Épargne d’urgence ou épargne durable…

Bruno Le Maire, ministre de l’Économie et des Finances, s’inquiète d’un manque d’investissement dans l’économie due à la hausse du recours à l’épargne.

Le taux d’épargne des Français/es avant la crise de covid-19 s’élevait à 15 %, il atteindrait les 50 % en cette période de confinement. Une hausse violente qui traduit un climat de méfiance et de précaution des consommateurs, et qui inquiète de plus en plus Bercy.

« Ce n’est pas d’épargne dont nous avons besoin aujourd’hui, c’est d’investissement. » Le 17 avril, face à la Commission des Finances de l’Assemblée nationale (lors de l’audition sur le deuxième projet de loi de finances rectificatives pour 2020), le ministre de l’Économie et des Finances Bruno Le Maire a confié ses craintes. Dans un contexte de confinement, les Français/es ne dépensent que très peu, hormis les dépenses contraintes telles que les loyers ou l’alimentation. Et logiquement, comme les revenus de beaucoup de salarié/es se maintiennent à peu de chose près, le taux d’épargne bondit.

Les Français/es ont ainsi déjà déposé 8 milliards d’euros sur leur Livret A et sur le livret de développement durable et solidaire (LDDS) depuis le début de l’année. Pour le seul mois de mars, ce sont 3,8 milliards d’euros qui ont été collectés, contre 1,5 milliard en février, soit 50 % de plus qu’en mars 2019. Résultat, le montant total accumulé sur le Livret A et la LDDS atteint la somme historique de 420,8 milliards d’euros.

De l’épargne forcée à l’épargne de précaution
Face à une crise sanitaire sans précédent, l’épargne joue son rôle de valeur refuge. Le phénomène est classique en période de crise. D’autant plus que le taux d’épargne était déjà en progrès ces derniers mois, comme l’explique Sarah Le Gouez, secrétaire générale du Cercle de l’épargne (Centre d’études sur l’épargne et la retraite) : « Il y a eu les mouvements des gilets jaunes, la réforme de retraites, les grèves… tout cela pousse les Français/es dans une logique d’épargne et de précaution. » La pandémie n’aurait donc que renforcé cette logique en freinant la consommation (- 35 % selon l’Insee).

Bercy estime à environ 100 milliards d’euros l’épargne qui sera constituée entre mars et septembre 2020. « Ce qui traduit à la fois un sentiment d’inquiétude et une forme de désaveu des pouvoirs publics et des mesures prises, avec la crainte d’une nouvelle crise », ajoute Sarah Le Gouez.

À la conjoncture économique décourageante pour la consommation s’ajoute la facilité d’accès à l’épargne, que l’on peut désormais contracter depuis son canapé. Une multiplicité des modes de commercialisation des livrets permise par les applications téléphoniques de gestion de compte.

Pour Bruno Le Maire, qui érige l’investissement des entreprises comme un pilier de la relance économique, il faudra passer par la stimulation de la demande pour éviter que les consommateurs n’adoptent des « comportements attentistes ».

Vers un changement des comportements ?
Bercy craint que les incertitudes actuelles se prolongent en raison de la spirale récessive, poussant les Français/es à conserver leur épargne de précaution et à ne pas la dépenser à la sortie du confinement. Malgré la baisse du taux de rendement du Livret A de 0,75 % à 0,5 % décidée par le ministère de l’Économie en février, la dynamique ne s’est pas endiguée, au contraire.

Ce n’est pas l’exemple de la Chine qui va apaiser nos technocrates inquiets. Après le déconfinement, les chinois ne se sont pas laissé aller au « revenge shopping » (la frénésie des dépenses postconfinement) et la consommation reste timide. Pas de quoi rassurer Bruno Le Maire qui voit dans l’épargne à outrance un danger pour le financement de l’économie et de la relance.

Paradoxalement, la hausse de l’épargne coïncide avec la volatilité des marchés boursiers qui voient leurs cours baisser ces dernières semaines. Dans une tribune publiée par Boursier.com, Philippe Crevel, directeur du Cercle de l’Épargne, écrit : « Le temps est venu, pour les épargnants qui le peuvent et qui ont de l’appétence pour une prise de risques, d’investir. » Reste que ceux qui peuvent investir sont avant tout des CSP + et que la majorité des Français/es ne peuvent se le permettre. Hors le Livret A, bien peu de solutions de meilleur rendement existent, ce qui explique l’engouement pour cette épargne à tout moment accessible.

Sarah Le Gouez se permet une référence bien sentie : « Pour la relance de la consommation, tout dépendra de l’ampleur et de la durée de la crise, mais face à une situation incertaine les Français/es ont plus tendance à faire la fourmi que la cigale. » Il faudra sans doute attendre cet été puis la rentrée de septembre pour voir la consommation repartir. À l’instar du secteur du tourisme, qui prévoit que la destination France sera privilégiée par les autochtones pour leurs vacances d’été.

Adam Belghiti Alaoui, journaliste à la rédaction

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