La deuxième puissance économique du monde désire plus que tout déposséder les États-Unis de leur trône. Et elle pourrait y arriver plus tôt que prévu, grâce à la crise sanitaire actuelle. Portrait-robot des forces, mais aussi des faiblesses du modèle chinois qui sait encore conjuguer l’absence de libertés individuelles avec la prouesse économique.

Les malheurs du monde feraient-ils le bonheur de la Chine ? Voilà une question un poil provocatrice que l’on est presque en droit de se poser alors que la crise sanitaire – pourtant issue de l’Empire du Milieu – serait le moyen pour Pékin de se hisser, plus tôt que prévu, au rang de première puissance économique mondiale ! Et pour cause, la Chine devrait dépasser les États-Unis d’ici à seulement 2028, selon un rapport du Centre for Economics and Business Research (CEBR), et non plus dans treize ans, comme les prévisions précédentes le laissaient entendre. La crise de covid et sa gestion assez inégale auraient ainsi rebattu les cartes à l’avantage de la Chine, qui se targue d’avoir su rebondir vite et fort. Quoi qu’il en soit, elle représente la seule économie majeure de la planète à échapper à la récession en 2020, avec une croissance positive de 2,3 % ! Les États-Unis subissent, eux, de plein fouet le coup d’arrêt lié au coronavirus, avec une contraction de leur PIB d’environ 5 % en 2020. Si 2021 doit augurer d’un rebond d’une même ampleur pour le pays de l’Oncle Sam et du nouveau président Biden, selon le CEBR, un tel rattrapage devrait toutefois plafonner à 1,9 % par an entre 2022 et 2024, pour redescendre par la suite à 1,6 % Alors que la Chine devrait connaître, elle, une croissance bien plus enviable : de 5,7 % par an de 2021 à 2025, avant de ralentir à seulement 4,5 % par an de 2026 à 2030.

L’arrogance tranquille des dirigeants chinois

Certes, rien ne dit que les Chinois·es verront leur niveau de vie moyen très vite égaliser celui des Occidentaux… Mais de telles perspectives florissantes ont de quoi regonfler à bloc l’Empire : son noyautage a priori « réussi » de la pandémie ne serait-il pas alors qu’un autre signe de plus de son hégémonie ? Pas pour l’auteur et ex-financier à l’international Alain Lemasson, pour qui « l’arrogance tranquille des dirigeants chinois en dit aussi long sur les paradoxes de ce régime dont la gestion prétendument à succès de la covid ne semble guère déterminante dans l’accélération de leur position dominante ». Car si Pékin est, de toute façon, loin d’en avoir fini avec le virus – 18 millions de personnes reconfinées dans le nord-est du pays en janvier –, ce discours lancinant sur l’autoritarisme chinois, « levier d’une meilleure sortie de crise », ne prend guère autant dans les esprits occidentaux. Et pour cause : « L’un des points faibles du pays est bien de pâtir d’une image assez négative, de régime répressif, au regard de l’absence de libertés individuelles et des multiples restrictions qui le caractérisent », tempère Alain Lemasson. En témoigne encore récemment, la disparition très suspecte, pendant trois mois, du P-DG d’Alibaba, Jack Ma, et la suspension de l’introduction en Bourse de sa filiale Ant Group après que le magnat chinois a publiquement critiqué la gestion de la crise sanitaire par le président Jinping (sans oublier la même disparition de la médecin Ai Fen lanceuse d’alerte aux prémices de l’épidémie).

Courant janvier, le « disparu » s’est finalement exprimé à nouveau dans une vidéo où il vante désormais les mérites du parti communiste chinois… Preuve de la capacité des autorités – excédées par le pouvoir jugé excessif des grands patrons de la tech chinoise – d’exercer leur totale mainmise sur un tel secteur, aussi puissant soit-il…

Biens de haute technologie

Édifiante, cette affaire nous rappelle aussi qu’en l’espace d’une génération, le géant asiatique a tout de même largement imposé son avancée technologique dans des domaines à forte valeur ajoutée, loin de son image désuète « d’atelier du monde » cantonné aux seuls produits manufacturés à bas coûts. Si bien que dans les secteurs de l’aéronautique et de l’aérospatial, comme celui de la construction navale, l’IA et plus généralement le high-tech, les États-Unis considèrent depuis longtemps déjà la Chine – riche de ses « Gafa » nationaux, les BATX – comme l’un de ses seuls rivaux crédibles. Mais pour la puissance qui s’affirme, une telle montée en puissance ne se paie pas sans « heurts », la pandémie n’en reste pas moins révélatrice des forces et des faiblesses de son modèle. « Oui, il est possible que la Chine dépasse un jour Washington dans le domaine économique, industriel et même militaire, composantes clés du hard power, commente Alain Lemasson, en revanche, elle affiche un soft power – attractivité culturelle, linguistique, etc. – en berne face à celui des États-Unis, dont le mythe puissant de l’Amérique reste solidement ancré dans le monde. » Un retard en la matière presque impossible à combler pour Pékin à moins que le changement ne vienne précisément de « ces nombreux étudiants chinois expatriés, imprégnés d’un autre mode de vie et pouvant instiller à terme un nouvel état d’esprit dans la population chinoise ». Et peut-être en filigrane, la fin de la soumission politique

Charles Cohen

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