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« La flexibilité du coworking est une solution évidente à la crise », clame Clément Alteresco, CEO de Morning .
La crise sanitaire bouleverse les façons de travailler, les interactions professionnelles et les espaces de travail ? Aubaine pour le coworking qui gagne en attractivité, après un retour progressif des entreprises. Entre contraintes sanitaires, télétravail et recherche de flexibilité, les « tiers-lieux », déjà inscrits dans le paysage du travail, gagnent encore en intérêt, sérieux arguments à la clé. Clément Alteresco, CEO de Morning, analyse les bouleversements actuels et les bienfaits d’une pratique amenée à s’imposer.
Morning fait déjà partie des « tiers-lieux » pionniers. Où en êtes-vous ?
Morning, c’est un réseau d’espaces de coworking à Paris et en première couronne. On a 25 espaces de coworking pour à peu près 25 000 m² d’espaces et 6 000 « collocs » qui viennent travailler chez nous. Nous faisons partie des leaders sur le marché. Notre offre est aussi bien à destination des indépendants, des TPE, PME, que des grands groupes, qui s’intéressent de plus en plus au coworking comme à une solution de flexibilité pour leurs équipes, et encore plus aujourd’hui. On a aussi la chance de compter sur un partenaire solide à travers Nexity, qui a pris une part majoritaire du groupe, de quoi nous donner une assise plus forte dans le paysage immobilier et d’avoir les moyens d’investir.
Quels sont les impacts de la crise sanitaire sur les espaces de travail que vous observez ?
La crise a créé plusieurs phénomènes. D’abord, le confinement, qui accélère le mouvement du télétravail. Aujourd’hui, on a gagné en gros cinq ans ou peut-être même dix, sur ce phénomène qui était déjà à l’œuvre. En conséquence, les entreprises ont besoin de moins de postes de travail : qui dit télétravail dit salariés chez eux et mise en place du flex office ou places non attribuées. Dans les années qui viennent, les entreprises vont abaisser plus ou moins rapidement leur nombre de mètres carrés de bureaux, de 20 à 40 %. Le second phénomène, c’est la crise économique, qui a également des conséquences sur les espaces de travail. Toutes ces incertitudes sont plutôt négatives pour le marché du bureau en général et la demande.
Comment le coworking peut-il, va-t-il répondre à cette situation ?
La crise nous impacte aussi directement. Un client qui auparavant venait pour demander 30 postes ne nous en demande plus que 15 ou 20. C’est le rôle et l’avantage du coworking : adapter le nombre de postes à la structure et à ses besoins du moment. La conséquence positive, c’est que les entreprises recherchent de la flexibilité et une solution rapide. En situation de crise, la flexibilité offerte par le coworking est essentielle et offre un lissage de la trésorerie (pas d’entretien des bureaux…). Nous sommes une solution évidente à la crise, ça fait partie de notre ADN, et d’ailleurs le mouvement du coworking est né après la crise de 2008.
Quels ont été les impacts pour votre entreprise ?
Je suis très optimiste à moyen terme pour le développement de notre offre qui correspond aux besoins des entreprises, mais il y a aussi la crise économique et la baisse de la demande qu’elle provoque à court terme. C’est plus une question de timing, on a eu des entreprises qui ont quitté nos locaux ou qui ont diminué leur présence, mais en septembre on observe une dynamique positive avec des retours de clients et certains qui commencent à s’intéresser au coworking.
Nous avons aussi dû, bien sûr, mener un gros travail de mise aux normes sanitaires pour la reprise, nous avons été certifiés en juin. Les mesures sont similaires à celles pour un bureau classique : bureaux de 1 m 20, espace de 4 m² par personne… Jusqu’à aujourd’hui, nous observons un retour d’environ 70 à 80 % des salarié·es d’une entreprise cliente chez nous, le reste reste en télétravail.
Justement, le télétravail et le coworking sont-ils compatibles ?
C’est un vrai débat, je suis absolument sûr qu’à terme, le télétravail ne se fera pas chez soi. Pour trois grandes raisons. La première, c’est que les gens ont rarement une pièce pour travailler et ils s’installent souvent dans le chambre ou la cuisine, ce n’est pas un bon cadre. La deuxième, c’est le manque d’échanges sociaux et d’interaction avec des collègues ou d’autres personnes. La troisième, qui est sûrement la plus difficile à évaluer, c’est que pour la plupart des gens le travail est une aliénation. Si on instaure cette aliénation du travail chez les salarié·es, il n’y a plus de séparation et c’est un souci. Le coworking permet de travailler ailleurs qu’au bureau, tout en interagissant avec d’autres coworkers.
Comment voyez-vous l’évolution des espaces de travail ?
Je suis persuadé que demain se créera une sorte d’équilibre : un peu de travail chez soi, pour gérer sa vie personnelle, un peu de coworking dans les espaces de quartiers, un peu de présence au bureau selon les profils et l’emploi du temps. Les gens auront la capacité, selon leurs besoins, leur temps de transport et leurs emploi du temps, de réserver un espace via une application. Aujourd’hui, il n’existe pas assez d’offres de salles de réunions et de coworking de quartier, le maillage territorial est insuffisant et très inégal, ça fait partie des sujets sur lesquels on travaille.
On collabore avec Nexity et la Caisse des dépôts pour tenter de créer un réseau d’espaces de coworking de quartier, qui me paraît être un sujet d’infrastructures publiques. Valérie Pécresse [présidente du conseil régional de la région Île-de-France] avait dit il y a 5 ans qu’elle voulait 1 000 espaces de coworking en Île-de-France, nous n’y sommes pas encore. Et c’est normal, la demande n’était pas assez puissante. Aujourd’hui, elle est là. C’est quasiment une inversion totale de la façon d’occuper les espaces de travail, il y a une vraie dynamique en marche et un travail à mener pour accompagner cette transformation des espaces de travail.
Propos recueillis par Adam Belghiti Alaoui