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Me Philippe-Henry Honegger est avocat pénaliste au cabinet Ruben & Associés. Il nous livre sa vision du travail en prison en France, encore trop perçu comme secondaire.
« Je vais mettre en place un contrat de travail. Il ne peut pas y avoir de décalage entre la prison et le reste de la société ou alors on considère que la prison est une société à part », voilà les mots prononcés début mars par le ministre de la Justice, Éric Dupond-Moretti. En référence à un avant-projet de loi qui sera présenté mi-avril dans lequel on retrouve la volonté de créer le statut de détenu·e travailleur·se – en 2018 en France, seul·es 19 000 personnes disposaient d’un emploi pour plus de 70 000 détenu·es, selon l’Observatoire international des prisons. Un chiffre bien bas et sur la mauvaise pente depuis de nombreuses années. Entretien avec Me Philippe-Henry Honegger, avocat pénaliste au cabinet Ruben & Associés.
Le taux d’emploi des détenu·es est passé de 46,2 % en 2000 à 28 % en 2018, comment expliquer ce repli ?
Ce repli s’explique d’abord par la surpopulation carcérale qui touche les prisons françaises. Ce n’est pas tant que l’on trouve moins de postes à pouvoir, mais si les prisons font face à plus de détenu·es, la proportion des personnes qui travaillent en prison sera moindre, c’est mécanique. En outre – sans doute la deuxième explication – les prisons manquent cruellement de moyens. Pour faire travailler les détenu·es, vous devez avoir des locaux adaptés, ces mêmes locaux qui servaient autrefois à accueillir des activités liées au travail se retrouvent, désormais, utilisés pour parer à la surpopulation carcérale. Sans compter aussi la baisse des effectifs des surveillant·es pénitentiaires. Car oui, qui dit travail dit aussi nécessité d’encadrement.
Vous parlez de la faiblesse des moyens mis en place, pourquoi n’y a-t-il pas eu davantage d’entrain à revaloriser le travail en prison ?
Oui, le manque de moyens est à prendre au sens large. Puisqu’avant les moyens à mettre en œuvre, c’est la façon dont on conçoit l’objectif de la prison que l’on doit interroger. Simple enfermement dans des conditions exécrables pour punir ou volonté d’accompagnement d’un·e détenu·e pour favoriser sa réinsertion ? Le penseur Cesare Beccaria [juriste, criminaliste, philosophe… ], par exemple, encourageait la détention dans de bonnes conditions pour que les principaux concernés réfléchissent à leurs actes et prennent du recul, se réhabilitent, une façon de sortir « meilleurs » de la prison. On a ici une logique de réinsertion, qui devrait correspondre au projet initial de la prison. Le travail joue un rôle majeur pour se réinsérer, il doit être l’une des priorités. Et pourtant – sans remettre la faute sur tel ou tel gouvernement, de droite ou de gauche – la société, depuis maintenant 50-60 ans, relègue au second plan le travail en prison au profit d’un autre dessein : l’enfermement pour assurer la sécurité absolue. On pense trop peu à l’après.
Sur cette conception de la prison, Robert Badinter [ancien ministre de la Justice, avocat] estimait que le problème était bien plus profond, pour la société : inacceptable que les conditions de vie des détenu·es soient meilleures que les pires conditions que l’on peut observer au sein de la population des femmes et hommes libres. Or, quand on continuera à penser que les détenu·es ne doivent bénéficier d’aucun droit, on ne pourra atteindre l’objectif de réinsertion – et cela doit en être un – fixé par la prison. Alors oui, la création d’un statut de détenu·e travailleur·se par le ministre de la Justice va dans le bon sens, mais reste à savoir précisément ce que prévoient les termes du contrat de travail. Aujourd’hui, il existe un simple contrat d’engagement exonératoire du droit habituel avec beaucoup moins d’avantages évidemment : un salaire d’1,62 euro de l’heure, des horaires pas garantis, pas de congés payés… Bref, on vous dit quand travailler, vous le faites. Ni plus ni moins.
À quoi ressemble concrètement le travail en prison ? Quelles autres pistes pour l’améliorer ?
Vous avez ce qu’on appelle les ateliers. Des lieux où se retrouvent les détenu·es pour exercer des tâches comme la mise sous pli, la préparation de cartons, la manutention, soit du travail à la chaîne sans qualification particulière. D’autres jobs existent aussi et directement liés à la prison : travailler pour les cuisines de l’établissement, apporter du courrier, à boire ou à manger aux autres détenu·es, des rôles d’auxiliaires de détention ou de maintenance. Généralement, il faut montrer « patte blanche » pour accéder à ces postes, ne pas provoquer d’incidents et donc bien se comporter.
Le travail en prison va parfois représenter un dilemme : travailler, c’est aussi faire une croix sur la promenade du jour, « si je vais travailler, je ne verrai plus le ciel », se disent les détenu·es. Enfin, le monde carcéral demeure tellement réglé que le moindre retard, de trente minutes ou parfois moins – lié à un oubli d’un·e surveillant·e ou tout autre incident propre à l’établissement pénitentiaire – annule pour la journée la possibilité de travailler, puisque l’imprévu décalerait les autres activités.
Il faut savoir qu’un·e détenu·e coûte 100 euros par jour, soit 3 000 euros par mois pour être enfermé·e entre quatre murs. Pourquoi ne pas utiliser cet argent pour notamment financer des associations afin qu’elles développent et proposent des activités aux détenu·es ? Ou financer la formation de nouveaux·lles conseiller·ères pénitentiaires d’insertion et de probation, les CPIP, bien trop peu nombreux·ses ? Tout mettre en œuvre pour favoriser la réinsertion. D’autre part, on insiste beaucoup en France sur l’ère du télétravail, s’il y a bien une catégorie de population qui peut parfaitement télétravailler… ce sont les détenu·es ! Si les conditions de sécurisation d’ordinateurs s’avèrent réunies, je crois au télétravail aussi dans les prisons, un moyen supplémentaire pour anticiper la sortie de détention.
Pour ouvrir le débat, croyez-vous au lien entre pauvreté et incarcération ?
Absolument ! Quand on commet un fait, le tribunal juge d’abord la culpabilité, puis – si la personne est reconnue coupable – la peine. En France, on parle d’une personnalisation des peines, c’est-à-dire la capacité à trouver la peine la plus adaptée en fonction de la situation des personnes. À titre d’illustration, un père de famille, avec un emploi et une vie plutôt stable, se confrontera moins souvent à une peine de prison – car il dispose déjà de « garanties » de réinsertion – qu’une personne sans emploi et aux conditions de vie plus instables. Problème, puisqu’on a vu que la prison n’offrait pas assez cette logique de l’après, de la réinsertion, et bien vous avez une justice qui aujourd’hui… favorise la récidive et aggrave la position de celles et ceux qu’elle condamne initialement.
Propos recueillis par Geoffrey Wetzel
Ps : L’avant-projet de loi qui sera présenté par le garde des Sceaux mi-avril prévoirait un statut de détenu·e travailleur·se avec la possibilité pour le gouvernement de légiférer par ordonnance pour permettre « l’ouverture de droits sociaux aux personnes détenues, dès lors qu’elles sont utiles à leur réinsertion et notamment les droits à l’assurance-chômage, vieillesse, maladie et maternité et maladie professionnelle et accident du travail ».