Le revenu universel, faire de nécessité vertu

En pleine crise sanitaire, le revenu universel refait surface en Espagne.

 Approuvé, décrié, voire instrumentalisé : le revenu universel reste un débat sans fin qui ressurgit toujours, souvent pendant les crises, toujours durant les campagnes électorales. La pandémie covid-19 n’échappe pas à l’occasion, le revenu universel revient sur le devant de la scène. En costume caméléon, il soulève toujours les mêmes dilemmes : le défendre reviendrait à encourager la précarité, le critiquer sous-entendrait qu’il existe une juste pauvreté.

Revenu universel au temple de l’ambiguïté
Un revenu qui n’a d’universel que le nom. Son principe : une somme versée chaque mois à toutes et tous, sans condition ni contrepartie. Un don en quelque sorte, ad vitam æternam. En réalité, c’est plutôt un revenu de base, minimum, garanti – ce que vous voulez – fléché vers les plus vulnérables.

Le cas de l’Espagne, qui vient de mettre en place ce que son gouvernement nomme revenu minimum vital, est emblématique. C’est ce qu’a approuvé un conseil des ministres exceptionnel fin mai. Exceptionnel peut-être, à la hauteur de ce que nous traversons sans doute. Il sera promis dès le 1er juin à 850 000 foyers dont 100 000 monoparentaux – les premières victimes de la crise – une somme mensuelle comprise entre 460 et 1 015 euros. Une sorte de médicament générique. D’un revenu universel, on est passé à un revenu minimum vital, moins sexy et plus glauque, mais terriblement utile sans doute pour les milliers d’Espagnol.es les plus durement touché.es par la crise. Benoît Hamon, qui fut en France, au temps où il défendait son programme présidentiel, le défenseur de l’idée, gronde les Pyrénées, obstacle majeur à ses idées. Lui, en 2017, voulait instaurer une somme jusqu’à 600 euros, par le biais d’une augmentation d’une forme de revenu concédée sans travail, le RSA, avant de l’augmenter à 750 euros, versée de manière automatique et inconditionnelle à 19 millions de personnes gagnant moins d’1,9 smic.

L’Espagne a franchi le cap, tout petit cap, mais la Finlande avait déjà tenté l’expérience en 2018 quand 2 000 chômeur.euses ont reçu 560 euros chaque mois sans contrepartie. Comparé à un groupe témoin (d’autres personnes au chômage sans revenu de base), l’effet s’est davantage révélé psychologique qu’économique : les bénéficiaires du versement se sont dits moins stressés. Malgré tout, l’expérience ne montre pas d’influence sur le retour à l’emploi, car, avec ou sans revenu, la précarité reste la même. L’expérimentation n’a d’ailleurs pas été reconduite en Finlande. Quant au projet fédéral suisse qui se voulait très généreux (« revenu de base inconditionnel » de quelque 2 260 euros et 650 francs suisses pour chaque mineur), la « votation » l’a purement et simplement rejeté.

Comme un aveu
Instaurer un revenu universel, c’est démontrer par A + B que le travail perd de sa valeur. Il y a celles et ceux qui font de la spéculation financière leur gagne-pain, les autres qui incarnent l’impossibilité qu’a notre société à trouver un travail pour toutes et tous. André Gorz, cofondateur du Nouvel Observateur, pionnier de la décroissance, dans Métamorphoses du travail, soutenait qu’à terme nous n’aurions besoin que de 2 % de la population active pour assurer la reproduction matérielle. Le chiffre est sûrement dérisoire, l’idée est là. Le revenu universel, s’il se substitue au travail – intégrateur social par excellence – déboucherait sur une société à deux vitesses, un apartheid social. L’exclusion diront certain.es, la désaffiliation disait le sociologue Robert Castel. Les mots ont un sens, le travail aussi. GW

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