Conversation secrète à Matignon

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Exclusif. Un spécialiste de la lecture sur les lèvres a surpris un échange entre des membres éminents du gouvernement…

– Mais comment, moi, ministre de la Culture, je vais pouvoir garder une miette de crédibilité si vous décrétez un couvre-feu à 21 heures ? Déjà que mon passage aux Grosses têtes ne m’a pas vraiment ancrée dans le panthéon des grands cerveaux, je ne vais pas pouvoir inaugurer la moindre sculpture ratée ou le tag le plus nul érigé en œuvre d’art sans me faire huer…

– Désolé, Roselyne, question de vie ou de mort. Tu crois que ces moutons de Panurge de Français·es nous pardonneraient de ne pas les parquer ? Déjà que ton copain B-H L nous traite de « rentiers de la mort »…

– Mais je ne sais pas, moi, décrétez tout ce que vous voulez, mais après l’heure du dernier spectacle. Ce n’est pas dans les salles de spectacle qu’on chope le virus.

– Oh, tu sais, les larmes et les rires, rien de pire pour les sécrétions, je te parle en médecin…

– J’ai peut-être une idée…

– Qui, toi, Jean-Michel ?

– Je ne suis pas superprof pour rien et je ne suis pas à une incohérence près. J’ai bien réussi à garder des classes ouvertes en décrétant que trois contaminé·es ne font pas un cluster.

– Tu ne veux pas limiter les spectacles de théâtre à trois spectateurs ?

– Non, mais je sais comment tu peux t’en sortir, Roselyne…

– …

– J’ai besoin que toi, Olivier, toi, Bruno, toi, Jean et en dernier recours, toi, Emmanuel, vous tacliez Roselyne…

– Quoi ? Sors de ce corps, Nicolas Hulot !

– Voilà, c’est simple. Toi, Roselyne, tu vas, masquée devant les micros, demander officiellement qu’on laisse circuler librement les gens qui sortent des cinémas et des théâtres… Avec leurs tickets en guise d’attestation. Tu veux sauver la Culture…

– Mais…

– Une seconde, Olivier, laisse finir le maître. Justement, toi, ministre de la Santé, tu t’insurges. Ah non, pas question, on ne peut pas obliger les fêtards à ne pas se soûler et laisser les intellos s’enivrer de culture ! On crierait à l’élitisme. Toi, Bruno, tu joues le contre. Tiens, j’ai même rédigé ta réaction : « Je suis contre toute exemption sauf pour les personnels de santé, les urgences, si vous devez aller voir quelqu’un malade… », ça c’est bon pour ton côté humain. Et tu lances l’estocade : « Si vous commencez à multiplier les exemptions, à dire que pour tel secteur d’activité ça ne sera pas 21 heures mais 22 heures… Que pour les autres ça sera 22 h 30… On ne va pas s’en sortir ! »

– « On ne va pas s’en sortir, oui, c’est bon pour la peur… »

– Parfaitement, Emmanuel. Toi, Jean, tu achèves Roselyne, tu siffles la fin de partie comme tu sais si bien le faire. Quelque chose comme : « Il faut que les règles soient les mêmes pour tout le monde ». Tu prends de la hauteur, même si tu es déjà très grand…

– pour tout le monde, oui, ça sonne.

– Mais dites donc, c’est bien gentil tout ça, mais qu’est-ce que j’y gagne, à part menacer de démissionner ?

– Surtout pas, ma petite Roselyne ! Toi, tu en sors légitimée ! Tu te bats pour ces théâtreux qui n’en finissent pas de programmer des pièces anarchistes et des humoristes qui nous ridiculisent ! Tu es la Culture outragée mais battante ! Et tu ne démissionnes pas comme Nicolas. Tu restes la mère courage qui ose s’opposer à l’adversité et au triomphe du virus quand Jean, Olivier et Emmanuel assument avec détermination la sauvegarde de la nation, quoi qu’il en coûte…

– Quoi qu’il en coûte, j’aime bien…

– Bien sûr, Emmanuel. Et la posture théâtrale de Roselyne taclée mais auréolée devant sa clientèle, c’est valable pour tout le monde. Si, demain, je décrète que les profs ne peuvent décidément pas assumer leur métier avec un masque sur la figure, toi, Jean, tu demandes à l’institution qu’elle respecte la première la loi républicaine. Et je me rends à tes arguments. Mais les profs m’applaudiront.

– La loi républicaine, oui, c’est bien.

– Ah oui, et moi, ministre de la Santé, je me bats pour revaloriser le salaire des soignant·es et les budgets de l’AP-HP !

Un ange passe, masqué…

– Heu, là, non, Olivier, on ne serait pas crédibles.

Propos recueillis sur les lèvres par

Olivier Magnan, rédacteur en chef

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