Coronia, parfumeur, et Maison Ferroni, spiritueux, ont franchi à leur façon
l’été de tous les dangers
Fallait-il tout arrêter ? Maintenir un semblant de production ? Repenser les processus ?
Et de toute façon dessiner le monde d’après. Rencontre avec deux dirigeants d’abord sur la défensive puis carrément opportunistes.
«Quand j’analyse a posteriori ma réaction durant le confinement, je constate que je me suis très rapidement focalisé sur l’après confinement », explique Laurent Cohen à la tête de Coronia, entreprise de parfumerie du sud de la France. « En tant que chef de famille et chef d’entreprise, mon premier réflexe fut de mettre tout le monde à l’abri. Dès le 17 mars, nos 47 collaborateurs étaient chez eux. » Une situation forcément transitoire : « Passés les trois premiers jours à applaudir les soignants, j’ai réfléchi à la façon dont je pouvais apporter ma pierre à l’édifice. Il m’était très difficile de rester les bras croisés. Le 20 mars, un arrêté ministériel autorise les industriels de la parfumerie à fabriquer des produits biocides. En dix jours, nous avons appris à produire du gel hydroalcoolique. Nous avons adapté nos machines de conditionnement. Le 6 avril, nous étions en mesure de livrer deux tonnes de gel hydroalcoolique à l’assistance publique des hôpitaux de Marseille », résume Laurent Cohen. Durant les deux mois de confinement, le chef d’entreprise retrouve chaque jour plusieurs de ses salariés à l’usine. La solidarité s’organise. Des bénévoles viennent même prêter main-forte aux salariés de l’usine. Entre le 1er avril et le 31 mai, l’unité de production fonctionne sept jours sur sept pour la fabrication de gel. Au-delà des dons aux hôpitaux et aux associations, un chiffre va surprendre : Coronia vend sa production aux entreprises et le chiffre d’affaires atteint 1 million d’euros ! Dont 100 000 sont immédiatement reversés à l’APHM. Impressionnant. L’entreprise n’aura fait appel au chômage partiel que pour une durée très limitée : « Dès le 1er avril, nos salariés étaient de retour à l’usine. La reprise du travail, en revanche, fut plus progressive du côté des fonctions ventes et marketing », explique Laurent Cohen. L’entreprise a bel et bien sollicité un prêt garanti par l’État – obtenu en quatre jours ! – pour se montrer sûre d’honorer ses dettes et de payer ses nouveaux fournisseurs : « Pour la fabrication de gel hydroalcoolique, nous avons fait appel à des fournisseurs avec lesquels nous n’avions pas l’habitude de travailler. Nous avons donc dû payer comptant. » Des aides particulièrement bienvenues en période difficile, confirme Guillaume Ferroni, à la tête de Maison Ferroni, entreprise de spiritueux également installée dans le sud de la France. Le groupe a choisi de poursuivre sa production durant toute la période de confinement. « Pour produire, nous avions besoin de matières premières. Nous avons fait appel à toutes les aides possibles. » Guillaume Ferroni a lui aussi sollicité un PGE à hauteur d’un quart de son chiffre d’affaires.
Une période propice à l’innovation et à la créativité
À Aubagne, la Maison Ferroni a donc fonctionné en faible cadence durant toute la période de confinement. Sur les 9 salariés que compte le groupe, trois sont restés en poste. « Nous avons continué l’activité sans générer de chiffre d’affaires. Pour nous, la période de confinement a correspondu à un changement radical d’univers. A posteriori, je me dis que cette parenthèse nous a forcés à devenir plus créatifs et à mettre en place de nouveaux process. » À l’usine, par exemple, les salarié.es se sont vus intégralement chargé.es de la production de spiritueux, tandis qu’un salarié dirigeant se consacrait aux documents administratifs voulus pour l’octroi d’un PGE. Décroché, malgré un « dossier bancaire pas tout à fait excellent », concède le dirigeant. La production ne s’est pas arrêtée mais il a fallu faire preuve d’ingéniosité : les stocks d’alcools ont été gracieusement cédés aux laboratoires et pharmacies de la région pour la fabrication de gel hydroalcoolique. Il a donc fallu composer avec l’existant, explique Guillaume Ferroni : « Depuis des années, nous ne savions que faire des restes d’alcool. Nous avons profité de cette période très calme pour imaginer un gin à partir d’un assemblage des stocks de la maison. Et nous avons ainsi produit à 2 000 exemplaires une “édition confinement” de notre Gin Juillet ! » Résultat : dès le 11 mai, le Gin Juillet labellisé a rencontré un franc succès chez les cavistes. « La fête des pères a joué en notre faveur », s’amuse l’entrepreneur qui constate que le mois de juin 2020 aura été un très bon cru. « D’habitude, notre pic de vente se situe en décembre. Nous avons enregistré un fort retour de notre clientèle dès le mois de juin, alors que durant toute la période de confinement nos ventes étaient très maigres malgré l’ouverture des cavistes. » Les aides, chez Ferroni, ont donc pleinement joué leur rôle. Sans lesquelles, au 11 mai, l’usine n’aurait pas été en mesure de livrer ses partenaires commerciaux.
Préserver l’écosystème et l’ensemble de la chaîne de valeur
Dans une période très incertaine, les deux entrepreneurs ont très vite acté qu’il était impératif de jouer la carte de la solidarité vis-à-vis de l’ensemble des clients et fournisseurs. Chez Coronia, Laurent Cohen a fait de la communication auprès de ses partenaires commerciaux une priorité. « Dès la fin mars, j’ai écrit à l’ensemble de mes partenaires en leur assurant que Coronia paierait l’ensemble de ses fournisseurs en temps et en heure. Le tissu économique des TPE et PME français a été particulièrement éprouvé par les mesures de lutte contre la propagation du virus. Il était donc essentiel de jouer la carte de la solidarité. Du côté de nos clients, certaines enseignes ont été exemplaires et ont choisi de payer leur fournisseur comptant et non plus à 60 jours comme précédemment. » L’autre côté de la médaille, a constaté le dirigeant, fut l’attitude de firmes souvent de grande taille qui ont choisi de geler l’ensemble de leurs dettes. Manque à percevoir avec lequel l’entreprise familiale se doit de composer en attendant la reprise. Depuis la fin du confinement, Coronia a retrouvé un fonctionnement presque normal. Presque, car, aux côtés de la production de parfums, l’entreprise familiale poursuit la fabrication de gel hydroalcoolique au point de développer sa propre marque responsable et solidaire. Le groupe s’est même rapproché d’une usine de mobilier urbain de la région. Ensemble, ils ont imaginé une borne de distribution de gels à destination des collectivités et des entreprises. Imaginons un monde où toutes les entreprises se seraient réciproquement soutenues… Qui a dit utopie ?
Chloé Consigny
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