Il fallait bien en passer par là : il fallait bien créer le nouveau normal. Pour changer les relations hommes-femmes, ça a pris beaucoup de temps en France. La dépêche parle de société « parfaitement paritaire ». En creusant, on trouverait bien encore des privilèges masculins discrets, tout comme des remugles de racisme surnagent, c’est la nature… de l’homme. Mais nous en sommes quand même proches, de cette parité. Les changements sont là : par exemple, plus personne ne s’extasie quand une femme occupe un poste prestigieux, public ou privé, on ne fait même plus allusion à ses caractéristiques esthético-vestimentaires, et le choix de son poste est indifférent, quel que soit le métier. On ne remarque plus un père seul dans la rue qui se bat avec poussette et mômes…
Pour arriver à un tel résultat, on a presque tout essayé. Outre les lois d’égalité d’accès, la majorité des mesures ont surtout été quantitatives, l’imposition de quotas – d’embauche pour la fonction publique, de présence sur les listes pour les partis politiques, de composition des conseils d’administration… À un moment, on avait l’impression que seuls les artistes eux/elles-mêmes étaient dispensé/es de l’obligation paritaire. Après les efforts des premières années, cependant, ce type de mesure s’est assoupli, on fut confronté à la réalité des effectifs disponibles et des vocations elles-mêmes. Et comme il est maintenant acquis que les différences biologiques entre un homme et une femme engendrent des effets qui vont au-delà de la sphère simplement biologique, une parfaite symétrie n’est plus à l’ordre du jour – mais elle a provoqué l’effet voulu, en rendant « normale » la femme en tant que figure publique, sociale… Mais d’autres moyens furent mis en œuvre. Par exemple, un mélange d’incitation et de répression a amené les entreprises à pratiquer l’égalité salariale en tenant compte des congés maternité et des interruptions de carrière de leurs salariées, même si, encore aujourd’hui, le débat n’est pas clos – mais au moins s’est-il déplacé sur le thème classique de « comment mesurer la valeur d’un/e salarié/e et de sa participation à l’entreprise ».
Au-delà de l’égalité salariale
Les grommellements ont duré tant que les quotas sont restés. Et pendant une bonne dizaine d’années, on a vu ressurgir tous les clichés possibles et imaginables. Chaque nouvelle avancée a engendré des combats similaires. Mais d’autres mesures ont été accueillies avec plus d’enthousiasme – en général – par la gent masculine, notamment le congé parental. Hum. Le légiste qui a appelé ça « congé » n’avait jamais dû avoir d’enfant ! Et avec les autres mesures mises en place (pas uniquement financières, le passage au télétravail est aujourd’hui largement déployé) pour que les papas pouponnent, on a vu diminuer le taux de divorces. Une conséquence qui n’était pas inattendue, mais qui montre l’étendue des changements.
Constater à quel point la société s’en trouve transformée jusque dans les moindres détails reste une expérience douce-amère : douce, parce que ça change, et amère, parce qu’on se rend compte à quel point l’inégalité homme-femme de naguère était assumée dans les moindres recoins de notre société – à quel point tout était conçu, philosophiquement comme en pratique, du point de vue masculin. Un état de fait somme toute peu surprenant si l’on considère que les femmes ont été reléguées au deuxième rang (au mieux) de l’ordre social pendant des millénaires – largement le temps de développer (perfectionner même) de mauvaises habitudes. Les effectifs (politiques, salariaux, etc.), les salaires, tout ça n’était que la pointe émergée de l’iceberg. Car sous l’équation parité = égalité, se cache une réalité bien plus complexe : la parité, c’est surtout prendre en compte les différences (sans pour autant se transformer en comparaison).
Sous l’équation parité = égalité, se cache une réalité bien plus complexe : la parité, c’est surtout prendre en compte les différences.
Un marché juteux de l’ergonomie des genres
La médecine, par exemple. Depuis que l’on inclut des femmes dans les tests médicaux, il n’est plus rare maintenant que pour une même maladie, les médicaments prescrits diffèrent selon le sexe du patient… Des exemples similaires, on en trouve partout. L’ergonomie, par exemple, que ce soit celle des objets ou des lieux, a été complètement repensée, ce qui a changé l’apparence de beaucoup d’immeubles… Et notamment les locaux professionnels. La parité a fait la fortune d’un nombre incalculable de cabinets d’architectes, de décorateurs, d’aménageurs… Entre la nécessité d’avoir tout adaptable et modulable – les plans de travail, les bureaux, les chaises (certains ont même opté pour une solution tablettes et poufs, agacés par les changements permanents de mobilier, ou même le bureau hauteur sans assise qui fait tant de bien…) –, les crèches d’entreprises de plus en plus généralisées, les toilettes réaménagées (surtout dans les salles de spectacles et les relais d’autoroutes, pour résoudre l’inégalité du différentiel du temps d’attente)… Ce ne sont pas seulement les pratiques sociales qui ont changé : l’espace même s’est fait paritaire, ce qui a aussi bénéficié – dans la vague de travaux herculéens – aux handicapés. Que la République ait accueilli enfin à sa tête une présidente n’a jamais été présenté comme une troisième conséquence de la parité terre à terre. Et pourtant…
Au Sommaire du dossier
1. Inégalité hommes-femmes en entreprise, le grand défi