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Le Sars-Cov-2 n’en est qu’au début de son histoire évolutive. Si des variants continuent d’émerger à un rythme soutenu, il faudra commencer à envisager les méthodes employées pour les variants grippaux, seule solution pour maintenir une protection efficace pour les personnes les plus vulnérables.
Benjamin Roche, directeur de recherche à l’Institut de recherche pour le développement (IRD), se focalise sur l’application des concepts d’écologie évolutive à des problèmes de santé humaine et animale, plus précisément sur les maladies infectieuses et le processus de cancérogénèse. Il livre son analyse à The Conversation France.
Ces derniers mois, trois variants principaux du coronavirus Sars-Cov-2 ont été détectés : le VOC 202012/01 en Grande-Bretagne au mois de septembre, le 501 Y.V2 en Afrique du Sud au mois d’octobre, et le P.1 au Brésil ainsi qu’au Japon, au mois de janvier 2021.
Si l’émergence de variants viraux est un processus parfaitement normal durant une épidémie, nous ne savons pas exactement pourquoi ces variants sont apparus de façon concomitante dans plusieurs régions du monde. Faisons le point sur les hypothèses actuellement formulées.
L’émergence des variants, un mécanisme naturel
Comme tous les virus, le coronavirus Sars-Cov-2 mute en permanence : en se multipliant, il recopie son matériel génétique et, ce faisant, commet parfois des erreurs, ou mutations. Son génome est donc sans cesse modifié, ce qui produit trois sortes de conséquences.
Certaines de ces mutations, qui surviennent spontanément, sont délétères. Les virus qui les portent subissent un préjudice par rapport aux autres (ils se transmettent moins bien par exemple). Ils sont alors « contre-sélectionnés » : les virus qui ne les portent pas se transmettent mieux et envahissent donc la population.
D’autres mutations n’ont pas de conséquences « observables » : elles ne modifient pas les capacités du virus, qui continue à se transmettre de la même façon, à infecter les mêmes classes d’âges, à provoquer des symptômes de gravité similaire à ceux qu’engendrent les virus non mutés, etc. Ces mutations « neutres » se transmettent de façon aléatoire, puisqu’elles n’offrent pas d’avantage particulier au virus qui les porte.
Enfin, à l’inverse, les mutations spontanées s’avèrent parfois « bénéfiques » pour le virus, en lui permettant par exemple de se transmettre plus facilement. Ce nouveau virus – que l’on peut appeler « variant » – infectera plus rapidement un plus grand nombre de personnes et deviendra donc le virus dominant dans la population. On dit alors que ces mutations bénéfiques (toujours pour le virus) sont « sélectionnées ».
De fait, ces variants sont pratiquement des nouveaux virus puisqu’ils ont un comportement différent de celui du virus dont ils sont issus. Ils vont ainsi se transmettre d’une autre façon en termes de contagiosité ou d’âge des personnes infectées, voire, dans le pire des cas, provoquer une maladie plus grave.
Actuellement, le variant qui a évolué en Angleterre semble plus transmissible que les virus qui circulaient avant son émergence. Quant aux variants initialement détectés en Afrique du Sud ou au Brésil, ils pourraient être capables de réinfecter des personnes qui ont déjà contracté une infection par des virus Sars-Cov-2 qui circulaient avant leur émergence. Autrement dit, une large proportion d’individus qui auraient déjà contracté le virus pourrait ne pas être totalement protégée contre ces variants.
Pourquoi des variants apparaissent-ils maintenant ?
Première hypothèse, les capacités de détection de ces nouveaux variants ont grandement augmenté durant les derniers mois, de quoi rendre leur identification plus facile. Le premier variant identifié l’a été en Grande-Bretagne, où les capacités de séquençage des virus sont sans commune mesure avec le reste du monde.
Deuxième hypothèse, l’augmentation des pressions de sélection sur le virus. Le variant brésilien est apparu dans la ville de Manaus, où une étude a suggéré que l’immunité de masse aurait pu avoir été atteinte, ce qui implique que plus de 66 % de la population auraient été infectés. Or les mutations spontanées deviennent bénéfiques dans un environnement particulier. Autrement dit, si certaines mutations changent suffisamment le phénotype du virus qui les portent (c’est-à-dire ses caractéristiques « observables », son apparence ou ses capacités) pour qu’il ne soit pas reconnu par les anticorps produits lors de la première vague épidémique. Ledit virus se transmettra beaucoup plus efficacement que le variant historique et deviendra ainsi dominant.
Enfin, troisième hypothèse, celle de l’implication de ce que l’on appelle des « covid longs ». Certains patients infectés par le coronavirus, notamment ceux dont le système immunitaire est déficient, développent des formes relativement longues de la maladie. Ce qui signifie qu’ils gardent le virus pendant plusieurs semaines, voire plusieurs mois dans leur organisme. Or si le virus évolue quand il se transmet, il évolue aussi au sein des organismes qu’il infecte. Étant donné que les covid longs ont pu faire leur apparition à peu près en même temps un peu partout dans le monde, cette évolution intra-individus pourrait expliquer l’émergence apparemment simultanée des multiples variants.
Il est important de noter que les trois hypothèses ne sont pas forcément indépendantes, chacun des mécanismes a pu contribuer de façon plus ou moins importante à l’émergence de chacun des variants.
Quelles implications pour la pandémie en cours ? Et pour le futur ?
On pouvait s’attendre à l’émergence de ces variants, puisqu’il s’agit d’un processus normal. D’autres pourraient apparaître dans les prochaines semaines ou dans les prochains mois. Ces émergences doivent être étroitement surveillées, car elles risquent de changer radicalement l’épidémiologie du Sars-Cov-2. Il semble d’ailleurs que les principaux nouveaux variants se transmettent de façon beaucoup plus efficace que le variant historique.
Alors que le nombre de reproduction de base (le fameux R0, qui correspond au nombre de personnes qu’un individu infecté contamine en l’absence de mesures de contrôle de la transmission) du Sars-Cov-2 était d’environ 3 au début de l’épidémie, ceux des variants britannique et sud-africain se situeraient plutôt entre 4 et 5.
Si ces estimations se vérifiaient – elles sont à considérer avec beaucoup de prudence pour l’instant, les données sont en cours d’acquisition – la vitesse de propagation du virus s’en trouverait grandement changée. Après 10 chaînes de transmission sans distanciation sociale, le variant sud-africain pourrait ainsi infecter jusqu’à 10 millions de personnes, là où le variant historique n’en infecterait « que » 60 000 !
On suspecte aussi une augmentation de la mortalité due au variant britannique, mais ce point reste discuté dans le sérail scientifique pour le moment. Encore une fois, l’avenir dira ce qu’il en est réellement.
Un des paramètres dont on surveille particulièrement l’évolution est celui que l’on nomme l’« échappement immunitaire ». Il correspond à la capacité des nouveaux variants à ne pas être reconnus par le système immunitaire des individus infectés par le virus historique. Si le chiffre de l’échappement immunitaire venait à augmenter, le nombre de réinfections au Sars-Cov-2 augmenterait lui aussi. Ce phénomène était, jusqu’à maintenant, très rare, mais commence à être observé en Afrique du Sud et au Brésil. Il est bien difficile de déterminer pour l’instant si cette proportion d’individus en risque de réinfectation est importante ou non.
Plus préoccupant encore serait un échappement immunitaire rendant les vaccins actuellement déployés moins efficaces. Heureusement, pour l’instant, l’efficacité contre les variants du Sars-Cov-2 des vaccins actuels semblent préservée. L’Afrique du Sud avait cependant mis en pause la vaccination avec le vaccin d’Oxford-AstraZeneca après qu’une étude a pointé son efficacité « limitée » contre le variant en circulation dans le pays. Des données complémentaires sur cette question devraient être disponibles dans les semaines à venir.
Le manque de données sur ces variants constitue un réel problème, d’autant que d’autres risquent d’émerger dans les prochains mois. À chaque fois qu’un nouveau variant apparaît, il est donc primordial de retester rapidement l’efficacité vaccinale.
Une menace sans fin ?
Au vu de l’apparition de nouvelles mutations qui pourraient conférer d’autres propriétés encore aux variants qui ont émergé très récemment, leur surveillance s’annonce essentielle.
Cette évolution continuelle des virus est néanmoins bien connue et des solutions ont déjà été mises en place contre d’autres virus, dont celui de la grippe. Des variants grippaux émergent à peu près tous les 10 ans, ce qui pousse les laboratoires à mettre constamment à jour le vaccin contre ce virus.
Pour les y aider, un réseau de surveillance mondial a été déployé afin de suivre les mutations du virus de la grippe. Étant donné qu’il s’agit d’un virus saisonnier, c’est-à-dire qui se répand davantage pendant les périodes hivernales, un groupe mondial d’experts est chargé d’analyser les mutations qui circulent dans l’hémisphère sud pendant l’hiver austral afin de prédire celles qui pourraient circuler pendant l’hiver dans l’hémisphère Nord. Le même processus est, bien sûr, appliqué pour surveiller les mutations circulant pendant l’hiver dans l’hémisphère nord.
En se basant sur ces données, l’Organisation mondiale de la santé publie deux fois par an une liste des variants à inclure dans les vaccins à destination des hémisphères nord et sud. Le Sars-Cov-2 n’en est qu’au début de son histoire évolutive. Si des variants continuent d’émerger à un rythme soutenu, il faudra commencer à envisager de telles méthodes, seule solution pour maintenir une protection efficace pour les personnes les plus vulnérables