Médias, patronat, politiques piaffent devant une reprise qu’ils rêvent identique à l’avant ou presque.
Pour un observateur au quotidien comme je le suis, à l’image de mes confrères/sœurs journalistes, les « signaux faibles » s’amplifient soudain au fil des articles, des études, des communiqués : pas de doute, les experts, les conseils, les entreprises, les salons virtuels, les webinaires du tonnerre commencent à parler… d’avenir. De scénarios de l’après-covid.
Au-delà des contenus mêmes de ces visions projetées, pas toujours très optimistes du reste, c’est la première fois que les sociétés tout entières reprennent pied sur la rive de la « normalité ». Mais une normalité qui en aura pris un furieux coup dans l’orthodoxie, ce qui n’est pas forcément plus mal. Un cabinet comme Roland Berger, conseiller et organisateur de grands groupes, invente même une expression qui, toute anglaise fût-elle, se montre parlante : ses experts inventent le « new normal », une normalité revue et corrigée.
Sans grande surprise, la plupart de ces projections, plus ou moins détaillées, plus ou moins chiffrées, plus ou moins jargonneuses, dessinent des scénarios possibles qu’il était facile de deviner : selon les pays, les cultures, les régimes, selon les dirigeants même, l’on se projette soit dans une reprise spectaculaire à travers laquelle reviendra au galop une mondialisation que l’on sait désormais dangereuse, soit dans une déstabilisation plus ou moins longue dans la durée. Avouez qu’il ne faut pas avoir son diplôme de devin pour augurer de ces scénarios binaires. La vraisemblance marie les deux « visions » : tous les systèmes établis, à commencer par la finance et ses géants, fonctionnent sur le mode de la croissance sans fin, et les politiques à la Trump n’auront de cesse de retrouver leurs repères de milliardaires. Mais avant la « reprise », il faudra absorber des faillites en chaîne, une récession inouïe, un chômage explosif qui pourraient engager le monde sur des voies déjà sous-jacentes pour les « scénaristes » du futur proche. Qui insistent sur des tendances déjà inscrites dans l’avant-covid : le télétravail, la relocalisation des productions – avec l’assentiment d’une opinion publique « vaccinée », si j’ose écrire, aux dépendances étrangères –, la réorganisation du système de santé, la prise en compte de l’environnement, et bien d’autres « signaux faibles » que la crise sanitaire va potentialiser.
Mais nous n’en sommes pas là. Qu’on le redoute ou pas, gouvernements, groupements patronaux, banques et entreprises elles-mêmes voudront reconstituer leur rentabilité. À tout prix. Il risque de se montrer élevé.