L’économiste « atterré » ne mâche pas ses mots pour définir les priorités du monde d’après.
Henri Sterdyniak, économiste à l’OFCE (Observatoire français des conjonctures économiques) et membre des Économistes atterrés dont il a participé à la création, décrypte la crise économique naissante et appelle à reprioriser notre production vers les besoins essentiels.
Une humanité confinée : quelle vision portez-vous sur la crise actuelle et sur ce qui nous y a mené ?
Henri Sterdyniak : L’humanité est engagée dans un processus de croissance qui n’est pas soutenable. C’est un problème global, très difficile à résoudre parce qu’on a des pays émergents qui veulent se développer et des pays riches qui n’ont pas la volonté de leur offrir une alternative sérieuse. L’économie mondiale est fragile car elle repose sur des bulles financières. Les Bourses étaient très surévaluées, tout le monde savait que ça allait chuter sans savoir quand ni comment.
L’élément déclencheur et imprévisible a été la pandémie. À quoi s’ajoute la fragmentation des chaînes de production qui fragilise l’économie mondiale et empêche d’avoir une cohérence productive nationale… On se retrouve face à une contradiction : la crise résulte du développement du capitalisme financier et c’est ce même capitalisme qui nous donne les moyens de lutter contre la maladie.
Que nous apprend cette crise et comment y répondre ?
Les marchés financiers accentuent les problèmes au lieu de les réduire, pas le contraire. En temps de crise, la finance surréagit, on a une chute importante des marchés et on peut craindre des spéculations. La finance déstabilise et incite les entreprises à produire à moindre coût sans prendre en compte les risques. La crise de 2008 a contribué à réduire le développement anarchique de la finance. Là, nous sommes dans une crise différente, plus grave.
Cette crise est un avertissement. La préoccupation écologique doit devenir centrale et pour cela les besoins essentiels doivent être priorisés. La grande question, c’est : est-ce qu’un tel programme sera mis en place ou bien, au contraire, recommencerons-nous comme avant ? C’est le grand enjeu.
Faudrait-il revoir nos priorités ?
Il y a deux discours contradictoires. L’un disant qu’il faut repartir comme avant et aider les entreprises, l’autre, que je porte, disant que certaines entreprises doivent réduire leur voilure pour être compatibles avec le tournant écologique. C’est un combat entre la maximisation systématique de la croissance économique et l’optimisation du bien-être des individus et de la planète. La production doit se recentrer sur les besoins essentiels et non créer de nouveaux besoins inutiles, c’est un arbitrage à mener.
Il faut tout repenser à la lueur de la crise. La réforme des retraites, de l’assurance chômage, des minimums sociaux et les vastes programmes industriels dangereux et inutiles comme la privatisation des aéroports de Paris ou la construction d’un centre commercial géant dans l’Oise. La course effrénée à la croissance ne fait pas partie du bonheur ni des besoins fondamentaux.
Vous appelez donc à un sursaut collectif ?
Il s’agit de faire en sorte que la société prenne en compte de façon différente ses besoins. C’est la société qui doit prendre en compte les leçons de cette crise et pas seulement l’État. Il faut conserver le rôle de l’État et celui de l’initiative privée, mais ce qui est très important c’est le rôle de l’initiative sociale et citoyenne. C’est là-dessus qu’il faut compter. Il faut, domaine par domaine, réfléchir et demander aux agents d’adopter des comportements compatibles avec le tournant écologique.
Quel rôle peuvent jouer les mécanismes européens de réponse à la crise ?
Aucun. Ils n’ont aucun intérêt. Ce qui est important c’est que les États puissent réagir de façon autonome. Quand vous êtes un État, vous devez pouvoir librement garantir votre dette sans avoir besoin de recourir à des aides étrangères. Le Royaume-Uni a la livre sterling et a fait des dépenses comme l’Italie et la France. Il n’a pas besoin de se poser la question des coronabonds ou du recours au mécanisme européen de stabilité.
Ces questions se posent parce que l’Europe est mal construite et parce que les dettes publiques ne sont pas garanties. La zone euro crée aussi des déséquilibres. S’il existe des dysfonctionnements, c’est en partie à cause de l’Europe elle-même. Dans cette crise, l’Europe, c’est la mouche du coche, elle s’agite beaucoup sans fournir de réels services.
Propos recueillis par Adam Belghiti Alaoui, journaliste à la rédaction