Exporté en Europe dans les années 1950 depuis les États-Unis, le master of business administration s’adapte au marché local, en s’éloignant parfois du modèle original.
MBA : un sigle, trois lettres qui font partie du paysage de l’enseignement supérieur. Créé au tout début du xxe siècle aux États-Unis, ce cursus – à l’entrée très sélective, destiné aux cadres – a conquis l’Europe et la France en particulier. Le territoire compterait quelque 80 masters of business administration. Le conditionnel s’impose : N’importe quelle école, reconnue ou pas, revendique la capacité en monter un. Le nom ni la marque ne sont protégés. Or, pour exister, une école ne peut s’en passer. Résultat : c’est une jungle.
Parler des MBA
Le singulier devrait être banni. D’abord pour le format. À temps complet, sur 12 mois – autrement dit full time – à un rythme intensif, ou part time – en fin de semaine, pendant 18 voire 24 mois, les deux formules cohabitent. On parle aussi d’executive MBA. L’idée est alors de capter une clientèle de cadres qui ne veulent pas tourner le dos au monde de l’entreprise. L’objectif ? Prendre de la hauteur et acquérir une vision à 360°. Le cœur du programme ? Stratégie financière, marketing, ressources humaines… les fondamentaux du management, mais pas à la manière d’un programme grande école. Le retour d’expérience est essentiel, avec des cas pratiques internationaux.
Et puis le MBA n’est en rien figé. « C’est un programme vivant, souligne d’entrée de jeu, Stéphane Canonne, directeur de l’Executive education au sein de l’Edhec. Il tient compte de l’évolution des participants et des attentes du marché. » Il s’adapte à l’évolution de la société. « L’entrepreneurship » y est dorénavant présent. L’EM Lyon en a fait sa marque de fabrique. Le développement durable aussi s’est glissé dans les contenus. Mais pas seulement. Petit à petit, de généraliste, le MBA s’est spécialisé. Luxe, santé, e-business ou management du sport… Sectoriels, ces MBA constituent une spécificité tricolore. C’est le choix assumé par l’ESG (groupe Studialis), avec 11 MBA, rien de moins : management hôtelier, supply chain, chief data officer… « On ne peut pas être expert en tout, note Alain Kruger, le patron de ces MBA au sein d’ESG. Et être expert en rien ne facilite pas l’insertion non plus. Les participants sont en attente de spécialisations, avec un métier clairement identifié. Et non pas un vernis généraliste. » Autre évolution : les nouvelles technologies. Ponctuellement, en préalable, pour travailler des textes, des notions. Et puis l’École de gestion hôtelière de Glion (en Suisse) a, elle, adopté le 100 % en ligne.
Accréditations internationales
Enfin – et probablement surtout –, le MBA se propose d’opérer une mue. D’acquérir la posture du dirigeant, avec « la psychologie positive », la confrontation aux vécus des autres participants, des mises en situation, un véritable conditionnement… « Ce qu’il y a de vraiment fort dans la sphère de ces cursus est la demande de développement personnel, note Jacques Digout, directeur académique programmes executive DBA & MBA (Paris, Casablanca, Guangzhou) de Toulouse Business School. De quoi nous pousser à ajouter des séquences dans un programme déjà chargé. » Aussi, ajoute-t-il, « je ne crois pas au fast track. La maturation est nécessaire. »
Difficile de séparer le bon grain de l’ivraie, d’où une course aux accréditations internationales menée par les écoles pour gagner en visibilité. Deux ou trois ans sont parfois nécessaires pour constituer un dossier à même de satisfaire aux exigences de la britannique AMBA (Association of MBAs), l’américaine AACSB (The Association to Advance Collegiate Schools of Business) ou de l’européenne EQUIS (European Quality Improvement System). Qualification du corps professoral, nombre d’heures de cours… tout est passé au crible. Neoma Business School, ESCP Paris, Edhec de Lille ou bien Toulouse Business School font partie du club très fermé des « triples accréditées ». Kedge ponctue tous ses communiqués de presse par le rappel de ses trois accréditations internationales (dont l’AMBA) et la 37e place mondiale de son exec MBA.
La clé du succès
Comment transformer cette expérience en une réussite ? Réponse : se poser, décortiquer l’offre ou bien encore « repérer quelques balises » pour reprendre les termes de Stéphane Boiteux, du cabinet Cesam.
Quelle formule choisir ? Full time en prenant du champ par rapport à la vie active ? Part time avec un executive MBA, à condition de bien articuler vie professionnelle et formation ? De sacrifier aussi un peu sa vie personnelle ? Quel public veut-on côtoyer ? Des jeunes postmaster avec un « MBA étudiant » ? Ou mener des échanges nourris par des participants riches de 10 à 15 ans d’expérience, autrement dit le peer to peer ? Quel sera le réseau ? Quel est le niveau requis en anglais ? Quels focus seront portés ? Les nouvelles technologies ? L’entrepreneuriat ? Combien de temps sera consacré au projet professionnel personnel ? Quels cours prendre ? « Surtout ne pas s’éparpiller, conseille Jacques Digout, directeur académique des MBA et DBA de Toulouse Business School (TBS), même séduit par tous les cours proposés. » Les fondamentaux du MBA, dont l’objectif est de donner une vision à 360°, sont-ils respectés ?
Booster de carrière… jusqu’à quel âge ?
Flash back. Début des années 2 000, les business schools brandissaient automatiquement les gaps salariaux comme argument massue. Des bonds de 50 %, voire davantage, étaient affirmés. Encore aujourd’hui, le Financial Time en fait l’un de ses principaux critères pour évaluer la qualité des cursus. Selon sa dernière livraison, publiée en 2018, les progressions salariales post MBA peuvent atteindre des taux incroyables : 100 % pour celui de Cambridge, 96 % pour Wharton, 117 % pour l’italien de Bocconi ou 105 % pour le champion tricolore, celui de l’Insead. Des chiffres confirmés par QS world university ranking.
L’effet « booster » se mesure au bout de trois à cinq ans dans les classements. Mais les témoins interrogés – et qui entendent conserver l’anonymat – se donnent un an. Décrocher un MBA provoque comme une urgence à bouger, une effervescence difficile à contenir. Revenir à la position – sur la durée – antérieure ne peut que frustrer.
Et la progression salariale n’est pas le seul ni le premier objectif aujourd’hui. « Les participants sont dans une logique de rupture, analyse Stéphane Canonne, de l’Edhec. Ils ne viennent plus seulement pour acquérir de nouvelles compétences, mais pour changer de vie, trouver une activité en accord avec leurs aspirations profondes. À l’issue d’un MBA, les candidats veulent se lancer dans l’entrepreneuriat social, par exemple. Cette démarche aura un impact positif sur la société. Présenter le salaire comme le critère de choix d’un MBA ne colle pas. C’est même contre-intuitif avec la vision de la société de demain. » Et Stéphane Canonne de parler de l’inégalité salariale hommes/femmes qui a de quoi faire fléchir les salaires post MBA… Le Financial Time serait en train de réfléchir au changement des critères pris en compte pour évaluer l’efficience des MBA.
D’autant que 38 ans serait la « date de péremption » pour préparer un MBA. Au-delà, ce serait trop tard. Le retour sur investissement ne serait pas le même. On pourrait détourner une citation de Jacques Séguéla, devenue célèbre : « Si à 38 ans, t’as pas fait un MBA, c’est que tu as raté… le cap pour devenir un grand manager ! » Mais le sujet fait débat. Et l’âge butoir – couramment admis – tourne autour de 45 ans.
MBA, CPF et tutti quanti
La réforme de la formation professionnelle va-t-elle freiner le développement des MBA ? Engluer les salariés dans leur course à des compétences nouvelles ? Les directeurs de business schools s’interrogent. « Avec un compte personnel de formation abondé de 500 euros par an, rappelle Jacques Digout, et un MBA dont le coût tourne autour de 30 000 euros, les candidats vont être amenés à constituer un patchwork de financements, à les mettre bout à bout pour suivre un MBA. » À dire vrai, le coût des MBA s’envole même parfois : à 46 500 euros à l’Essec, 32 000 chez Skema pour l’exec MBA, 69 000 à HEC. « Que l’État ne participe plus au financement des MBA me paraît plus sain, affirme Stéphane Canonne, de l’Edhec. Est-ce normal ? »
Financiarisée, cette réforme de la formation professionnelle conduit les business schools à revoir leur copie, à voir quelles seraient les nouvelles modalités de MBA. Pourquoi ne pas découper en blocs, voire en modules, les cursus ? Pourquoi ne pas « acheter » l’un, puis l’autre… afin de constituer un MBA complet ? Alain Kruger travaille depuis un mois à une présentation en blocs de ces cursus maison. L’ESG a été choisi pour expérimenter ce nouveau mode de fonctionnement. « Bloc ou module ? L’ambiguïté existe, souligne le directeur des MBA. Pour l’heure, on navigue un peu à vue. On attend les directives. »
« Segmenter un master en blocs de compétences est logique, opine Stéphane Canonne, mais pas pour ce programme de transformation qu’est le MBA. Le parcours dans son intégralité est nécessaire. » Et Jacques Digout de conclure : « Tout l’enjeu est de ne pas perdre la qualité de la continuité. »
Murielle Wolski