Europe dépassée, leadership américain évaporé et une Chine regonflée à bloc. En bousculant les rapports de force entre les grandes puissances, la crise de covid-19 a révélé qu’elle était aussi une affaire géopolitique, face à un Occident tombé de son piédestal, au profit de l’Empire du Milieu – d’où est pourtant partie la pandémie – et même face à la Russie.

«Quand la Chine attrape un rhume, c’est le monde entier qui éternue. » En parodiant Alain Peyrefitte et son fameux « Quand la Chine s’éveillera… », Pascal Boniface, directeur de l’Iris (Institut des relations internationales et stratégiques) en dit long sur la dimension géopolitique de la crise sanitaire, tant elle bouscule les rapports de force entre grandes puissances. Ne serait-ce qu’en accentuant peut-être « l’effritement de l’Europe », tel que le redoutaient déjà, en avril, des sénateurs de la commission des Affaires étrangères et de la Défense du Sénat ? Une inquiétude largement partagée par les observateurs, à l’instar du journaliste Pierre Haski, le chroniqueur géopolitique des affaires du monde sur France Inter. En mars, il a qualifié le fameux virus de « révélateur du déclin et des faiblesses de l’Occident, Europe et États-Unis, dont la suprématie reposait en partie sur l’image de sociétés performantes ». Et par contrecoup, révélateur aussi d’un géant asiatique de taille, inutile de nommer… Et pour cause : ceux qui pariaient que cette épidémie, pourtant partie de Chine « allait stopper son ascension pourraient en être pour leurs frais », confirme Pascal Boniface, alors que le nombre de morts en Grande-Bretagne, France, Espagne, Italie et États-Unis – pays occidentaux aux systèmes de santé réputés comme les plus avancés – a largement dépassé le bilan chinois officiel. « Oui, dit-il, la Chine semble sortir gagnante de la pandémie ! Déjà lors de l’épidémie de Sras, certains avaient émis l’idée que Pékin ne s’en relèverait pas. Pourtant, le pays a repris son rythme infernal vers la croissance. S’il représentait, en 2003, 4 % du PIB mondial, n’oublions pas qu’il caracole aujourd’hui à 17 % ! »

Des États membres divisés

Cher coronavirus… Grâce à lui, la Chine a fait très très fort. Première nation du monde à avoir été touchée de plein fouet, l’Empire a réussi le tour de force de retourner la situation à son avantage. Initialement critiquée par le reste du monde pour son autoritarisme face à cette crise – opacité de l’État, censure des médecins chinois, mensonges officiels pour cacher l’épidémie… –, la Chine s’est depuis illustrée comme le modèle de gestion réussi d’une telle pandémie. Quitte à prouver – ou presque – la supériorité de son système de gouvernance face à une Union européenne dépassée, « et des États membres divisés, incapables de répondre rapidement à l’urgence de la situation à l’intérieur même des frontières de l’Union », déplorent les sénateurs de la commission des Affaires étrangères et de la Défense du Sénat, qui concluent sur « un bilan nuancé de la coopération européenne et la nécessité d’une autonomie stratégique renforcée » du Vieux Continent. Pénurie de masques et d’équipements de protection, manque de moyens pour réaliser les tests face à une industrie pharmaceutique par trop délocalisée… C’est dire si la crise actuelle a mis en évidence la dépendance de l’Europe vis-à-vis, entre autres, de la… Chine, poids lourd à l’échelle mondiale dans l’approvisionnement en médicaments et en matériel médical.

Soft Power

Non seulement la Chine a réussi à faire valoir sa méthode forte d’endiguement de l’épidémie, mais aussi à se présenter comme un modèle susceptible de venir en aide aux autres pays en inondant le monde de milliards de masques et d’équipements médicaux. Très durement touchée, l’Italie a reçu une aide médicale, non pas de ses voisins européens, mais de la Chine, de la Russie et même de Cuba. En abandonnant, pour la première fois depuis 1945, toute ambition de leadership mondial sur la scène internationale face à une crise d’une telle ampleur, les Etats-Unis ont – eux aussi – libéré un espace à conquérir pour la Chine mais également la Russie. Laquelle, soucieuse de s’imposer comme intermédiaire entre Washington et Pékin dans un contexte de conflit sino-américain larvé, s’est, en effet, aussi illustrée par son recours au soft power de l’aide humanitaire. Fournir une aide médicale à de nombreux pays, à l’instar de la Serbie, jusqu’aux États-Unis eux-mêmes, le pays de Poutine a rivalisé avec son partenaire chinois pour entretenir l’idée d’une incapacité des dirigeants occidentaux à jouer la solidarité propre à enrayer la crise sanitaire. Autant d’opérations de communication qui ont ainsi aidé Moscou et Pékin à s’engouffrer dans le vide laissé par l’Occident… Si, sur le long terme, l’impact, dans son ensemble, d’une telle crise historique reste difficile à évaluer – et même pour la Chine, malgré tout dépendante de la reprise du commerce mondial – une chose est sûre : la covid-19 a rebattu les cartes de la géopolitique mondiale en défaveur du monde occidental.

Charles Cohen

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