Nom officiel, Viva Technology. Entre initié/es, VivaTech, créé en 2016 par Les Échos et Publicis. Trois jours de bousculade pour la crème de la tech, européenne et mondiale, du 16 au 18 mai à la Porte de Versailles, à Paris. Une façon pour la France de s’exposer au futur. Deux jours de pros et un jour de geeks. Allez-y…
450 speakers, 125 pays, 9 000 start-up et plus de 100 000 visiteurs : Viva Technology joue dans la cour des grands en s’affirmant comme l’un des rendez-vous mondiaux des jeunes pousses et de l’innovation. L’édition 2019 repousse les limites de l’imagination en investissant une bonne partie de la Porte de Versailles où le Pavillon 1 reste le vaisseau amiral en intégrant notamment les salles de conférences, le Hall of Tech, cœur de l’innovation et les labs d’Open Innovation où les grandes entreprises accueillent les rejetons start-up pour accélérer leur transformation numérique et proposer des opportunités de croissance. Un chiffre ne trompe pas : quelque 1 900 investisseurs sont entrés dans Paris. Des loups affamés.
Avec ses 4 400 places, le Dôme de Paris a été réservé aux rencontres avec les leaders de la tech. En 2018, Mark Zuckerberg (Facebook), Satya Nadella (Microsoft), Ginni Rometty (IBM) avaient cinglé sur Paris… Ils avaient presque croisé le nouveau président de la République venu s’assurer que sa start-up nation poussait bien. Cette année, ont parlé Young Sohn (président et chef de la stratégie de Samsung), le local de l’étape Stéphane Richard (Orange) et un célèbre joueur d’échecs…
1 000 hackers
Preuve de l’intérêt croissant pour les nouvelles technologies, VivaTech a carrément phagocyté un second hall (le Pavillon 2.2) pour le dédier au networking et aux opportunités d’affaires. Il héberge un business center et des lounges, des espaces dédiés au recrutement… La rencontre des grandes organisations et des start-up est une affaire qui marche.
Mais au-delà du déploiement d’applications innovantes ou capables de répondre aux besoins métier et de la migration vers le cloud notamment, c’est la question des compétences qui est devenue cette année le principal enjeu. Qui fait quoi et comment relever des défis ? Certains ont pu trouver des réponses ou prendre des contacts après le plus grand Hackathon Corporate d’Europe organisé par TechCrunch et VivaTech. Plus de 1 000 hackers se sont réunis pendant 36 heures. Six entreprises et partenaires technologiques les ont défiés armés de problématiques spécifiques.
Salon high-tech obligé, Viva Technology fait la part belle aux nouvelles technologies. La 5G, l’intelligence artificielle, la blockchain et l’espace nourrissent les stands et les futurs, véritables boosters d’activité. C’est le cas en particulier de la 5 G. Elle promet l’émergence de nouveaux services et de nouvelles opportunités commerciales. Attention, l’ultra-haut débit serait un four à micro-ondes – exposition aux champs électromagnétiques de radiofréquence. À voir, même si les Cassandre ressemblent aux scientifiques qui annonçaient l’asphyxie des voyageurs dans les premiers trains à vapeur, au-delà de 60 km/h…
Autre facteur de croissance : l’IA, à l’assaut des entreprises. Une étude commandée par Microsoft au cabinet IDC, menée auprès de 150 entreprises françaises de plus de 500 salariés, fait état de 72 % d’entreprises françaises prêtes à investir. Et plus d’un tiers (37 %) des organisations ont mis en œuvre l’IA sous une forme ou une autre constate le cabinet Gartner. Soit un bond de 270 % par rapport à quatre ans auparavant. L’évolution des usages de l’IA entre 2018 et cette année montre que les entreprises cherchent en priorité à optimiser l’expérience client en déployant en particulier des chatbots et des assistants virtuels dans les call centers. Et la moitié des organisations prévoient de déployer des applications d’apprentissage machine (machine learning1). « Nous constatons que les organisations qui utilisent ces technologies pour stimuler l’innovation en tirent des avantages en termes de revenus et de leadership global dans leurs domaines », évangélise David Schubmehl, directeur de recherche pour les systèmes cognitifs et d’IA chez IDC.
L’IA favorise l’écosystème européen de start-up. L’hexagone en compte 271, selon une cartographie publiée en 2018 par France is AI. En 2017, 141 millions de dollars ont été investis dans ces entreprises françaises selon le baromètre CB Insights.
Blockchain : entre buzz word et levées de fonds
Autre technologie qui hante VivaTech : la blockchain. Elle pourrait « révolutionner » de multiples secteurs d’activité et en particulier tous les intermédiaires de « confiance » chargés de vérifier l’identité d’une personne en prenant au passage une commission plus ou moins élevée. Cette technologie pourrait aussi renforcer la protection des données sensibles ou personnelles, mais également prévenir les fraudes.
Un microcosme se met en place en France. En deux ans, de 2016 à l’an passé, 15 start-up ont levé 219 millions d’euros, principalement (2/3) en ICO (Initial Coin Offerings), ces levées de fonds en jetons échangeables en monnaies virtuelles. Trois entreprises ont retenu l’attention des investisseurs : Ledger (portefeuilles sécurisés pour bitcoins) a levé 58 millions, Domraider (récupération de noms de domaine expirés), 35 millions et Neurochain (évolution de la blockchain enrichie de machine learning pour améliorer les performances des systèmes distribués), 25 millions.
Mais attention à l’effet buzz word ! Une enquête récente du Gartner a révélé que le nombre actuel de déploiements de cette solution dans les entreprises est faible. Seulement 1 % des DSI ont indiqué une adoption plus ou moins déployée de cette technologie. Une forte majorité (77 %) ont précisé qu’ils n’avaient pas l’intention d’y concentrer plus de temps. D’où, chez VivaTech, l’effet BaaS. La blockchain as a service offre aux clients de créer leurs propres produits fondés sur une chaîne de blocs, y compris des applications, des contrats intelligents. Ils ont accès à d’autres fonctions sans avoir à configurer, gérer ou exécuter une infrastructure basée sur cette technologie qui…
La tête dans les étoiles
… pourrait être ternie par une mauvaise gestion du côté des plates-formes. Plusieurs spécialistes ont commencé à signer la fin de la récré : il est urgent de ne plus être ébloui béatement par la blockchain. Bruce Schneier, un expert en sécurité informatique reconnu mondialement, a rappelé qu’il fallait arrêter de croire aux déclarations du genre « in crypto we trust » ou « in math we trust ». La réalité est que les blockchains, comme tout mécanisme, sont porteuses de failles exploitables.
Autre technologie montante : l’Internet par satellite. Des projets de déploiement du réseau par microsatellites s’annoncent. L’un des plus prometteurs est développé par une entreprise commune entre OneWeb et Airbus. Sa constellation OneWeb reposera sur 648 satellites opérationnels. Plus 252 satellites de remplacement. Avec leurs 147 kilos chacun, ces petits satellites sont positionnés sur une orbite basse quasi polaire (1 200 km d’altitude).
Cette édition du mégasalon est aussi l’occasion de réfléchir à des thématiques plus larges : l’Europe, les femmes et Tech4Good. Tech4Good désigne la capacité des entrepreneurs à placer la puissance de la technologie au service du bien commun et miser, avec l’innovation, sur l’impact social. En parallèle à cette réflexion, VivaTech met aussi à l’honneur la green tech en exposant une sélection de concepts innovants et durables : les lampadaires autonomes intelligents d’Omniflow, Watergen dont la technologie capture l’humidité pour extraire de l’eau potable de l’air ambiant, les start-up de l’agro-écologie Agrow et Hexagro et les solutions de traitement des déchets de Bin-e. Pour se rendre compte du dynamisme de ce secteur, il convient de déambuler dans la Better Life Avenue (hall 2) pour découvrir toutes ces solutions exemplaires.
Cette quête de sens et de responsabilité entrepreneuriale transparaît aussi à travers les conférences du samedi après-midi. C’est l’occasion de découvrir les retours d’expérience de Julien Vidal (auteur du manifeste écolo Ça commence par moi), de Julie Chapon (fondatrice de l’application Yuka, qui trie dans les grandes surfaces les mauvais produits industriels et les vrais bios), d’Eva Sadoun (cofondatrice de la plate-forme de financement participatif pour projets durables Lita) ou de Vianney Vaute (fondateur du site de ventes de produits reconditionnés Back Market).
Recherche désespérément talents…
Avec moins de 10 % de femmes à la tête de start-up et à peine un tiers dans les équipes de développement, la place des femmes dans les nouvelles technologies devient une problématique que tout salon se doit d’aborder. Le phénomène de déficit de créatrices femmes n’est pas propre à la France. Selon le rapport du fonds d’investissement Atomico, elles ne récoltent que 7 % du capital-risque. C’est un paradoxe, car les start-up dont l’équipe fondatrice est mixte obtiennent de meilleurs résultats économiques que les projets entièrement masculins. Leur retour sur investissement est supérieur d’environ 12 % !
Finalement, les enjeux sont commerciaux. Les innovations se multiplient et se montrent capables d’« ubériser » une rente. Encore faut-il que la France (mais aussi le Vieux Continent) soient capables de proposer une alternative sérieuse. Le pays ne compte que 5 licornes, ces jeunes pousses valorisées à plus d’un milliard de dollars, sur les 265 répertoriées dans le monde. « Nous avons du retard du côté du recrutement des talents et de la maturité, mais nous nous soignons avec des événements comme VivaTech pour attirer les cerveaux et les investissements en faisant du bruit », tonne Frédéric Mazella, PDG de Blablacar.
Philippe Richard