Le choix hydrogène de Toyota

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Les voitures électriques font fureur. Alors pourquoi Toyota continue-t-il d’investir dans l’hydrogène ?

À lui seul, Tesla a changé l’avenir des voitures. Il a obligé les constructeurs automobiles plus traditionnels à lui courir après. Les véhicules électriques sont désormais le pilier de la gamme de chaque constructeur. Même les sceptiques comme General Motors et Volkswagen (VW) réorganisent leurs gammes autour du véhicule électrique (VE).

Mais une entreprise ne met pas tous ses œufs dans les VE. Le géant japonais Toyota, s’il prévoit lui aussi de lancer des véhicules électriques, mise toujours fortement sur les piles à combustible.

Pourquoi ? La technologie des piles à combustible n’a-t-elle pas déjà perdu la guerre de l’automobile ?

Les piles à combustible carburent à l’hydrogène
Sur le papier, la technologie des piles à combustible est la solution énergétique propre parfaite pour lutter contre le changement climatique. L’hydrogène sous forme liquéfiée passe dans une pile à combustible qui produit l’énergie apte à faire fonctionner un véhicule. L’eau en est le sous-produit. L’hydrogène contient plus d’énergie par unité de masse que tout autre forme de carburant.

Alors que l’essence compte 46 mégajoules (MJ) par kg de carburant, l’hydrogène délivre 120 MJ par kg, soit environ 2,5 fois plus. Dans un monde idéal, il faudrait donc moins d’hydrogène pour faire fonctionner le même véhicule que les combustibles fossiles. Seules quelques piles à combustible seraient nécessaires, de quoi obtenir un véhicule léger, contrairement aux batteries lourdes. L’autre avantage est que le ravitaillement en carburant est rapide, comme pour le gaz ordinaire.

Les piles à combustible, qui utilisent des méthodes de production d’énergie propres, n’émettent que de l’eau et, en raison de leur forte densité énergétique, sont à même de fournir beaucoup d’énergie – Shigeki Terashi, vice-président exécutif de Toyota

Pourquoi l’adoption de la pile à combustible à hydrogène ne soulève-t-elle pas l’enthousiasme ?
La révolution de l’hydrogène a été promise il y a plus d’une décennie par le gouvernement Schwarzenegger en Californie. Elle n’a pas eu lieu. La technologie de l’hydrogène est confrontée à la fois à une limite d’offre et de demande. La chaîne d’approvisionnement n’est pas « robuste ». Il n’existe pas assez de stations de ravitaillement et certaines sont souvent fermées pour entretien. Des ruptures d’accès aux sources d’hydrogène en découlent. Pour l’heure, l’hydrogène est essentiellement produit dans des usines où s’accomplit la séparation hydrogène-oxygène, mais ces laboratoires sont alimentés par des combustibles fossiles.

L’autre grande limite est le coût. La technologie des piles à combustible utilise un hydrogène vendu de l’ordre de 16 dollars le gallon (3,78 litres). Elles ont besoin en outre d’un alliage de platine comme catalyseur, matériau coûteux. Des recherches sont en cours pour réduire la quantité de platine utilisée ou même l’abandonner pour réduire les coûts.

La commercialisation généralisée et durable des véhicules électriques à pile à combustible exige soit une réduction spectaculaire de la quantité de platine nécessaire, soit le remplacement des catalyseurs en platine par ceux fabriqués à partir de matériaux peu coûteux et abondants sur terre, comme le fer – Deborah Myers, chimiste senior au Laboratoire national d’Argonne.

Le stockage du gaz augmente le coût. L’hydrogène, bien que dense en énergie par sa masse, n’est pas aussi dense par son volume. Le maintenir dans des réservoirs à l’état liquide passe par un refroidissement. Autant de dispositifs qui augmentent le coût du combustible. Chaque ravitaillement en carburant coûte donc plus cher que l’essence et nettement plus que l’électricité. Soit des voitures plus chères à l’achat et plus coûteuses à entretenir. Il n’est donc pas très logique d’acheter une voiture à hydrogène.

Alors pourquoi Toyota continue-t-il à le soutenir ?
Toyota fut l’un des premiers constructeurs à miser sur les piles à combustible. Mais la Toyota Mirai, qui fonctionne à l’hydrogène, a reçu une réponse tiède des acheteurs. À 50 000 dollars l’auto, on aimerait trouver une station-service au coin de la rue…

On aurait pensé que l’échec commercial de la Mirai allait mettre les plans de Toyota en matière d’hydrogène en veilleuse. Mais non, Toyota s’entête à produire ce type de motorisation, moyennant de légères mises à jour. Le LA Times en donne une raison : Toyota ne veut pas mettre tous ses œufs dans le même panier pour l’avenir de l’automobile. Ils investiront dans les VE, mais garderont Mirai en activité au cas où l’hydrogène deviendrait important. La seconde raison est que Toyota mise sur la pile à combustible pour d’autres applications que l’automobile…

Toyota ne mettra pas tous nos œufs dans le même panier technologique – Doug Murtha, vice-président du groupe Toyota aux États-Unis pour la stratégie et la planification d’entreprise

À commencer par les poids lourds. Les camions, les bus et les chariots élévateurs à fourche ont besoin de plus de puissance. La technologie actuelle des batteries fait appel à de lourdes batteries au lithium-ion. Alimenter les véhicules lourds en multipliant les batteries les « plomberait » sur place, sans jeu de mots. Une pile à combustible à hydrogène serait le substitut idéal. Plus de puissance pour un véhicule lourd… allégé.

Pour les véhicules utilitaires comme les chariots élévateurs et les camions, le temps passé à les recharger équivaut à de l’argent. Un ravitaillement rapide est efficace est synonyme d’économies. Avec leur autonomie supérieure, les véhicules à hydrogène sont parfaits pour le transport : les camions à hydrogène revendiquent une autonomie de 500 à 750 miles, soit de 800 à 1 200 kilomètres.

C’est peut-être la raison pour laquelle même les start-up comme Nikola parient sur des camions à hydrogène. Des bus à hydrogène circulent déjà dans plusieurs villes. En fait, Toyota construit actuellement 100 autobus à pile à combustible pour les Jeux olympiques de Tokyo reportés. Toyota s’est associé à cinq entreprises chinoises pour développer des piles à combustible pour les véhicules commerciaux afin de réduire les prix.

Construire la chaîne d’approvisionnement
Toyota aide à développer un modèle d’approvisionnement en carburant dit « de la vache à la voiture » en Californie. Les vaches produisent du méthane, un gaz à effet de serre important, par leurs éructations, leurs pets et leurs crottes. Mais le méthane est aussi une source d’hydrogène ! Cette idée novatrice abolit deux obstacles si jamais elle se révélait exploitable : elle promet un hydrogène propre et un approvisionnement robuste !

Le projet consiste à utiliser un digesteur anaérobie dans les fermes pour transformer les déchets animaux en méthane. Collecté et acheminé par une pile à combustible pour produire de l’hydrogène et de l’électricité. La collecte du méthane ne demande pas même de gazoduc supplémentaire. Il circule dans les conduites de gaz naturel existantes. L’hydrogène serait pompé vers les stations de remplissage tandis que l’électricité pourrait être injectée dans le réseau. La centrale a cependant connu des retards. Une autre usine est en cours de construction pour transformer les déchets de papier en hydrogène. Bien que le développement de cette infrastructure prenne du temps, elle promet un approvisionnement régulier en hydrogène une fois mise en place.

L’hydrogène comme stockage d’énergie pour les énergies renouvelables
L’énergie renouvelable est une excellente source d’énergie propre. Mais elle présente un défaut inhérent : elle n’est pas continue.

La réponse consiste à stocker l’énergie sous une forme ou une autre pendant les pics de production et de l’utiliser lorsque la production est faible. L’hydrogène devient une solution de stockage. L’énergie renouvelable est utilisée pour convertir l’eau (qui pourrait être de l’eau de mer) en hydrogène. Puis cet hydrogène s’utilise pour produire de l’électricité via des piles à combustible…

C’est là que Toyota développe sa vision d’avenir. L’énergie à base d’hydrogène pourrait prendre une place considérable hors l’automobile. Le vol spatial en est une voie, importante puis l’hydrogène constitue le principal carburant pour les vols spatiaux. Il est en outre plus abondant dans l’espace (75 % de notre Univers est constitué d’hydrogène). Toyota travaille avec l’agence spatiale japonaise Jaxa à la conception d’un rover lunaire, alimenté par des piles à combustible à hydrogène, pour une autonomie de 10 000 km.

L’aviation à hydrogène suscite également de l’intérêt. Si Toyota n’investit pour l’heure pas dans ce domaine, la mer, elle, intéresse la firme japonaise qui développe déjà des piles à combustible pour des applications maritimes. Or la navigation commerciale contribue aux émissions de gaz à effet de sphère (2,5 %). Le transport maritime commercial est l’élément vital du commerce moderne et il ne peut que se développer.

Les œufs de Toyota
Autre recherche propre à Toyota, le développement d’une ville entièrement alimentée en hydrogène au Japon. La Woven City s’étendra sur une surface de 71 hectares. Cette ville futuriste se veut un test de vie urbaine avec des systèmes autonomes, la robotique, des maisons intelligentes et l’IA. Projet viable : dans les régions tropicales et ensoleillées du monde, une centrale solaire est à même de transformer l’eau de mer en hydrogène qui alimente les villes et les véhicules.

Il y a des années, lorsque Tesla a parié sur l’électricité, les grandes entreprises comme VW, BMW n’étaient pas intéressées. Aujourd’hui, tout le monde est impatient de prendre le train en marche. Il est possible que ce soit Toyota qui parie sur l’avenir maintenant ! Un avenir qui a été maintes fois retardé. Et c’est là que réside le risque. Toyota construit-il un château de cartes sur une fausse notion d’approvisionnement régulier en hydrogène propre et bon marché ? Une autre percée technologique peut-elle rendre superflue la technologie des piles à combustible à hydrogène ?

Une autre possibilité serait de rendre l’hydrogène bon marché et largement disponible. De plus, l’augmentation de la production et des investissements du côté de l’offre est de nature à résoudre certaines des limites qui affectent l’hydrogène.

Au fond, si les véhicules électriques restent a priori l’avenir des voitures, les villes – terrestres ou spatiales –, les bus, camions ou bateaux qui les irriguent et les relient seraient, eux, probablement à hydrogène.

Salman Hasan
est scientifique de formation, consultant en affaires, philosophe de salon !

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