les outils supposés compenser ne donnent pas entièrement satisfaction, sans parler du fait que leur utilisation constitue un signal de défiance très mal ressenti par les salarié·es.
Ce qu’a démontré l’expérience de télétravail pendant le confinement, sur les terrains que nous avons observés, c’est que les collaborateur·rices (agent·es administratif·ives dans différentes organisations de l’enseignement supérieur, privées et publiques) savent tout à fait ce qu’ils·elles ont à faire et sont plus autonomes dans leurs tâches qu’on le pense spontanément.
Le rôle de leur manager s’en trouve interrogé. Dans certaines de ces structures, les chef·fes de service avaient pris acte de cette autonomie, nous la présentant dès le premier entretien, et avant même le confinement comme une évidence. Dans d’autres de ces organisations, la découverte du degré d’autonomie des collaborateur·rices, ou tout du moins de ceux que l’on qualifie d’exécutant·es fut une grande surprise pour leurs managers.
Enfin, la directrice des ressources humaines d’une troisième organisation s’était ouvertement inquiétée, devant les autres managers, que les collaborateur·rices prennent tous les jours de télétravail auxquels ils·elles ont le droit. « Pas dans mon service », avait-elle prévenu. Aucun argument factuel n’est avancé pour étayer son propos, il s’agit d’un ressenti, qui pourrait être verbalisé ainsi : « un peu de télétravail, c’est bien, mais point trop n’en faut ».
Les échanges déjà dématérialisés
Quand on interroge les collaborateur·rices eux·elles-mêmes sur la façon qu’ils·elles ont d’organiser leurs journées et sur leurs interactions avec leur manager, ils·elles répondent presque toutes et tous qu’ils·elles ne s’organisent pas différemment qu’en présentiel et que cette organisation ne leur est pas dictée par leur manager, « on sait ce qu’on a à faire ».
Quant aux échanges avec les managers, un interviewé minimise la différence entre travail à distance et sur place : « Les échanges étaient déjà souvent dématérialisés avant la mise en place du télétravail. Souvent, on ne voit pas la cheffe de la journée. Ou alors, elle passe une tête pour dire bonjour quand elle se trouve devant le bureau ».
Le rôle des managers, dans les structures que nous avons observées, n’est donc pas la supervision directe, le télétravail n’inquiète finalement que celles et ceux qui n’en avaient pas pris conscience. D’autres, peut-être, craignent sans se l’avouer que cette mise en évidence du degré d’autonomie de leurs subordonné·es ne finisse par conduire le top management à s’interroger sur le rôle et l’intérêt des managers intermédiaires.
Les jeunes veulent venir au bureau
Ajoutons que le télétravail est loin de faire l’unanimité chez les jeunes entrants sur le marché du travail. Ces derniers ne se révèlent pas aussi enthousiastes envers le télétravail que l’on pourrait le penser. Bien que réputés très à l’aise avec les outils de communication distancielle, les jeunes semblent désireux de travailler en présentiel, au moins en partie.
Cela s’explique par des motivations subjectives, telles que découvrir un monde nouveau, celui de l’entreprise, ou plus objectives, comme le fait de se forger un réseau professionnel. Plus prosaïquement, des considérations matérielles telles que la taille des appartements en ville, pas toujours aussi confortables qu’un bureau, les incitent aussi à se déplacer dans les locaux des entreprises.
Le télétravail à domicile peut en effet être très mal vécu par certain·es collaborateur·rices. Nous en voulons pour preuve le succès des espaces de travail partagés. En outre, les syndicalistes avec lesquels nous avons eu l’occasion d’échanger, sans être hostiles à son déploiement, restent très vigilants quant aux modalités de mise en place.
Globalement, le télétravail reste une pratique appréciée. Il permet de profiter d’un meilleur équilibre entre la vie privée et la vie professionnelle, notamment par l’économie de temps de transport qu’il fait réaliser. Certains mettent en avant une plus grande efficacité liée à des interruptions moins fréquentes. D’autres se félicitent de jouir d’une plus grande autonomie et voient, dans l’accession au télétravail une marque de reconnaissance de la part de leurs employeurs.
Toutefois, rendre le télétravail obligatoire afin de lutter plus efficacement contre la propagation de la covid-19 se heurterait à des réticences venues des employeur·euses, des managers, des représentant·es syndicaux·ales et des salarié·es eux-mêmes. Elle ne serait pas soutenue non plus par le monde académique s’étant penché sur la question, que ce soit sous l’angle du management ou sous celui de la psychologie. Enfin, la morale imposerait sans doute d’interroger le caractère inéquitable d’une telle mesure.
PS : l’écriture inclusive est de notre fait.