La planification, solution de sortie de crise ?

La vieille arme des Occidentaux d’après-guerre revient alimenter les réflexions.

Pandémie, distanciation sociale et confinement contraint, suspension étendue de l’activité… La crise sanitaire paralyse la machine économique. Nous sommes confrontés à un nouveau choc d’ampleur, 12 ans après 2008. Pour le surmonter et pour préparer la relance, un retour à la planification économique est en débat. Mais quelle planification ?

Un effondrement du PIB de 6 % et l’entrée en récession de l’économie française, c’est l’estimation réalisée par la Banque de France, publiée le mercredi 8 avril dans son enquête de conjoncture qui prend en compte les effets des mesures de confinement. Baisse de l’activité économique globale de 32 %, coût d’1,5 % du PIB annuel et d’1 % de déficit public pour chaque quinzaine de confinement, le constat est accablant. En première ligne, puisque l’analogie guerrière prévaut, Bercy tente de résoudre le casse-tête. L’exécutif prépare son plan de relance économique, pendant que des responsables politiques de tout bord appellent à un retour à une planification stratégique à grande échelle. À l’instar de Jean-Luc Mélenchon, président de la France insoumise, qui invitait l’exécutif à « s’interroger sur le mode de croissance à retrouver » et d’envisager le plan comme « outil de gestion prévisionnelle et de relance économique », lors de son passage au Grand Jury (RTL, Le Figaro, LCI) le 5 avril.

Du Commissariat au Plan à France Stratégie
Par définition, une planification de l’économie est la direction donnée par un État aux acteurs de son économie, pour faire face, a priori, aux besoins de sa population et de son développement. Un plan s’inscrit donc sur le long terme et implique des buts à atteindre, à l’image des plans quinquennaux utilisés en URSS. L’URSS de Staline, voilà bien ce à quoi renvoie l’idée d’économie planifiée dans la conscience collective. Mais elle n’est pas l’apanage du communisme, les États occidentaux y ont eu recours après la Seconde guerre mondiale, plan Marshall et relances d’après-guerre en tête. En situation de guerre ou de crise d’ampleur, la reprise en main de l’économie par l’État aura plus d’une fois montré son efficacité.

Encore faut-il distinguer planification impérative et planification indicative, comme le rappelle Denis Durand, économiste membre du conseil national du Parti communiste français : « On connaît principalement deux modèles de planification, le modèle soviétique, impératif et très efficace pour le développement de l’économie russe mais avec un coût humain très élevé, et l’exemple français, indicatif et incitatif, de l’époque de Jean Monnet jusqu’à celle de Giscard d’Estaing. » C’est à l’initiative de ce même Jean Monnet qu’est créé en 1946 le Commissariat général au Plan (CGP). Il vise à orienter les investissements dans les secteurs prioritaires pour la croissance. Ce n’est qu’en 2006, sur une décision du Premier ministre Dominique de Villepin, que le CGP est supprimé. Ne subsiste aujourd’hui que France Stratégie, plus animateur de réseaux d’acteurs économiques et sociaux que véritable organe gouvernail.

La planification au service du capital
La planification est associée initialement à une centralisation de l’autorité économique dans les mains de l’État, donc en opposition avec les principes du libéralisme. Mais le capitalisme a su en faire au contraire un outil de développement. Frédéric Roche, économiste et rédacteur en chef de la revue Économie et Politique, décrit une « planification au service du développement du capital ». Autrement dit, la planification telle qu’utilisée par nos gouvernements libéraux se caractériserait par des mesures visant à pérenniser les principes capitalistes mêmes. Un retour à la planification ne signifierait donc pas une remise en question du modèle. « Contrairement à ce que l’on peut lire, un nouveau schéma économique et une planification en rupture avec le dogme capitaliste ça n’est pas sur la table », lance Frédéric Roche. Un avis partagé par Denis Durand : « Depuis les années 1970, on est dans une logique de soutien à l’accumulation du capital, sur laquelle s’est développée l’hégémonie des doctrines néolibérales. »

L’idée de planification renvoie, certes, à celle d’un État fort, mais les objectifs ne sont plus socio-économiques, ils sont bien financiers, alors même que la pandémie de SARS-CoV-2 n’est pas la cause première de la crise économique actuelle, mais bien un accélérateur et un amplificateur. Qui, selon Frédéric Roche, « exacerbe les contradictions du processus de financiarisation de l’économie et de suraccumulation du capital ». À écouter nos deux économistes, le modèle de notre économie capitaliste se retrouverait face à ses propres contradictions, incapable de répondre efficacement à la crise sanitaire et humaine.

Repenser la planification
L’intérêt des populations et les politiques sociales se sont bel et bien heurtés à la logique d’augmentation de la rémunération du capital et à la baisse de la dépense publique. Frédéric Roche invoque la crise de l’hôpital public : « C’est symptomatique, l’objectif de prise en charge de la santé des populations s’est perdu. On a fait baisser le nombre de lits et l’on en voit la conséquence aujourd’hui, le système est incapable de prendre en charge efficacement les malades, par manque d’outils et de moyens. »

Selon nos deux spécialistes, c’est un nouveau modèle de planification qui doit être envisagé : une planification au service de l’intérêt des populations.

« Il faut s’interroger. De quoi parle-t-on quand on parle de planification ? interroge Frédéric Roche. Si c’est pour refaire ce que l’on a fait avant, on répète les erreurs de 2008. Il faut redéfinir la planification et miser sur les coopérations à l’échelle internationale. » Une planification repensée, décentralisée, démocratique. Denis Durand, lui, préconise de « réunir de façon décentralisée, dans les régions, les communes, les bassins d’emplois… l’ensemble des acteurs locaux – acteurs sociaux, entreprises, associations, élus… –, pour répondre collectivement à la question : quels sont nos objectifs prioritaires ? »

Durand : « Une gestion de la crise suppose une planification d’urgence. L’obligation aujourd’hui, c’est de vaincre le virus, donc l’entreprise doit se mettre au service d’un objectif collectivement fixé, qui peut se retrouver en contradiction avec son objectif de rentabilité. »
Roche : « Aujourd’hui, tous les laboratoires de recherche sur le vaccin sont en communication, malgré leurs sources de financement privées. Les scientifiques ont décidé de mettre en commun leurs résultats de recherche, pour accélérer le processus de découverte du vaccin. Voilà une donnée nouvelle, c’est ça la solution, le partage et la coopération. »

On l’aura compris, Frédéric Roche et Denis Durand en appellent à un changement systémique dans lequel la planification pourrait jouer le rôle de moteur, dans une conception nouvelle au service des populations et non plus des logiques capitalistes. Reste qu’un tel bouleversement idéologique paraît peu envisageable à la tête de l’État dans l’immédiat. Le principe de la planification stratégique, lui, refait bien surface. De la gauche jusqu’à la « droite sociale », la solution et ses avantages séduisent. Reste à savoir à quelle planification nous aurons affaire.

Adam Belghiti Alaoui

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