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Pascale Auger, professeure associée chez Kedge Business School, tire la leçon des nouvelles attitudes de certains patrons. Lesquels n’ont pas besoin d’appartenir à la génération Y pour raisonner en start-uppers.

Quand Ricardo Semler, dirigeant de Semco, vit l’ordonnance que lui avait prescrite son médecin, il comprit qu’il devait choisir entre prendre 16 aspirines par jour pour maintenir son rythme de travail effréné ou changer radicalement son mode de vie.

Quand Yvon Chouinard, dirigeant fondateur de Patagonia, revint d’un week-end d’escale dans une de ses régions préférées, il prit conscience que les pitons en acier que ses usines fabriquaient, endommageaient les parois et la nature qu’il aimait tant.

Quand Alexandre Gérard, dirigeant de Chrono Flex, vit la faillite menacer son entreprise, il voulut tout faire pour ne pas sombrer et ne pas licencier les salariés qui l’avaient accompagné jusqu’alors.

Tous les trois ont été acculés, mis au pied du mur de leur entreprise et ont décidé de redresser la barre d’une manière pour le moins inattendue : au lieu de resserrer les finances ou de faire appel à des auditeurs externes pour mettre en place des outils de mesure et de contrôle de la performance, ils ont décidé de faire confiance à leurs salarié·es et à leurs convictions.

Par exemple, Ricardo Semler a supprimé les fouilles du personnel à la sortie des usines pour lutter contre le vol de matériel. Yvon Chouinard, soucieux de l’environnement, a interrompu la fabrication des pitons en acier (qui à l’époque représentait 70 % de sa production). Et Alexandre Gérard a, lui partagé son pouvoir de direction avec ses salarié·es et est parti faire le tour du monde pendant près d’un an.

Pour le bien-être de leurs entreprises et de leurs employé·es, ces trois dirigeants ont transformé leur perception du management et de la performance.

De nouvelles méthodes de management
Ricardo Semler a opéré plusieurs changements dans sa société : suppression de tous les processus qui avaient été mis en place pour mesurer les activités de l’entreprise, destruction des manuels de méthodes, en considérant que les individus savaient ce qu’ils avaient à faire, simplification du budget en se focalisant sur quelques chiffres généraux et en ne fixant aucun objectif de croissance. Ou encore abandon de la recherche d’économie d’échelle en multipliant le nombre de sites de production et en limitant les effectifs à 150 personnes par site.

Puis il mit en place un « management démocratique » dans chacun des sites, par lequel les salarié·es étaient libres de décider de leurs conditions et méthodes de travail. Il leur laissa le choix de fixer leurs propres horaires de travail, leur temps de congés et autorisa ceux qui le souhaitaient à travailler à domicile.

Enfin il décida avec eux·elles comment partager les profits de l’entreprise : « Je n’ai rien inventé, j’ai juste mis en pratique la conviction que les gens sont plus productifs dans la liberté, la transparence et la démocratie que sous une hiérarchie imposée. »

Ses méthodes radicales de management ont permis à son entreprise d’augmenter le chiffre d’affaires de 5 000 % sur 20 ans et ont fait de lui un leader à la renommée mondiale.

Parti grimper
Yvon Chouinard n’en fit pas moins. Il nomme lui-même sa méthode managériale « le MBA » ou « Management par l’absence ». Kris McDivitt, directrice générale de Patagonia, en témoigne : « Yvon voulait faire ce que bon lui semblait. Alors, il m’a confié les deux sociétés, en me disant : “Voilà Patagonia et voilà Chouinard Equipment, fais ce que tu veux. Moi je pars grimper”. Pour Yvon Chouinard, peu importe quand et comment travaillent ses employés, il les laisse libres de se débrouiller seuls. »

Les salarié·es sont incité·es à accomplir le travail qui leur est demandé sans contrainte hiérarchique et à continuer de pratiquer leurs sports favoris afin de ramener de nouvelles idées pour améliorer les produits Patagonia.

Ce qui compte avant tout, c’est de « travailler moins pour travailler mieux » et de respecter la charte de collaboration exigeant des échanges qui soient respectueux et bienveillants. L’ambiance de travail en découle. La plupart des salariés se rendent sur leur lieu de travail dans la tenue qu’ils·elles préfèrent, pieds nus, en tee-shirt usé ou en tenue outdoor. Ils·elles sont également autorisé·es à gérer leur planning comme ils l’entendent et d’aller surfer ou grimper quand les conditions sont bonnes.

Mais si un employé trouve une nouvelle bonne idée et veut la mettre en place, il doit respecter l’advice process, c’est-à-dire consulter toutes les personnes concernées par son projet.

« Je suis à votre service »
Au nom de la même inspiration Alexandre Gérard a réorganisé ses effectifs en 26 équipes composées d’une dizaine de techniciens itinérants et d’un « facilitateur » coopté pour 3 ans. Le contrôle du travail des salarié·es est supprimé. Les notes de service ainsi que les organigrammes sont bannis. Les signes de pouvoir de même que leurs prérogatives sont réduits au maximum, les salarié·es sont considérés comme les mieux placé·es pour savoir quelles décisions doivent être prises et comment elles doivent être mises en œuvre.

Alexandre Gérard présente sa philosophie « d’entreprise libérée » lors d’un TEDx Talks.

Quelques années plus tard, il en témoigne : « Je me suis rendu compte que j’avais tout faux : si mon entreprise allait mal, c’est parce que j’avais emprisonné la créativité et que je l’avais gérée à coups de procédures et d’interdits, en me focalisant sur les 3 % de gens qui ne respectaient pas les règles. En fait, la véritable difficulté pour être bon leader, c’est de descendre la pyramide et de dire “je suis à votre service”. »

Les nouvelles méthodes managériales mises en place par ces trois leaders leur ont permis d’assurer la réussite de leurs entreprises et d’obtenir une reconnaissance sur le plan mondial.

Un leadership transformationnel
Pour Stephen Covey (1992) et Bernard M. Bass (1999), les trois dirigeants ont adopté un leadership transformationnel. Ces deux chercheurs ont distingué deux types de leadership.

Le premier type, de nature transactionnelle, est largement utilisé dans les entreprises de culture taylorienne. Il utilise principalement les processus pour contrôler l’activité de ses équipes et pour obtenir la quantité de travail et la performance exigées. Dans ce contexte de travail, la confiance interrelationnelle est peu sollicitée. Ce ne sont pas les individus qui garantissent le maintien de la performance, mais la hiérarchie, les méthodes et les processus qui ont été mis en place.

A contrario, le leadership transformationnel est enclin à inventer de nouveaux schémas de fonctionnement. Les salarié·es sont personnellement engagés dans les processus de décision et vont transformer leurs méthodes de travail. La performance repose sur la capacité des individus à être suffisamment en confiance pour développer de nouvelles idées, prendre des initiatives, s’engager personnellement et prendre des risques. La hiérarchie n’est pas centrée sur l’opérationnel mais promeut les initiatives, donne du sens, incarne les valeurs et la raison d’être de l’entreprise.

Dans le contexte actuel de complexité et d’incertitude, il est certainement tentant de se recroqueviller sur nos habitudes de pensées et nos méthodes rationnelles… Mais, comme je l’ai montré dans mes recherches, il serait certainement temps de changer de paradigme et de s’inspirer des pratiques plus démocratiques et fondées sur la confiance.

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