Tout n’est pas noir, tout n’est pas bouché. Des secteurs se distinguent par leur activité renforcée ou cruciale dans le contexte. Ils recrutent de plus belle pour répondre de nouvelles demandes nées et boostées par la crise. Pour ces quelques filières demanderesses, le défi sera de maintenir la cadence.

D’un côté, des secteurs qui, avant 2020, recrutaient beaucoup et profitaient d’une dynamique positive (aéronautique, tourisme, hôtellerie-restauration, événementiel) et qui se sont heurtés à un mur dès le 1er trimestre. De l’autre, des secteurs déjà sur la pente ascendante qui ont su tirer leur épingle du jeu au plus fort de la crise, grâce à leur adéquation avec les demandes et les besoins du moment. Jusqu’à recruter massivement. Sans oublier la tension continue des métiers de la santé, particulièrement sollicités et primordiaux pour la lutte contre la covid et pour la reprise économique.

Pour les filières à la peine, priorité à la préservation de leur structure et de leur force de travail, notamment via les aides d’urgence de l’État qui limitent grandement pour l’heure la casse en matière d’emploi et de recrutement. Comme l’explique Gilbert Cette, professeur d’économie à l’université d’Aix-Marseille et spécialiste du marché de l’emploi, « les pays européens en général et la France en particulier ont fait le choix de la préservation de l’emploi, par des dispositifs comme le chômage partiel et le fonds de solidarité. De quoi limiter les pertes d’emplois malgré les -8 % de PIB, c’est dire. Que l’on ait enregistré 40 % de défaillances d’entreprises en moins, c’est quelque chose de fort ». Dans ce contexte, les entreprises capables de surfer sur la nouvelle donne et dont le modèle répond aux moyens de consommation privilégiés en raison des restrictions ont pu maintenir et accélérer leur recrutement. Entre numérisation de l’économie et des entreprises, télétravail, confinements et transition écologique, les besoins ne manquent pas.

Le boom de la logistique et de la préparation de commande

« On distingue particulièrement deux secteurs qui s’en sortent très bien et qui ont présenté de gros besoins de recrutement : la logistique et la grande distribution. Tout ce qui est stockage et entrepôts, avec, d’une part les besoins de la grande distribution et de l’autre l’essor de l’e-commerce. Maintenant, tout le monde achète en ligne », résume Stéphanie Delestre, présidente de la plate-forme de recrutement en intérim Qapa. Grâce aux fermetures de magasins physiques et à l’essor exponentiel de la consommation et des achats par Internet, c’est tout le secteur de la chaîne d’approvisionnement, du stockage à la livraison, qui a massivement recruté. Même constat pour la grande distribution, en particulier lors du premier confinement au printemps 2020, face aux ruées dans les rayons.

Symbole de la croissance exponentielle des enseignes de l’e-commerce, Amazon a embauché 430 000 personnes dans le monde en 2020. Selon le baromètre des métiers qui vont le plus recruter en 2021, publié par Qapa, le métier d’agent·e de tri/préparateur·rice de commande se classe deuxième, derrière celui d’auxiliaire de vie et d’aide à domicile. À eux seuls, ces métiers de la logistique devraient proposer 40 000 postes. Même constat du côté de l’e-commerce et de la vente qui, toujours selon Qapa, recruteront près de 20 000 personnes. Selon Pôle emploi, les métiers du transport et de la logistique représentent près de 2 millions d’emploi et devraient aboutir à la création d’environ 540 000 postes à l’horizon 2022.

La numérisation de la chaîne d’approvisionnement et de commande et l’évolution du parcours client engendrent de nouveaux besoins, de nouveaux métiers. À l’heure du click & collect et de la consommation numérique, les métiers de la logistique, de la préparation de commande, de la livraison et de l’e-commerce en général ont le vent dans le dos. Ils l’avaient avant 2020, mais la crise a soufflé une bourrasque qui leur est d’autant plus favorable. En revanche, on peut postuler que parmi ces recrutements, beaucoup correspondent à des postes dits peu qualifiés ou à faible valeur ajoutée : quid de la durabilité de ces emplois ? « Pour la logistique, la préparation de commande et les métiers de la grande distribution, effectivement il s’agit souvent de postes peu qualifiés, mais il s’agit surtout de métiers qui étaient jusque-là assez invisibles. Aujourd’hui, on se rend compte qu’ils sont indispensables », analyse Stéphanie Delestre.

Numérisation et green business

À l’origine des nouveaux modes de consommation et des nouveaux besoins, la numérisation de l’économie et de la société à vitesse grand V apparaît comme le facteur déterminant, celui qui change la donne. Pour répondre à la crise sanitaire et assurer une certaine continuité de la consommation et de l’activité des entreprises, les usages et les technologies numériques tombent à pic. « Le développement des technologies informatiques provoque des externalités très positives pour toutes les entreprises, et la réponse des entreprises du numérique à la demande laisse augurer de gains d’emplois directs dans leur secteur et indirects pour toute l’économie », affirme notre économiste, Gilbert Cette. Même constat du côté de la présidente de Qapa : « 100 % des secteurs et des industries sont en cours de numérisation et parfois même de robotisation. Les mentalités changent, les entreprises adoptent les nouvelles pratiques numériques. »

Du côté de l’offre, ces technologies créent et favorisent le télétravail et la fluidification des processus. Du côté de la demande, elles rendent possible la consommation depuis son canapé et ouvrent les perspectives. Pour Gilbert Cette, c’est certain, « la crise a boosté les grandes transitions déjà en marche, elle a accéléré la numérisation de l’économie et les préoccupations environnementales et climatiques ». Car oui, s’il est un secteur qui progresse et un marché qui fleurit, c’est bien celui du green business. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : l’économie circulaire représente plus de 800 000 emplois à temps plein en France. La loi antigaspillage à elle seule vise à en créer 300 000 supplémentaires. Les secteurs de la rénovation thermique, du reconditionnement et du réemploi, de l’économie sociale et solidaire, tous se développent et recrutent. Selon le cabinet Birdeo, cinq métiers « écolos » seront particulièrement recherchés en 2021 : conseiller·ère en transition neutralité carbone, chef·fe de projet « taxonomie verte », écoconception et recyclabilité, chargé·e de contenu d’une marque responsable et chef·fe de projet hydrogène.

Quand l’offre ne rencontre pas la demande

D’autres secteurs font face à une véritable pénurie de bons profils. À commencer par les métiers de la santé, dont le recrutement ne faiblit pas. « La santé recherche principalement des aides soignant·es et des infirmier·ères, et le service à la personne recherche des auxiliaires de vie ou aides à domiciles. Ce qui est sûr c’est que ces deux secteurs recrutent de façon permanente et font face à une certaine pénurie de bons profils. On ne forme pas assez d’infirmier·ères par exemple, les besoins sont toujours là », résume Stéphanie Delestre. D’après la Fédération de l’hospitalisation privée (FHP), 100 000 postes seraient vacants, dont 34 000 infirmier·ères et 24 000 aides-soignant·es.

Autre secteur pour lequel la demande n’est pas à la hauteur de l’offre : l’ingénierie informatique. Des postes de plus en plus nombreux, tant la numérisation des processus est incontournable, pour des candidat·es pas encore assez nombreux·ses et des profils denrées rares. Depuis plusieurs années déjà, et particulièrement en 2020, les profils spécialisés de développeur·ses Web et mobile, techniciens télécoms, ingénieurs en cybersécurité, webdesigners, expert·es en référencement et autres métiers de l’informatique sont très recherchés mais pas suffisamment pourvus. Là encore, la formation manque et ne s’est pas adaptée à l’accélération des besoins. Il en va de même pour le secteur du BTP, qui repart en ce début d’année 2021 après un exercice 2020 tronqué. Il intègre de nouveaux métiers, notamment dans la rénovation énergétique des bâtiments. En 2019, le chômage dans le secteur a baissé de 11,8 %. Ces trois secteurs en demande et en souffrance par manque de candidat·es compteront tout de même parmi ceux qui recruteront le plus dans les mois à venir et participeront activement à la relance.

Nuance toutefois, les entreprises devraient privilégier la prudence en termes de recrutement, met en garde Stéphanie Delestre : « À court terme, je ne pense pas que les entreprises recommenceront à recruter en CDI, mais plutôt en CDD et en intérim. Le manque de visibilité est trop important et la crise rend impossible la planification du recrutement. » Gilbert Cette, notre économiste spécialiste du marché de l’emploi, tempère : « Quantitativement, je ne suis pas inquiet pour le marché de l’emploi, l’activité ne demande qu’à repartir et les Français·es ne demandent qu’à consommer. Ce qui compte, c’est de sécuriser entreprises et consommateur·rices sur le plan sanitaire, économique et fiscal. La bonne santé du marché de l’emploi suivra. »

ADAM BELGHITI ALAOUI

À lire : La master class du patron du groupe Accor, Sébastien Bazin.

Au Sommaire du dossier 

1. S’y retrouver dans le labyrinthe du chômage

2. Recrutements et emploi, des secteurs qui en veulent 

3. Loi Avenir professionnel : des (trans)formations pas toujours abouties 

4. Régions & territoires : leurs emplois

5. La vague du chômage déferle sur la planète

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