Quatre questions de motivation à Bruno Le Maire, ministre de l’Économie, des Finances et de la Relance.
Voilà trois ans que ce normalien, énarque, agit en grand trésorier de la présidence Macron, nommé ministre de l’Économie dans le premier gouvernement Édouard Philippe, avec un élargissement de son portefeuille à la Finance un mois plus tard. Premier ministre, Jean Castex le confirme immédiatement au même ministère qui s’enrichit de la Relance. Bruno Le Maire, signataire de la loi Pacte en 2019, fut député, conseiller régional, de quoi avoir vécu au tempo des territoires. Droit dans les bottes de sa mission, l’homme affiche depuis l’essor de la crise le mental affirmé d’un optimiste, option indispensable dans sa fonction. Nous avons voulu, par nos questions, sonder ce mental plutôt que de lui faire répéter ses mantras chiffrés. Rien à faire, il n’entre guère dans le jeu de l’implication personnelle. À l’évidence, pas de place pour l’autocritique chez Bruno Le Maire, persuadé que tout a été fait…
L’orthographe inclusive est de notre fait.
Vous misez, Monsieur, l’avenir du pays sur la croissance. Avec ou sans crise, c’est bien sûr l’objectif de toute démocratie occidentale. Pour y parvenir dans le contexte d’une crise sanitaire majeure soudaine, le gouvernement dont vous êtes un pilier décisionnaire a décidé de soutenir les entreprises au nom de l’emploi. On en connaît les mécanismes : prêts garantis ouverts sur du participatif, allongement de leur remboursement à des taux bas négociés, prêts bonifiés, avances remboursables, soutien de trésorerie, etc.
Dans le même temps, vous soulignez à plusieurs reprises votre confiance en la réussite de pareil effort – « Nous allons nous en sortir » –, alors que vous citez vous-même l’effet des licenciements et des faillites qui vont se révéler bientôt – « Nous allons entrer dans le dur ». Au-delà des mesures évoquées, dites-nous sur quoi se fonde une telle certitude de réussite.
Oui, je vous le redis, nous allons y arriver ! Bien sûr que les mois à venir seront difficiles pour les Français·es, je ne l’ai jamais caché. Mais la France a tout pour être plus forte à la sortie de la crise qu’à l’entrée de la crise. Regardez ce que nous avions réussi à faire en seulement deux ans : le chômage était passé sous la barre des 8 % pour la première fois depuis dix ans en métropole, la croissance était solide, la France était le pays le plus attractif pour les investissements étrangers en Europe !
Nous avons tous les atouts pour surmonter cette crise. Nous avons pris des mesures ambitieuses au bon moment pour protéger les entreprises et les salarié·es. Notre dispositif de chômage partiel, le plus généreux en Europe, a permis de protéger l’emploi de millions de Français·es, de préserver le pouvoir d’achat et ainsi de soutenir durablement la demande. Les prêts garantis par l’État ont permis d’éviter les faillites pour manque de trésorerie. Le fonds de solidarité a soutenu les indépendants, les microentrepreneurs, les commerçants malgré la fermeture de leur lieu de travail ou l’absence d’activité. Nous avons évité le pire.
Nous relançons immédiatement l’économie avec un plan de relance qui va soutenir sur 2020-2022 l’emploi et l’activité mais avec une stratégie à long terme. Cette stratégie est celle de l’investissement dans les nouvelles technologies, dans la décarbonation de notre économie, dans les compétences de demain. Notre plan de relance est ainsi un plan d’investissement d’avenir pour construire la France de 2030. Nous n’avons pas décidé de subventionner notre industrie pétrolière, nous avons décidé d’investir pour décarboner notre économie, pour être à la pointe des technologies d’avenir, pour relocaliser en France la production de produits stratégiques et les activités à haute valeur ajoutée.
Surtout, nous avons en France des chef·fes d’entreprises talentueux·ses et innovant·es, des salarié·es hautement quaifié·es et une capacité à faire face aux difficultés et à les surmonter en toutes circonstances. Je crois profondément dans la force des Français·es, des entreprises et des collectivités locales.
Dans le même registre, nous avons entendu une autre de vos certitudes, celle que le plan de relance prélude à un nouvel élan de la France. Vous citez la transition écologique et ses opportunités de marché, vous évoquez des projets de conquête, comme l’IA, le calcul quantique, l’hydrogène, la décarbonation, la santé… Dans une certaine mesure, le métier d’un ministre de l’Économie est-il démultiplié par une crise ? Et au-delà de vous-même, le pays lui-même peut-il sortir plus fort d’une crise de cette nature ?
Le métier de tous a été démultiplié par cette crise ! Cette crise a été une épreuve pour tous les Français·es, pour les soignant·es, pour les services de secours, pour les aidant·es, pour les salarié·es de la grande distribution, mais aussi pour les agents du ministère de l’Économie et des Finances qui ont fait un travail exceptionnel. Cela a été une épreuve tant professionnelle que personnelle et je pense que chacun s’est endurci face à ces difficultés nouvelles.
Oui, j’en suis convaincu, le pays sortira plus fort de cette crise ! Parce que nous sommes solidaires et nous mettons tout en place pour protéger les plus faibles. Je pense à l’augmentation de l’allocation de rentrée scolaire de 100 euros, les nouvelles mesures en faveur de l’emploi des jeunes ou encore le soutien aux hébergements d’urgence.
Parce nous avons une vision de long terme pour notre pays, celui d’un pays neutre en carbone, d’un pays qui veut être un géant technologique et d’un pays solidaire.
Sur la transition écologique proprement dite, nous sommes ravis, parce que nous soutenons dans nos colonnes la perspective du green business comme un levier de croissance, que vous en ayez fait, avec le Président et le Premier ministre, une priorité positive. Mais comment allez-vous l’inscrire dans la réalité ? Les plans bien identifiés, celui de l’hydrogène (conçu sous la forme d’une aide au financement de produits industriels), de la décarbonation, de l’isolation des bâtiments suffisent-ils à faire entrer l’industrie française dans la transition ? À quels leviers pensez-vous pour convaincre les chef.fes d’entreprise de ne penser leurs activités qu’à l’aune de cet objectif écologique majeur ?
De nombreux industriels français sont déjà dans la transition ! Allez visiter l’usine pilote de Nersac qui produit des batteries électriques ou le site Renault de Cléon qui travaille sur la motorisation électrique. L’industrie est entrée dans la transition écologique il y a des années déjà, mais elle doit accélérer sa transition sans détruire d’emplois en accompagnant les transitions professionnelles. L’État est au rendez-vous du défi écologique en investissant 30 milliards d’euros, effort sans précédent.
Les entreprises doivent aussi être à la hauteur. Elles doivent prendre des engagements pour réduire leurs émissions, améliorer l’égalité entre les femmes et hommes ou encore mieux partager la valeur créée. Avec une relance résolument écologique, l’État prend sa part de responsabilité. Les entreprises doivent en faire de même et accélérer leur transition écologique et sociale.
Il n’y a pas d’un côté un objectif écologique et de l’autre un objectif économique. Les deux vont de pair. Je reprends l’exemple de l’industrie automobile. Sans les succès et la place de leader qu’ont connus nos entreprises françaises au XXe siècle grâce aux moteurs thermiques, il n’y aurait jamais eu les capacités d’investissement pour faire de la R&D sur la motorisation électrique. Les leviers, ensuite, sont simples : des financements pour aider les industriels à se décarboner. Un exemple très concret, nous allons accompagner les sites industriels français les plus polluants pour les faire passer de fours à énergie fossile à des fours à biomasse. De l’investissement pour faire de la recherche en matière d’hydrogène dans l’industrie aéronautique ou automobile. Des formations pour développer les compétences nécessaires en France afin de rénover nos bâtiments, de concevoir des piles à combustible ou des réservoirs de stockage d’énergie de renouvelable.
M. le Ministre, vous avez travaillé avec deux présidents, Nicolas Sarkozy et Emmanuel Macron, vous avez été le directeur de cabinet du Premier ministre Dominique de Villepin, autant de personnalités « fortes » auprès desquelles vous avez, à travers les responsabilités endossées, pratiquement décrypté l’ADN français. Comment, presque comme un scientifique spécialiste de ce pays que vous connaissez par cœur, définiriez-vous cet ADN ?
C’est un ADN d’une richesse et d’une diversité comparable avec aucune autre nation dans le monde. Quand vous prenez le calva avec un paysan normand, dans ma circonscription de l’Eure, vous êtes en France. Quand vous prenez le kawa, à l’autre bout du monde sur un rocher de quelques kilomètres carrés au milieu du Pacifique avec le roi de Futuna ou avec le roi de Wallis, vous êtes en France. Quand vous allez dans le quartier de la Madeleine, à Évreux, participer à une rupture de jeûne, vous êtes en France. Quand vous êtes dans ce Pays basque que j’aime tant, où j’arpente les montagnes, vous êtes en France. Quand vous êtes auprès de salarié·es qui sont inquiet·es pour leur avenir et qui vous demandent de les aider car ils et elles savent qu’ils et elles ont des compétences exceptionnelles, rares et compétitives comme c’est le cas chez Ascoval, vous êtes en France. Quand vous discutez avec des chercheurs et des industriels qui travaillent ensemble pour concevoir et développer un avion neutre en carbone d’ici à 2035, vous êtes en France. L’ADN français est notre plus grande force, ayons confiance dans l’avenir !
Olivier Magnan