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Si l’activité industrielle et la production sont sur la pente ascendante, les fournisseurs peinent à suivre le rythme des besoins en matières premières.
En France et partout en Europe, l’industrie repart tant bien que mal. Problème, cette reprise heureuse se heurte déjà à des tensions d’approvisionnement et de pénurie de stocks, tant la demande mondiale a explosé en quelques semaines. Entre manque de composants électroniques et de matières premières et flambée des prix, c’est toute la relance de l’industrie qui est en jeu.
Dans tous les secteurs industriels, le même constat : les stocks s’amenuisent dangereusement et les fournisseurs ne suivent pas le rythme de la demande galopante. Les entreprises françaises et européennes doivent composer avec les tensions d’approvisionnement mondiales et des hausses de prix sur une dizaine de matériaux cruciaux pour lesquels la demande est supérieure à l’offre disponible. En parallèle, les prix du pétrole, du gaz naturel ou encore de de l’aluminium flambent. Semi-conducteurs, acier, métaux non ferreux, résines plastiques et caoutchouc, intrants chimiques, matières premières agricoles, bois de construction… « Le plus souvent, ce sont davantage des rapports de force défavorables à la demande que des pénuries. Mais pour une petite dizaine de catégories, il y a effectivement des soucis de disponibilité », résume Vincent Moulin Wright, directeur général de France Industrie. Et la liste des produits en quasi-pénurie s’allonge de jour en jour. À tel point que le surprenant rebond de l’industrie française pourrait être menacé. Le déséquilibre entre l’offre et la demande commence déjà à se sentir dans les chiffres macroéconomiques de production de biens, qui fléchissent légèrement : -4,7 % de production industrielle en France en février. En cause notamment, la politique du « stop-and-go » pratiquée par les pays européens. Pendant que les entreprises du Vieux continent faisaient le yo-yo entre restrictions et éclaircies, leurs homologues asiatiques et américaines ont passé leurs commandes. Ajoutez à cela un tremblement de terre au Japon, une pénurie de conteneurs et un cargo qui s’échoue au milieu du canal de Suez… Le cocktail est explosif pour les industriels européens.
Les carences de l’industrie automobile
Parmi les secteurs industriels dans le cyclone, les coups durs s’enchaînent pour l’automobile. Et pour cause. La voiture, complexe assemblage de composants de toute nature, est particulièrement sensible aux moindres tensions sur la chaîne logistique. Les désastres s’enchaînent : tremblement de terre au Japon qui touche l’usine de fabrication de semi-conducteurs Renesas, vague de froid au Texas qui frappe les usines de NXP, Infineon et Samsung, fabricants de microcontrôleurs très utilisés dans l’automobile et même incendie de l’usine de Renesas qui concentre 70 % de la production de plaques de silicium destinées à l’automobile. Selon les experts d’IHS Market, les pénuries empêcheront la production d’1,3 million de voitures dans le monde au premier trimestre 2021, puis autant, voire davantage, au second semestre. Les français PSA et Renault ont d’ores et déjà dû mettre à l’arrêt certaines de leurs usines ces dernières semaines. En février, la fabrication de matériel de transport a ainsi baissé de 11,4 %. En Allemagne, poids lourd mondial de l’automobile, elle a baissé de près de 6 %.
Pénurie de semi-conducteurs
Voilà des composants minuscules (les plus avancés font entre 5 et 7 nanomètres), mais indispensables à des pans entiers de l’industrie mondiale. Les semi-conducteurs sont partout : appareils électroniques (smartphones, ordinateurs, consoles de jeux vidéo…), automobiles, avions, réseaux informatiques et téléphoniques. Ces matériaux, dont le plus connu et utilisé est le silicium, sont – en simplifiant à l’extrême – des sortes de puces grâce auxquelles les appareils électroniques captent, traitent ou stockent des données. Autant dire que leur pénurie est problématique pour les industries du monde entier. D’autant plus que l’Europe n’en produit que très peu et dépend de fait des principaux fabricants : TSMC à Taïwan, Samsung et SK Hynix en Corée du Sud et Intel aux États-Unis. Outre des difficultés d’approvisionnement pour les équipements de communication ou les dernières consoles de jeu (Playstation 5 et Xbox), l’automobile est là encore la victime principale. Selon une note de Matthias Heck, analyste chez Moody’s, la pénurie de semi-conducteurs devrait « réduire le volume de production d’environ 2 % cette année ». La crise sanitaire et la hausse soudaine de la demande n’auront fait qu’accélérer les tensions pesant sur le marchés des semi-conducteurs, déjà sous pression à cause de la guerre commerciale sino-américaine. Face à l’explosion des besoins, les grands fabricants ont multiplié les annonces d’investissements pour renforcer leur capacité de production. Intel va investir 20 milliards de dollars, TSMC 100 milliards. Mais le mal est fait, les industriels du secteurs estiment qu’il faudra six à neuf mois pour résorber la pénurie et rattraper le retard accumulé.
Outre les semi-conducteurs, certaines pénuries sont plus étonnantes, à l’instar du papier toilette, qui souffre de l’allongement des délais de livraison de la pâte à papier et de l’augmentation de la consommation, ou encore les sachets de ketchup, dont le prix a augmenté de 13 % en 2020. Globalement, il apparaît que les difficultés d’approvisionnement sont autant de prix à payer pour l’industrie mondiale. Si elle subit moins la crise que les services, elle ne peut échapper à l’apparition de goulets d’étranglement à certains endroits clés quand la demande pour les biens industriels augmente. Des écueils inévitables donc qui pourraient bien faire dérailler la fragile reprise à peine engagée.
ABA