L’abandon du véto pour les sommes allouées ne doit pas bénéficier aux dictatures.
Quelle nuit ! À 5 heures 30 mardi, les Vingt-Sept ont signé leur accord vivement qualifié d’historique : pour la première fois dans cette communauté à hue et à dia où l’essentiel jusqu’alors était de profiter de la manne d’un budget et de limiter ses contributions, les États vont dégager une enveloppe de 750 milliards, non pas de subventions – ni un prêt ni un don, des sommes fléchées vers des projets –, mais de prêts et de subventions mêlées (390 milliards pour les seules subventions, le détail ici). Le tout cadenassé par des négociations de marchands de tapis, entre les contrôles par le Conseil de l’emploi des sommes allouées « à la majorité qualifiée » (au moins 55 % des États membres représentant au moins 65 % de la population de l’Union européenne) et de rabais des contributions. Dans ce cadre au moins, s’en est fini du véto figeant qui rendait l’UE ingouvernable. Que les États dits frugaux (en gros l’Europe du Nord) aient fini par comprendre – en se faisant octroyer des baisses substantielles de leurs contributions comme le Royaume-Uni à une époque – que le salut passait par la solidarité est sans doute la vraie victoire du bon sens incarné par la France, l’Allemagne – au prix, pour la chancelière, d’un véritable virage de son dogme austère – et d’une certaine manière la Belgique : non seulement l’accord « historique » a été voté à Bruxelles, mais au surplus sous l’égide du président du Conseil en exercice, le Belge Charles Michel, qui s’est empressé de tweeter « Deal ! » à 5 heures 31.
C’est, au-delà des milliards dont on n’est plus très sûr de comprendre ce qu’ils « valent », les principes mêmes d’un fonctionnement quasi fédéraliste qui ont été négociés à Bruxelles. Reste qu’un compromis signé au passage et qui soulage lâchement les 27 compères ne devra pas encourager les États les moins démocratiques de l’Union à se prévaloir de leur légitimité à se voir accorder prêts et subventions tout en violant impunément les droits de l’homme. C’est pourtant désormais à la majorité qualifiée (plus difficile à obtenir) que le Conseil pourra refuser à ces États autoritaires européens – la Hongrie, la Pologne – l’attribution de fonds. Si bien que lorsqu’un Viktor Orban, président de Hongrie, se targue lui aussi d’une « grande victoire », on craint le pire. Le dictateur a eu le culot de réclamer l’abrogation de l’article 7 – porteur de sanctions.
Ce vote à la majorité qualifiée offre donc une face positive et un revers négatif.
L’Europe sait désormais qu’une pandémie se soigne collectivement. Il ne faudrait pas, pour autant, soigner les dictatures.
Olivier Magnan