Effet de mode ou pas, les madskills s’imposent dans les échanges du milieu des ressources humaines. Le marché du travail serait plus ouvert aux « crazy people ». Info ou intox ?
Le landernau du management s’agite régulièrement à l’arrivée de nouveaux concepts. Avant de passer au suivant. L’un des derniers concepts en date cible les madskills. « L’idée fait parler, reconnaît Audrey Richard, vice-présidente de l’ANDRH (Association nationale des directeurs des ressources humaines) et DRH du groupe Up, société coopérative internationale, spécialisée dans le développement de systèmes de paiement et de solutions de gestion. Même si elle n’est pas arrivée partout. »
Nouveau filtre du recrutement ?
Le dernier communiqué de presse d’Indeed, le moteur de recherche d’emploi, présent dans 60 pays, disponible dans 28 langues et qui accueille 250 Millions d’internautes par mois, n’hésite pas à parler de « trésor parfois insoupçonné et sous-exploité par les candidats » à propos des madskills. Pour les non-anglicistes, mad se traduit par fou et skills par compétences. Les madskills ? Des compétences atypiques, celles qui apparaissent généralement tout en bas du curriculum vitae. La petite ligne souvent bâclée. À tort.
« Ce n’est pas un effet de mode, commente d’emblée Charles Chantala, directeur commercial d’Indeed France. Le phénomène se vérifie sur le terrain. Les recruteurs manifestent une certaine méfiance par rapport à des équipes trop homogènes. 1 + 1 peut être égal à trois, en matière de ressources humaines, si alchimie il y a. Composer une équipe n’est pas une science exacte. Sa qualité ne dépend pas de la somme des compétences techniques, mais de la complémentarité. Accessoire hier – on en parlait par politesse naguère à la fin du processus de recrutement –, le « hobby » donne un indice. Les recruteurs sont de plus en plus attirés par des profils plus atypiques. » Selon le sondage publié par Indeed en septembre 2019, 68 % des recruteurs attachent de l’importance aux expériences personnelles et aux hobbys à la lecture du CV, 54 % déclarent même qu’une expérience professionnelle atypique a déjà eu un impact positif sur leur décision d’embauche.
Un faux ami ?
Mais atypique à quel point ? Est-ce valable dans tous les secteurs ? Et les madskills seraient-ils devenus parfois l’unique critère ? « Dans la vraie vie, entame Francis Petel, vice-président de la commission nationale éducation formation de la CPME – Confédération des petites et moyennes entreprises –, ça ne correspond pas à la pratique. Hier basé sur les seules compétences métier, le recrutement s’appuie désormais sur des compétences transversales.
Mais de là à dire que l’on ne s’occuperait plus des premières, il y a un pas à ne pas franchir. Est-ce qu’on peut se passer des hardskills ? Si dans une très petite entreprise une compétence technique ne relève que d’un seul collaborateur, les madskills ne sauront être le seul critère de recrutement. C’est la difficulté à recruter qui pousse à voir fleurir ces éléments de langage. » Il n’empêche, les articles se multiplient qui soulignent l’émergence d’une authentique suprématie des madskills. Ces traits personnels l’emporteraient sur le reste ? Démenti en demi-teinte de l’Apec (Association pour l’emploi des cadres) : « Ce n’est pas une recette appliquée partout, dénie Pierre Lamblin, directeur du département étude et recherches. Ce n’est pas ce que l’on voit chez les cadres, surtout dans les secteurs conventionnels. Dans les métiers à forte créativité, en revanche, comme la communication ou bien encore le numérique, là, une entreprise est plus souvent amenée à choisir son futur collaborateur à partir de ses madskills. Son originalité, il faut la mettre en musique à bon escient. »
Tout est question de dosage. Côté recruteurs, côté candidats aussi. « Introduire une dimension trop originale dans un CV risque de générer un réflexe de dissuasion, prévient Lionel Prud’homme, directeur de l’école IGS-RH Paris. Sortir du lot, oui, pour accrocher, mais pas trop pour ne pas passer pour fou ! C’est un jeu subtil. Et puis ce qui est original un jour pourrait ne plus l’être le lendemain. La petite ligne du bas doit être réactualisée régulièrement. » Le choix de l’expérience extraprofessionnelle à mettre en avant doit être réfléchi, en adéquation avec les attendus de l’entreprise.
Murielle Wolski