Les spécialistes du cerveau nous rejouent le coup du verre à moitié plein ou à moitié vide.
À force de me poser chaque jour la question de ce que m’inspire l’état du monde, de la France, de mon village, de ma famille, de ma psyché, je sens mon cerveau voguer dans des limbes indécis. Faut-il s’inquiéter des effets à long terme du confinement-déconfinement, de cette pandémie qui n’en finit pas, des contraintes qui rangent tout un peuple (et d’autres) sous la houlette d’une situation d’urgence, de cette réclusion, travaillée ou pas, qui prend fin mais pas tout de suite, pas tel jour, comme un armistice, de ces embrassades terrifiantes que l’on s’interdit, de ces poignées de main proscrites que l’on ne donne plus et de l’effet délétère de Cristina Cordula et ses reines du shopping sur la ménagère de plus de 50 ans à la télé…
Stress, anxiété, déprime, légèreté, repos, créativité, énergie, tout y passe dans cette guerre où l’ennemi invisible dresse les uns contre les autres les médecins généralistes et les mandarins, les lobbyistes et les écologistes, les restaurateurs et le Comité scientifique, les policiers et leur ministre, le monde d’avant et le monde d’après, les pessimistes et les optimistes…
Si je pose la question à mon ami Thierry Dudreuilh, éminent spécialiste du conflit de personnes ou de groupe, il m’aligne une série de références scientifiques qui me plongent dans l’enfer de Dante : La crise sanitaire, écrit-il, a donné lieu à un « lavage de cerveaux bien tempéré. Toutes les informations et contre-informations qui nous ont été diffusées, perfusées (et auxquelles nous avons accédé de notre propre gré) ont instillé en nous cette fameuse dissonance cognitive (Léon Festinger 1957), le confinement, la soumission à l’autorité (Stanley Milgram 1963), le port du masque et le lavage des mains, le conformisme de groupe (Solomon Asch 1956), la communication de peur, la psychose collective, la distanciation « sociale » (ce choix des mots !), la défiance à l’égard de tout autre, voire une sociopathie rampante. Tous les moyens de lavage de cerveau sont maintenant réunis… Il n’est plus que de s’interroger sur le nôtre, de cerveau… »
Mais j’ouvre Sud-Ouest qui s’en est allé chercher Rodolfo Llinas, grand expert du cerveau*, qui assure que les relations entre humains redeviendront ce qu’elles étaient lorsque la crise sanitaire sera derrière nous. Et me voilà au paradis. « Baisers et embrassades seront à nouveau de mise et le confinement ne laissera pas de trace sur notre fonctionnement cérébral. » L’interview qu’il donne à notre confrère panse mes bobos à l’âme. Quelques extraits auront-ils le même effet sur vous ?
« Ça va passer, ce n’est pas un problème aussi profond que pourrait l’être une guerre, durant laquelle les gens se haïssent et se tuent. »
« Quand ce sera passé, au bout de quatre ou cinq mois, peut-être un peu plus, ce sera oublié comme ont été oubliées toutes les pandémies. »
« Une fois que les gens pourront s’embrasser sans que rien ne leur arrive, ils recommenceront à s’embrasser. Sinon, comment survivrions-nous ? »
« Aucun effet sur le cerveau. À condition de ne pas commettre d’absurdités. Ne pas travailler n’endommage pas le cerveau. Il vaut mieux s’en servir, c’est sûr. Les gens chez eux commencent à faire des choses, à en inventer, à en écrire. »
« Sommeil perturbé et concentration altérée durent trois ou quatre jours. Puis, le système envoie tout valser […] Les gens disent qu’ils se meurent d’ennui, mais ce n’est pas vrai. L’ennui n’est pas mortel. »
« Il existe une chose qui s’appelle penser. Et quand on pense, on peut écrire ou dessiner ou construire. Il faut s’imaginer ça comme des vacances forcées. Au lieu de se mettre à pleurer, pensez, prenez le temps car ce sont vraiment des congés chez soi. Le problème c’est que les gens veulent des vacances quand ils le désirent, pas des vacances forcées. »
Merci, Rodolfo. Je commençais à culpabiliser à force d’écrire des éditos moroses… M. Llinas, il faut que je vous présente mon ami Thierry D…
Olivier Magnan, rédacteur en chef
* 85 ans, neurophysiologiste colombien naturalisé américain. Il a travaillé pour la NASA et dirigé le département de physiologie et neurosciences de la faculté de médecine de l’Université de New York, où il enseigne.