Aujourd’hui, c’est le ménage de printemps. Enfin, j’utilise cette expression, un peu vieillotte, mais ce n’est pas mon habitat modulaire que je nettoie – c’est moi : bilan de santé, démarches administratives et mises à jour diverses… Parmi toutes les révolutions qui ont transformé notre quotidien depuis la Vague digitale des années 2000 à 2025 – il y a seulement quinze ans ! –, entre nos autopilotes, les smart homes et autres, celle que j’apprécie le plus est probablement celle qui se voit le moins : la blockchain et la simplification exponentielle du quotidien. Je prends mon café, m’installe sur le canapé et déroule mon clavier (je ne me suis jamais totalement fait aux interfaces vocales). D’abord, le plus important, la santé. Je me connecte sur mon espace privé sur e-Santé et demande mon diagnostic annuel. C’est doublement important pour moi à deux titres : né avant que le « grand nettoyage » ne commence, je traîne toujours avec moi des séquelles de la pollution d’Avant, même avec des organes comme neufs recréés à partir de mes cellules-souches. L’historique de maladie génétique complexe dans ma famille exige que mon génome soit régulièrement corrigé par CrisPR.
Le temps de boire ma première gorgée de café, et les résultats sont là, basés sur les données envoyées par mes capteurs personnels. Il semblerait qu’une « visite » chez mon médecin s’impose. Il est disponible à l’instant, m’indique son emploi du temps en ligne, je l’appelle. La conversation ne dure que quelques minutes, que nous passons surtout à échanger des plaisanteries : il a déjà accès à mes données à jour, a déjà pu établir un diagnostic préalable à l’aide de son assistant virtuel. Au final, il me demande un séquençage : il est peut-être temps de refaire une correction localisée sur mon ADN. Je passerai tout à l’heure à la pharmacie, comme ça, il pourra me rappeler ce soir.
Ma demi-heure « administrative »
J’enchaîne sur ma mutuelle pour vérifier que mes prestations ont bien pris en compte mon diagnostic annuel – oui, c’est reçu par l’intermédiaire de mon coffre-fort qui héberge mes données privées – et je valide. Je pourrais passer du coup à mes diverses assurances, mais avant je veux m’occuper de la maison, histoire de pointer tous mes contrats en même temps. Allez, smartphone et me voilà parti à prendre pêle-mêle en photo – en mode certification – mes derniers achats de tableaux et leurs factures, ma salle de bains et la facture des travaux que j’y ai menés il y a deux mois… Via la blockchain, tous ces documents sont certifiés et envoyés de façon sécurisée et automatique aux divers acteurs concernés : notaires, syndic, administration fiscale… et donc assureur. Je finis par lui puisque tout le reste est validé : je me connecte sur mon espace et vérifie la mise à jour de mes contrats – habitation, notamment, à cause des tableaux. Tout à l’air OK. Coup d’œil à l’heure : ça m’a pris exactement une demi-heure – je me souviens, quand mon père avait ses « journées administratives », ça se comptait justement en journées… Du coup, il ne me reste plus qu’à passer à la pharmacie pour mon analyse génomique.
En attendant Godot
J’arrive. J’ai toujours le petit réflexe de répondre au robot d’accueil, un peu choqué toujours de voir des gens l’ignorer. Je lui présente mon poignet pour la lecture de ma puce de bio-identification, et il m’oriente vers le stand de séquençage. La procédure est l’affaire de quelques minutes : le temps que la pharmacienne – une nouvelle, je ne la connais pas, et nous papotons un peu de tout et n’importe quoi pendant qu’elle assure le prélèvement et l’installe dans la machine. Si l’analyse, qui va prendre environ deux heures, révèle que j’ai besoin d’une injection, je pourrais passer la faire faire en début d’après-midi. En sortant, j’ai failli me cogner contre le robot scanneur qui parcourt les rayons en vérifiant les stocks et j’ai encore le réflexe de l’évitement. Mais impossible, son détecteur m’a « vu ». Envie de m’asseoir sur un banc dans le parc voisin. J’ai largement le temps de profiter des rayons du soleil déjà chaud – au fond, le printemps n’existe déjà plus, on s’est adapté, d’où le fameux débat, faut-il se passer de la saison intermédiaire… – avant de me connecter sur ma plate-forme de freelancing et de choisir mes partenaires pour mon prochain projet (une campagne de promotion sous forme de jeu d’aventure en VR à choix multiples pour la sortie prochaine de Spiderman XXXIII). Je ne suis pas le seul : nous sommes au moins une trentaine autour du petit lac artificiel, j’attends Godot, mon partenaire habituel. J’en salue certains (déjà rencontrés dans des circonstances similaires) et discute quelques minutes avec eux. C’est, je pense, l’évolution que je préfère dans mon quotidien : après avoir, pendant des années, surchargé de plus en plus le baudet, nous avons réussi, à force d’optimisation et d’automatisation, à recréer du temps libre…
Jean-Marie Benoist
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