Inégalité hommes-femmes en entreprise, le grand défi

En France, à travail égal, le salaire d’une femme est en moyenne 24 % moins élevé que celui d’un homme, notamment à cause des maternités, du temps partiel, des discriminations, des formations. Malgré un arsenal de lois et de réglementations qui tendent, sans réel effet, à en finir avec cette inégalité de chromosomes. État des lieux.

Doucement, mais sûrement, le rattrapage est en marche. L’écart de revenu salarial entre hommes et femmes était de 28 % en 2002, il est de 24 % actuellement. Un pourcentage au repli très progressif, comme l’explique Christophe Falcoz, professeur associé, iaelyon École Universitaire de Management : « C’est en 1972 qu’est advenue la première loi sur l’égalité salariale. À cette époque, l’écart moyen de salaire entre hommes et femmes était de 35 %. Il est aujourd’hui de 24 %. Il faudra donc encore un peu plus d’un siècle à ce rythme pour supprimer les inégalités salariales ! » Une évolution sur le temps long, partiellement portée par le contexte législatif : « Les résultats des politiques publiques sont assez difficiles à mesurer. Mais l’on ne sait pas non plus où se situerait l’égalité salariale si aucune mesure n’avait été prise », estime Hélène Périvier, directrice du programme Presage de Science Po. Depuis l’affirmation du principe d’égalité de rémunération adopté en 1972, les mesures en ce sens se sont multipliées (lire Point 2, Ce que dit la loi). Désormais, la loi stipule très clairement qu’il « est interdit de mentionner, dans une offre d’emploi, le sexe (ou la situation de famille) du candidat recherché ou de prendre en compte l’appartenance du candidat à l’un ou l’autre sexe comme critère de recrutement ». Cette loi s’applique à l’ensemble des entreprises, quelle que soit leur taille. Pour autant, la diminution de l’écart salarial constaté entre 2002 et 2018 n’est pas uniquement liée à la législation. « La crise de 2008 a beaucoup affecté l’emploi des hommes avec des replis des hauteurs de salaires. Il ne s’agit donc pas d’une amélioration de la condition des femmes, mais d’un repli de celle des hommes qui a participé à amoindrir l’écart salarial entre les genres », remet en perspective Hélène Périvier.

Il faut bien avoir à l’esprit que dans ces 24 % d’écart de salaire entre hommes et femmes, 40 % sont dus au temps de travail.

80 % des temps partiels sont occupés par des femmes

Les chercheurs sont formels, difficile de prendre au pied de la lettre ce pourcentage de 24 % d’écart de salaires. Hélène Périvier met le point sur le « i » de salaire : « Il s’agit d’un écart moyen. Il faut bien avoir à l’esprit que dans ces 24 %, 40 % des inégalités sont dus au temps de travail. Les femmes gagnent moins car elles travaillent moins que les hommes. » Ce qui signifie que, ledit travail partiel corrigé, l’écart de salaires entre hommes et femmes s’établirait davantage autour de 18 %, ce qui reste « anormal ». Si 80 % des temps partiels sont occupés par des femmes, là encore, il est très difficile de distinguer le temps partiel « subi » du « choisi ». L’Insee le mesure dans la catégorie « sous-emploi ». Lequel se révèle deux fois plus important chez les femmes que chez les hommes. « Il est finalement très difficile de connaître les réelles motivations des femmes qui sont en temps partiel. Beaucoup diront qu’elles ont choisi de s’occuper de leurs enfants. Mais l’arbitrage réalisé au sein du couple reste inconnu. Certaines familles choisissent de privilégier la carrière de l’homme au détriment de celle de la femme car son salaire est plus élevé. Aujourd’hui, 30 % des femmes sont à temps partiel. Au sein de la population des femmes qualifiées, nous constatons, par exemple, que le temps partiel double à partir du deuxième enfant », démontre Christophe Falcoz. Une façon de procéder qui pèse sur l’avancement des carrières des femmes. « Lorsqu’elles choisissent de retourner à temps complet, elles retrouvent souvent un emploi moins valorisé qu’auparavant », souligne le professeur lyonnais.

Des différences notables entre secteurs et typologies d’emplois

Il existe des disparités fortes entre les secteurs. « Prenons l’exemple du BTP : les salaires des femmes y sont moins élevés que ceux des hommes. Ce qui s’explique notamment par les métiers exercés. Les femmes sont plus nombreuses à exercer des fonctions administratives, moins valorisées que les fonctions opérationnelles », détaille Hélène Périvier. Autre élément notable, les femmes sont plus présentes que les hommes dans les secteurs de la santé et de l’éducation, moins rémunérateurs que des secteurs au sein desquels les hommes sont surreprésentés. Selon les chiffres livrés par l’Insee, les inégalités salariales sont plus marquées chez les cadres que chez les employés, ouvriers ou professions intermédiaires. Un véritable plafond de verre donc, que les femmes, arrivées au sommet de l’entreprise, ne parviennent pas à fêler. En témoigne le secteur banque-assurance qui se féminise de plus en plus. Pour autant, les femmes peinent à atteindre les hautes fonctions. « J’ai été amené à travailler sur le cas d’un assureur qui compte près de 2 000 salariés, dont 70 % sont des femmes. Pourtant, au plus haut degré hiérarchique, moins de 30 % des collaborateurs sont des femmes », constate Christophe Falcoz qui reconnaît que les disparités entre secteurs sont fortes : « Le secteur banque-assurance part de très loin. Il a hérité d’un management traditionnel et essentiellement masculin. »

La fonction publique : pas un modèle

Si les règles sont les mêmes pour le secteur public que pour le secteur privé, la fonction publique doit également composer avec des différences salariales importantes. « Les femmes sont surreprésentées dans certains corps, tandis qu’elles sont quasiment absentes dans d’autres. À l’ENA, seuls 25 % des diplômés sont des femmes. Le plafond de verre au sein de la fonction publique d’État est encore massif », souligne Hélène Périvier. Un constat largement partagé par Christophe Falcoz : « En France, encore très peu de femmes occupent les fonctions de diplomates, de recteure ou de présidente de tribunal. Dans la fonction publique d’État, le plafond de verre est réel. »

La France, « ni pire ni meilleure » que ses voisins européens

Existe-t-il des régions où il fait bon travailler lorsque l’on est une femme ? Pour les chercheurs, il est très difficile de répondre à cette question, tant les données statistiques sont difficilement comparables au sein de l’hexagone. Quelques tendances se dégagent néanmoins : « En Corse, les femmes travaillent beaucoup moins que dans les Pays de La Loire. En outre, le temps partiel est beaucoup plus faible en Île-de-France que dans les autres régions françaises. L’explication tient au nombre important de cadres franciliens. La proportion de femmes dirigeantes s’établit à 15 % en Normandie, contre 29 % en Île-de-France, explique Christophe Falcoz, et les femmes ne connaissent pas les mêmes situations selon les régions. » Ainsi l’Ain et la Savoie qui restent des départements très industrialisés sont largement pourvoyeurs d’emplois masculins.
Quid de la situation française vis-à-vis de ses voisins européens ? Là encore, les données sont difficilement comparables, même si quelques grandes tendances émergent. Falcoz : « Nous nous situons dans la moyenne européenne. Mais il est assez difficile de comparer les pays entre eux. L’on ne peut comparer que les pays dont le taux de participation des femmes au marché du travail est similaire. L’Allemagne, par exemple, a très fortement développé le temps partiel », explique Hélène Périvier. Si les pays du nord paraissent plus avancés que les pays d’Europe continentale en matière d’égalité hommes-femmes dans le monde du travail, encore faut-il opérer une distinction entre les pays du nord de l’Europe. « Il est important de ne pas céder à la dichotomie Nord-Sud. L’Espagne est aujourd’hui très avancée en matière d’égalité salariale. À l’inverse, tous les pays du nord n’en sont pas au même état d’avancement. Si, en Europe du Nord, on constate une excellente égalité hommes-femmes aux plans politique et institutionnel, c’est bien moins le cas dans le monde de l’entreprise. »

Par Chloé Pagès

Au Sommaire du dossier 

1. Inégalité hommes-femmes en entreprise, le grand défi

2. Ce que dit la loi

3. Génération Y : c’est pour aujourd’hui ou pour demain ?

4. France paritaire : terre à terre

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